- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Clémence HIRTLIN la "Reine de l'automobile"
Dans mon village, Valff, la première personne à conduire une automobile était une femme. Le curé d'alors, du haut de sa chaire, a exprimé dans son sermon son sentiment partagé par de nombreux concitoyens : « Si les femmes se mettent maintenant à conduire des automobiles, où allons nous ? ». Lorsque j'ai abordé le point de vue de certains hommes du début du XXe siècle au sujet de la femme au volant, ma propre femme est montée en température. Le sujet méritait une enquête ! Une découverte surprenante allait pimenter mes recherches. Voilà donc le thème épineux que nous allons aborder au regard de l'histoire. Si en plus, on remet en doute la légende que la première femme pilote serait Camille du Gast, alors Mesdames, lectrices, mettez vous à l'aise, préparez vous une petite tisane, une musique douce, du parfum d'ambiance ... ça va stresser un peu !
Qui est la première femme pilote ?
Fin XIXe siècle. Les automobiles se multiplient sur les ... appelons cela routes. Comme une automobile coûte une blinde, Monsieur, qui a des sous, peut se payer un chauffeur. D'ailleurs le terme chauffeur est approprié puisque pour démarrer la bête il fallait littéralement « pré-chauffer » au rouge les bougies avec de l'acétylène puis entamer un corps à corps épique contre la machine avec la manivelle. Notre chauffeur en transe chauffait donc copieusement ! Arrivent des femmes pionnières qui veulent également se laisser aller au plaisir de la conduite. Cheveux et chapeau au vent elles aiment. La belle soumise du coin du feu s'émancipe. C'est l'angoisse chez les machos !
La première femme française, officieusement reconnue comme étant la première pilote automobile sur route a pour nom : Camille DU GAST. Camille est femme d'intérieur puisqu'elle est chanteuse lyrique et pianiste concertiste, mais également femme d'extérieur et bien d'extérieur. Elle est pionnière de saut en parachute ! Avec la duchesse d'Uzès représentante du sexe faible, elles sont les premières à obtenir un permis de conduite. Ah, Ce fameux permis ! Créé par Louis LEPINE en 1893, le précieux sésame était d'abord réservé ... aux hommes. Le « certificat de capacité » ne fut remis aux femmes en France qu'à partir de 1899. A noter que la première lauréate fut Anne d'UZES DE MORTEMART. Elle sera aussi l'auteur du premier excès de vitesse jamais verbalisé. Ah ces femmes !
Camille Du GAST participe à la course « Paris-Berlin » du 27 au 29 juin 1901
27 au 29 juin 1901. Camille DU GAST prend part à la course Paris Berlin. Elle termine 33ème. L'amazone aux yeux verts, comme la surnomment les médias, suscite jalousie et scandale. Elle échappera à un attentat, sauvera un concurrent d'une mort certaine lors de la course Paris Madrid en 1903 en laissant échapper une certaine 8ème place et sera ... interdite de courses. Motif invoqué : Inexpérience et nervosité féminine !
Camille DU GAST sur Panhard et Levassor en 1901
Mais avant elle, nous pouvons prouver qu'il y avait eu une autre pionnière, femme pilote. Il s'agit d'Hélène VAN ZUYLEN qui a participé en 1898 à la course Paris-Amsterdam organisée par son mari, premier Président de l'Automobile Club de France, le baron Etienne VAN ZUYLEN VAN NYEVELT. L'information, même en 1898, est passée presque inaperçue. Peu de commentaires à son sujet dans les journaux lors de la course. L'automobile est le domaine réservée à une minorité... d'hommes . Et on ne commente qu'à mots voilés quand il s'agit d'une comtesse ! Mr Emmanuel Piat, responsable de l'histoire et patrimoine de l'Automobile Club de France, nuance cependant le titre de pilote de course d'Hélène van Zuylen. "Lors de la course de 1898, était organisé en parrallèle une épreuve dite "tourisme". Il ne s'agissait pas d'être rapide, mais de participer et éventuellement d'arriver à destination. Peut-on, dans ces conditions, considérer Hélène comme pilote de course ?
Journal La vie au Grand Air 15 juillet 1898
Journal du 7 juillet 1898
La locomotion automobile 01/06/1898 La baronne Van Zuylen passe la ligne d'arrivée à Amsterdam après une rumeur qui laisse entendre qu'elle aurait eu un accident..
Une pionnière alsacienne
Cocorico ? non ! clap clap ! (c'est le bruit de la cigogne qui claquette), la même année 1901, que la course de Camille du GAST citée plus haut, nous avons en Alsace notre propre « chauffeuse » ! Il s'agit de Clémence HIRTZLIN, membre de l'Automobile Club d'Alsace Lorraine, initialement crée sous le patronage du comte de Zeppelin Aschhausen en 1899 dont le siège est à Strasbourg. Avec un bureau également à Mulhouse, l'association est présidée par le brasseur Max SCHUTZENBERGER. Clémence est amie et partage sa passion avec Sophie Mélanie DE POURTALES de la Robertsau.
https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9lanie_de_Pourtal%C3%A8s
Extrait du journal « Le vélo » de décembre 1899
La locomotion automobile janvier 1899
Les deux femmes sont membres de la dite association, mais seule Clémence participe aux courses. C'est sur Delahaye au rallye Strasbourg Colmar Strasbourg que nous découvrons notre pionnière pilote.
C'est en France que l'automobile naissante suscite le plus d'engouement. En 1898, on recensait en France déjà 600 usines avec 120 000 ouvriers pour un budget de 100 Millions de Francs dans l'industrie automobile. On a produit dans l'hexagone, cette année là, 3250 « teufs-teufs ».
En juillet 1900, l'Académie Française débattra pour savoir si le nouveau terme « automobile » sera décliné au masculin ou au féminin. On dira désormais « un automobile » et les débats commencent ... la logique: ne sont-ce pas les hommes qui ont inventé le moteur, démarrent la machine et font le plein ? En Allemagne le nom Automobil est resté au masculin. En allemagne les "teufs-teufs ont pour surnoms les « Töff-Töff ou Kraftwagen ou Schnauferle ou das Aut ou encore les Automoboberle ».
Edition du 14 juin 1901 du Journal l'Auto
La reine de l'automobile
Clémence HIRTZLIN a participé à la course « Strasbourg-Colmar-Strasbourg » le 16 juin 1901 et comme nous allons le voir plus loin, elle était pilote bien avant cette date !
La course Strasbourg-Colmar-Strasbourg (155 km) dont le trajet de départ devait d'abord passer par Mulhouse, fut disputée le dimanche 16 juin 1901. C'est la deuxième course organisée en Alsace après celle de juillet 1900. Au départ, sont en lice, entre autres, parmi les 52 équipages : Richard et Eugène BENZ, naturellement chacun sur une voiture Benz de l'usine de Mannheim au Bade Würtemberg. Ils sont les fils de Karl BENZ, pionnier de l'automobile dont la marque deviendra la future Mercedes-Benz en 1926. Il y a aussi l'alsacien Emile MATHIS, fondateur des automobiles Mathis performant sur une 2 cylindres De Dietrich de 7,6 chevaux. Présent aussi Henry OPEL, un des 5 frères créateurs de la marque de Russelsheim ainsi que l'alsacien Henri JEANNIN, champion d'Alsace de bicyclette puis directeur d'une usine d'automobile à Strasbourg équipant ses voitures d'un nouveau moteur monocylindre de 5cv, inventé par Klingenberger de Berlin. Il fera partie, plus tard, des concepteurs du pulsoréacteur des fusées V1, le constructeur Louis JEANPERRIN, ou encore le pilote Léon DEMEESTER qui renonça à la première place sur Gladiator (voitures de tourisme) au profit de son concurrent Morane sur Delahaye qu'il avait gêné alors qu'il avait été reconnu première voiture la plus rapide en vitesse de pointe. Quel fair-play à l'époque ; enfin, que du beau monde !
Voiture de course Benz de type 12 cv
Le départ est donné à 5 heures 30 du matin du centre de Strasbourg sur la route de Colmar en direction de la Meinau sous la pluie, les orages, la boue et des crottins de chevaux. L'heure matinale a été choisie pour éviter au maximum les rencontres avec le trafic hippomobile, vélocipédique et piétailleux. Il fallait aussi ménager les curés qui auraient vu d'un mauvais oeil leurs ouailles s'exclamer au passage de ces « Motorenwagen » plutôt que d'aller à la messe.
Léon DEMEESTER sur Gladiator
Le passage par Plobsheim, Erstein, Sélestat, Marckolsheim, Neuf-Brisach, Colmar et retour est effectué, pour le meilleur chrono, avec un temps de 3 heures et 1 mn après avoir avalé les 155 km du parcours, soit à la vitesse vertigineuse de 52 km/h et une consommation plus que modeste de 34 litres au 100. C'est le parisien Emile Amédée VARLET, ingénieur chez Delahaye, qui fit triompher sa 4 cylindres de 4,9 litres (la seule 4 cylindres en course), la plus puissante du paddock avec ses fabuleux 20,4 chevaux (moins qu'une 2 cv Citroën). Il a couvert les 72 premiers kilomètres en 58 mn (70 km/h) mais fut contraint de terminer la course en restant en deuxième vitesse ; 2eme : SCARABISCH ; 3eme : KRAEUTLER de Mulhouse. Voitures de tourisme au dessus de 400 kg : MORANE. Véhicule roulant à l'alcool carburé (bioéthanol) : DEMESTER en 3 heures 36 mn. Voitures en dessous de 400 kg : BLUM, JEANNIN, KAYSER, MATHIS en 4 h 32 mn. Motocycles : KOECHLIN en 5 heures 6 mn ; DENY en 5h10. Il y a eu de nombreuses contestations !
Règlement
L'organisation avait installé des commissaires tout au long du trajet: un drapeau bleu prévenait les pilotes d'un danger à 100 mètres: virage, caniveau, descente dangereuse etc. Un drapeau jaune indiquait qu'ils allaient rencontrer à 100 mètres, un passage à niveau fermé, un désordre, et qu'il sera obligé de s'arrêter. Chaque voiture doit être occupée par 2 personnes exceptés les tricycles et quadricycles. Celui qui communique de fausses informations sur son identité ou son véhicule est éliminé. Les réclamations devront être déposées de suite après la course avec le dépôt de 30 Mark qui seront perdus si la réclamation est rejetée. La course aura lieu par n'importe quel temps. Les concurrents devront se présenter 30 mn avant le départ à la porte d'Austerlitz. Seront exclus de la classe III les voiturettes de course ayant une deuxième place pour un passager pouvant entraîner un système à pédales. Inscriptions chez M. Schutzenberger, 10 rue de l'Arc en ciel, Strasbourg. Le départ sera donné route de Colmar à la Scharenmühle.
Légende : « Mme Clémence HIRTZLIN gagnant le second prix de la course Strasbourg-Colmar et retour », la locomotion automobile, 1901
Les derniers mettront plus de 5 heures, d'autres sont éparpillés en route. Clémence est classée 1ère des dames, normal, elle est la seule en course ! Elle fut particulièrement acclamée au départ, avec le dossard n°16, et tout au long du trajet. A l'arrivée, on la para d'une couronne de lauriers aux feuilles dorées d'où pendait un ruban rouge et blanc couleurs de l'Alsace, d'un chèque de 125 Marks, plus le prix de l'automobile club doté de 300 Marks et un joli vase Terracotta de 80 cm de haut du graveur Simon de Paris appelé « Fleurs d'eaux », offert par Monsieur POLLAK, propriétaire des bains et hôtel de cure de Badbronn Kestenholz et un bouquet de roses du Président de l'automobile club, le brasseur Max SCHUTZENBERGER. Elle pilota sa courageuse Delahaye 2 cylindres, 8,4 cv de 1 tonne 100 qu'elle appelait affectueusement « son Duc » en 4 heures et 5 mn (40 km/h). Elle posera fièrement en compagnie du Président pour un cliché souvenir. Tout le monde la félicita pour n'avoir pas eu d'accident. Clémence n'était plus une inconnue puisque, avant la course déjà, elle était empanachée par le milieu automobile du titre flatteur de « La Reine de l'automobile ».
vase Léon Elchinger
Publicité Delahaye de 1900
On ne connaît pas l'accueil réservé par tous les spectateurs médusés à la vue de ces « écraseurs de poules », mais l'attraction a dû être renversante (sûrement aussi pour une ou l'autre poule !). Pas grave, le dimanche est le jour de la poule au pot, il paraît ... En se référant aux archives, on peut donc affirmer haut et fort que Clémence HIRTZLIN est donc la première femme pilote de course automobile sur route (dans l'Empire allemand) et la seconde en Europe, ce que ne manquera pas de relever le Strasburger Post dans ses colonnes .
Extrait du Strasburger Post du 5 mai 1900
En effet, la course Paris-Berlin, où Camille DU GAST participa, se déroula, du 26 au 29 juin, soit 10 jours après notre course de Strasbourg. Alors : « Hip Hip Hip, Clap Clap noch e monl ! », comme la cigogne... et vive Clémence !
Affiches de Strasbourg 8 juin 1901
Le journaliste der Strasburger Neueste Nachricht (DNA) du lundi 17 juin 1901 n'aura de mots d'admirations que pour Camille et contrairement en France l'accueil réservé à une femme pilote d'automobile est bien plus enthousiaste et chaleureux :
« Samedi déjà, tous les délégués de l'Automobile Club Alsace-Lorraine avec, entre autres, le vice-président Otto Schultz propriétaire des usines de l'électricité de Strasbourg, l'ingénieur alsacien et négociant en houblon Camille Bourlet et la seule participante, Clémence HIRZLIN, étaient sur le pied de guerre pour accueillir comme il se doit tous les participants et invités à l'Hôtel Terminus avec un concert de Klaxon et de groin-groin. Au matin du dimanche c'est le Freiherr N. von Molitor de Berlin qui donna le top départ (le baron MOLITOR, secrétaire général de l'automobile club d'Allemagne, donnera également le départ de la deuxième étape de la course Paris Berlin où participera (1) Camille DU GAST). Molitor s'est dit réjoui, que des deux côtés de la frontière, France et Allemagne, on travaille avec passion au sport automobile avec 52 équipages au départ. Il se dit aussi particulièrement honoré d'avoir fait la connaissance de Mme HIRTZLIN dont on lui a révélé qu'elle est une ardente passionnée d'automobile et lui souhaite un vibrant "Auto Heil !".
Déjà à partir de 4 heures du matin, des centaines de spectateurs s'étaient amassés. Les départs qui se déroulaient à 1 mn d'intervalle étaient classés comme suit: en premier 1° classe, les voitures de sport puis 4° classe, les motocyclettes puis 2° classe, voitures de tourisme de plus de 400 kg et 3° classe, voiturettes de moins de 400 kg. Mme Clémence HIRTZLIN est partie en 2° classe ».
Classement final
La Strasburger Burgerzeitung parla du passage dans nos campagnes « des Töff-töff Kolonnen » (colonnes de teufs-teufs) qui aurait même croisé une course de la cavalerie légère des pédalistes, combattants et joyeux chasseurs en vélo. Vive le sport ! Le journal précise : « Mme HIRTZLIN a été vivement encouragée tout au long du parcours, surtout à SELESTAT et à COLMAR. Le soir tous les participants se sont retrouvés au restaurant "Bäckehiesel" https://www.archi-wiki.org/Adresse:77_All%C3%A9e_de_la_Robertsau_(Strasbourg) animé par la fanfare du 126 Régiment d'Infanterie sous la direction de Monsieur HAEFELE. Alors que la victoire des voitures lourdes a penché du côté des constructeurs français, le savoir-faire allemand a emporté la victoire du groupe "voitures légères" grâce à l'Automobile Gesellschaft de Berlin et son moteur monocylindre de KLINGENBERG, voiture pilotée par le directeur de la firme française d'automobiles et de motocycles située à Strasbourg, Louis JEANNIN ». Il faut reconnaitre que l'accueil alsacien pour les femmes pilotes est exemplaire. Courbettes. Clap clap encore une fois ! Noch e monl !
Publicité Delahaye vantant la première place de Clémence HIRTZLIN en 1901
Photographie prise à l'arrivée de la course par le photographe de la revue La Locomotion Automobile 1901
Les fondateurs de l'automobile club d'Alsace Lorraine en 1900 au Baeckehiesel. Au centre à droite, Clémence HIRTZLIN et HOESSINGER
1900 Clémence à gauche sur la photo.
Pour plus de détails voir :
Elle aurait participé à une course Strasbourg-Paris !
Un extrait du journal Strasburger Neueste Nachrichten du 3 mai 1900 nous informe d'une nouvelle retentissante : Clémence aurait également participé à une course automobile Strasbourg-Paris ! Dans cet article, le journaliste commente la balade des membres de l'Automobile-club d'Alsace en passant par les villages alsaciens Entzheim, Dorlisheim, Mutzig jusqu'au restaurant « Hotel de la Poste » à Urmatt. Un repas gastronomique au son du piano invita à la dance, les heureux propriétaires de pétrolettes. A 15 heures on décida de reprendre le chemin du retour par Gressweiller, Boersch, Klingenthal, Ottrott et Obernai. Mme HIRTZLIN, la Reine de l'automobile (dixit dans le texte) qui avait participé à la course Strasbourg-Paris dans sa magnifique voiture (toujours dans le texte) est arrivée première à Ottrott. De Gressweiller à Klingenthal les pentes pouvaient atteindre jusqu'à 18% mais les voitures continuèrent à grimper les côtes à 7 ou 8 km/h ! Les conducteurs de voitures de construction plus ancienne et les néophytes attendirent sur le plat du restaurant Borstell à Ottrott et à l'hôtel Vormwald à Obernai où le vice-Président SCHUTZENBERGER tint un discours de circonstance puisqu'il était resté bloqué pendant 3 heures par suite d'une étourderie. Il avait « oublié » d'ouvrir le robinet d'arrivée d'huile de son moteur ce qui eu pour conséquence de surchauffer les paliers. Il tint donc cette originale parole proverbiale : « Schmier' mit Fleiss (graisse grassement), sonst laufen sich die Lager heiss (sinon tes paliers surchaufferont) ».
Clémence HIRTZLIN fait bien partie des premières femmes pilote de course de la fin du XIXe siècle ! Une preuve non négligeable est, qu'en mai 1900, elle était déjà connue avec le surnom de « Reine de l'automobile ». Le nom épelé en français dans un article écrit en allemand est une autre indication que cette dénomination lui aurait été attribuée en France. La presse alsacienne et surtout le journal Strasburger Post n'avait cesse de multiplier avant 1900, des articles anti-automobiles, mais changea littéralement de point de vue dès le début du siècle. Alors, cette course Strasbourg-Paris ? Une information est livrée par le journal « Le vélo » qui en petit encadré relate dans son édition du 17 novembre 1899, le projet d'une course entre Strasbourg et Paris.
Ce qui est sûr, est que Clémence a parcouru la distance Paris Strasbourg en voiture. Cette affirmation est confirmée par le Strasburger Post qui, dans son édition du 1er avril 1901, écrit que la pilote « a ouvert le cortège des voitures du défilé à travers Strasbourg lors de l'exposition automobile le 31 avril avec sa nouvelle et élégante voiture avec laquelle elle a fait le trajet Paris-Strasbourg » [en savoir plus : La genèse de l'automobile en Alsace (partie 3)]. La course était prévue avec la participation de Clémence. C'est ce que confirmait aussi le journaliste du Strasburger Neueste Nachrichten dans un article du 3 mai 1900. La course était programmée, mais nous n'avons, à ce jour, que peu de preuves qu'elle a réellement eu lieu. A la place, on organisa une course de 90 km, Strasbourg, Kehl, Kappel, Rhinau, Bofzheim, Plobsheim et retour.
La locotion automobile 2 août 1900
Extrait du journal Strasburger Neueste Nachrichten du 3 mai 1900
L'affaire de l'excès de vitesse en 1905
Mais revenons à nos machos et Clémence ! Même tarif pour l'accueil masculin de Clémence que pour Camille DU GAST citée plus haut. Cette fois, c'est la Polizei allemande qui fera preuve d'autophobie et de misogynie. Dans le journal l'Auto Vélo, les journalistes n'ont pas manqué de reproduire une caricature d'un épisode où les fameux casques à pointe de la région de Kehl ont démontré leur zèle exemplaire.
Le gendarme KREBS de Kehl, à lui seul, a en un seul dimanche, procède au relevé de 27 infractions à l'encontre d'automobilistes. Posté devant la station de tram, il vit une voiture arriver à la hauteur du restaurant ' Zum Rehfuss" (au pied de chevreuil) lorsque cette dernière passa devant le monument aux morts et le Rathaus il dégaina son chronomètre. Il calcula la distance estimée à 400 mètres... ou 450, parcouru en 60 secondes jusqu'au "Salmen" . et voilà ! C'était Clémence HIRTZLIN, flashée ! Elle est stoppée avec un drapeau rouge.
Une reconstitution pour le procès établira que la distance est finalement de 470 mètres, on fera même appel à l'horloger Schalck qui établira une différence allant jusqu'à 6 seconde entre sa montre qualibrée et celle de Krebs. On fera s'élancer plusieures automobiles à diverses vitesses, les gendarmes reconnaitront, sans hésiter, que la dernière roula exactement à la même vitesse que celle de Clémence... il y a 6 mois. Incroyables talents, ces gendarmes !
La reine de l'Automobile et le tribunal titre du Strassburger neueste Nachrichten du 15 novembre 1906
Les procès: rappel des faits
Le soir de ce 1er juillet 1906, Clémence HIRTZLIN revenait en voiture de Stuttgart avec sa Panhard-Levassor. Arrivée à Kehl, elle se voit colloquer d'un procès-verbal pour excès de vitesse par notre gendarme Krebs. Devant les échevins badois elle proteste, prouve et démontre que son allure était modérée. Elle est acquittée sur simple police. Mais ce jugement ne fait pas l'affaire du ministère public qui en appel à la juridiction supérieure. L'affaire est reprise par le Tribunal régional d'Offenburg. Le tribunal vexé a mobilisé les Landwehrs et Landsturms comme témoins. Toute la Polizei, toute la prévôté est là, et la gendarmerie Kehloise, bien sûr, astiquée, casquée du heaume à pointe, étincelante et gantée de blanc. « Vous avez roulé à 450 mètres à la minute, Madame, donc excès de vitesse ! ». Clémence argumente : partie de Stuttgart à 10 heures, elle avait été victime d'un court-circuit sur sa voiture, a donc ralenti sa vitesse et était restée en deuxième vitesse en traversant Kehl... La voiture ne pouvait pas rouler à plus de 18 km/h à plein gaz et cela en 1 mn 30 et non en 1 mn constata Kratzer, expert pour l'Alsace Lorraine et moins encore avec un court-circuit confirmé par une attestation du fabricant !
Arrivent deux super experts qui dissertent sur le chronométrage, puis deux voyageurs, le secrétaire général ZIMMER et le négociant FETZER, qui suivaient Mme HIRTZLIN à 100 mètres, affirment qu'elle ne dépassait guère les 12 km/h (vitesse maximum autorisée (2) en agglomération) avec une voiture en plus endommagée par une fuite au réservoir. Le procureur se lève et commence par démontrer, petit a : que les gendarmes badois sont infaillibles et petit b: qu'elle a roulé à 27 km/h. Le tout avait été calculé savamment avec la montre à gousset des géniaux forces de l'ordre et celle du gendarme Krebs ! Ce dernier, dans son témoignage, soulève la désaprobation des habitants au sujet de la poussière que soulèvent les automobiles.... ils leur est désormais impossible même d'ouvrir leurs fenêtres !
Le pontonnier Zalbbrenner donne son avis mais reconnait qu'il n'a rien vu. Il lache néanmoins qu'ils ont arrêté les véhicules en se basant sur la vitesse d'un cheval au trop, un trop rapide s'entend ! Krebs persiste: 450 mètres en 60 secondes ! Le Wachtmeister Windt reconnait que la montre du gendarme Krebs différait déjà des chronomètres des commissaires de course automobile en 1901. Ce dernier explique comment il est arrivé à regarder d'un oeil sa montre et de l'autre la voiture, un phénomène ce Krebs !
L'avocat Dr Luniy de Strasbourg regrette que l'affaire ai été conduite avec une telle gravité comme s'il sagissait du jugement d'une personne accusée d'un double meurtre ! Tout ce tapage parce que Clémence est une femme ?
Le tribunal se retire ... et revient avec une sentence qui condamne Clémence HIRTZLIN à payer 30 Marks et aux frais. De toute l'Allemagne et surtout d'Alsace affluent chez Clémence une flopée de lettres de félicitations pour son attitude énergique et opiniâtre. La presse automobile et locale s'empare de l'affaire et compare la maréchaussée badoise à " une troupe de cerbères, à des sirènes barbues qui synthétisent tout ce qui se fait de plus godiche et de plus arbitraire du genre" . Tsac Tsac. Le journal « Locomotion automobile » clôture son exposé par cette conclusion cynique : « Le gendarme est infaillible ! Comedia e finita. Le procès HIRTZLIN est terminé !» Les articles de presses pleuvent comme grêle sur le pauvre gendarme Krebs qui détiendrait à ce jour le record de procès automobiles. L'amitié alsaco-germanique est en bonne voie !
En 1906, en appel, la sentence sera réduite à 10 Mark d'amende. L'excès de vitesse ne sera plus retenu.
En 1902, le compositeur de musique Charles LEHMANN de Ribeauvillé consacrera à notre championne une marche de son cru avec le titre « La reine des automobiles ». Dans le dernier acte de sa composition, il rappelle les affres et l'éventualité d'un éventuel accident de voiture. C'est peut-être pour cette raison qu'il a choisi de célébrer notre Clémence sur le rythme d'une marche ! Quel humour ce Charles !
Qui était Clémence HIRTZLIN ?
Clémence HIRTZLIN de son nom de jeune fille, Clémence EBERLE (1863-1936) a épousé son mari Albert en 1887 (1853-1909), fils d'un père menuisier de Durlinsdorf (Haut-Rhin). Albert prospéra avec son épicerie en gros particulièrement connue pour ses fruits exotiques. Il fera fortune et pourra se ranger en rentier à 56 ans. Le magasin anciennement au 18 Kronenburgerring (Boulevard du Président Wilson) déménagera plus-tard dans le nouveau Port du Rhin. Le couple habitaient au 72, allée de la Robertsau à Strasbourg, maison construite en 1885 et que le couple avait acquis en 1901 après avoir habité au quai Kléber. Après le décès de son mari Albert, elle essayera de vendre leur voiture familiale Panhard Levassor pendant plus d'un an.
Elle a fait déjà parler d'elle en 1899 dans un article qu'elle a fait publier, pour se plaindre de l'imprudence dangereuse, la nuit, des conducteurs d'attelages. http://histoiredevalff.fr/histoire/xxeme-siecle/716-les-premieres-automobiles-dans-la-region-de-barr-et-obernai
« Vends cause décès 7000 mark, Panhard-Levassor, 4 cylindres, 16 cv, double allumage, élégante carrosserie, mi-limousine, état presque parfait » . Après le décès de son mari elle revendra la voiture qui fut l'objet de l'excès de vitesse signalé plus haut.
Le père de Clémence, Calus EBERLE était facteur, originaire de STAUFEN au pays de Bade. Sa mère avait pour nom Madeleine KIENTZ et était veuve d'un premier mariage avec Phillipe Jacques MEY. Le père de Clémence avait reçu la distinction honorifique de Chevalier de la Légion d'Honneur et celle de l'ordre d'Isabelle la Catholique d'Espagne. Il fut décoré chevalier le 26 avril 1846, pour bravoure à 21 ans devant l'ennemi en Afrique dans la Légion étrangère et promu au grade de sergent.
La famille EBERLE habitait dans la rue du Polygone. Clémence est née au 7bis Route du Polygone, le 19 juillet 1863. A cette date, habitaient dans leur appartement, Callus avec sa femme Madeleine, Charles 11 ans, Emilie Emma 10 ans, Madeleine 7 ans qui ne sera plus recensée en 1866, Mathilde 5 ans et Barbe 3 ans. En 1856 furent également recensées Eléonore et Dorothée qui décéderont en bas âge.
1898 Ventre d'oignons d'Egypte
En 1866 la famille est recensée au n°20 de la rue du Polygone. La famille se composait toujours de Callus (appelé Charles), sa femme Madeleine et les enfants Charles 16 ans, Emilie Emma 15 ans, Mathilde 10 ans, Barbe 8 ans et Clémence 3 ans.
En 1919, Gaston Lévy, des établissements de fabrique d'engrais Joseph Lévy située, 10 rue des Bouchers à Strasbourg, parlera dans une lettre de Callus comme étant son grand-père et témoignera qu'ils furent victimes d'une perquisition en 1914 pour raison d'attachement francophile et que l'administration allemande leur avait alors détruit le diplôme de Callus. En 1871, les parents du mari de Clémence, Albert, opteront pour la France et déménageront à Joncherey dans le Territoire de Belfort. Pour ce qui est de Gaston Lévy, il est le fils de Joseph Lévy qui avait épousé Mathilde, la soeur de Clémence. Callus est décédé au n°30 de la rue du Polygone en 1877.
Villa Clementia, 72 allée de la Robertsau. Le bâtiment abrite aujourd'hui des bureaux. Clémence revendra la villa en mars 1919. En 1926, le nouveau propriétaire Schmitt-Muller, lui redemandra le remboursement d'un trop payé d'impôt à la ville de Strasbourg pour l'asphaltage de la rue qui eu lieu en 1914 et qu'il avait payé lors de la vente. Il obtiendra gain de cause.
Acte de mariage en 1887 à Strasbourg, du catholique Albert HIRTZLIN et la fille du facteur protestant, Clémence EBERLE, née à Strasbourg
Pierre tombale du couple HIRTZLIN au cimetière St Urbain à Strasbourg
Dates clés
1863 le 18 juillet naissance de Clémence EBERLE
1887 Clémence épouse Albert HIRTZLIN
Mai 1900 Clémence est déjà connue sous le surnom de " Reine de l'Automobile"
1901 Acquisition de la villa Clémentia
16 juin 1901 Course Strasbourg Colmar Strasbourg
1902 Le compositeur Charles Lehman lui dédié une marche
1905 L'affaire de l'excès de vitesse
1909 Décès d'Albert Hirtzlin
1919 Vente de la villa Clémentia
1923 Litige juridique au sujet d'un impôt fiscal lors de la vente de la villa
1936 Décès de Clémence
Femmes au volant, médisance au tournant
Mais revenons à nos machos. Le pompon revient, sans conteste, à l'homme de lettre et conférencier Gaston LABADIE-LAGRAVE. Un spécialiste auto-proclammé des femmes, cela va de soi ! Sa conclusion en 1906 sur l'avenir des femmes dans l'automobile est remarquable. Plutôt que de paraphraser, j'ai préféré reproduire intégralement le texte. Mesdames les lectrices, reprenez une lichette de tisane ...
Sujet de méditation
Femme au volant, danger au tournant ? En 2005, les femmes ne représentaient que 27% des retraits de points et étaient 11 fois moins condamnée que les hommes pour des délits routiers. En 2007 pour le même nombre de kilomètres, les femmes avaient 3 fois moins de risque d'être tuées, et 1,7 fois moins d'être blessées. Par contre la même année, le taux de réussite au permis de conduire était de 58% pour les garçons et seulement 48% pour les filles. Mesdames, le sujet vous a tarabusté, asticoté, insupporté, patience. Citation d'André de Pronovost : La patience est presque de l'amour !
(1) Extrait du journal "Le Temps Course Paris Berlin" du 1er juillet 1901, Gallica
(2) La vitesse maximale autorisée fut établie selon les critères suivants: 12 km/h en agglomération, ce qui représentait la vitesse d'un cheval au trot, et 30 km/h hors agglomération, vitesse d'un cheval au galop.
Sources :
- Gallica
- Fonds privés
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