- Écrit par : Rémy VOEGEL
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« Ointement des sorcières », Luma VON FLESCH-BRUNNINGEN, 1899
Dans la première partie de ce sujet, nous avons traité du contexte et des mécanismes du système judiciaire de l'Inquisition religieuse. Analysons maintenant quelques aveux farfelus retranscrits dans le Malefitzbuch de Niedernai datant du début du XVIIe siècle.
Le mariage satanique
D'après les déclarations sous la torture, la cérémonie a lieu à minuit en présence d'un marieur qui pouvait être un prêtre, un autre démon ou pour Anna SIXT, sa propre mère. L'union se fait de la main gauche. Le marié diabolique est reconnaissable : parfois, il possède un pied droit d'oie avec une couronne d'épines, une main d'enfant gelée, un habit vert ou brun avec chapeau ou tout artifice tout droit issus de l'imagination populaire. Pour Elisabeth MARTZ, loin d'être un Apollon, son amant est décrit avec un visage couvert de boutons et de pustules. Pour animer l'ambiance, il lui arrive de laisser échapper quelques pets aux odeurs pestilentiels, gênant… surtout lorsqu'il demande à Elisabeth de lui embrasser le derrière !
Après la cérémonie, le repas de mariage est partagé avec des convives et 4 ou 5 tables. On y danse, on mange tantôt du chien (volé au boulanger Hans KORMAN ou encore au curé MICHAELIS de Valff) du veau ou du cochon et des souris. Miam ! Une fois est relaté la consommation d'un enfant déterré dans le cimetière. Il n'est consommé ni pain ni sel. Le vin est aussi le bienvenu. C'est la fête au village. ♪♪♪
Hans VOGT, un enfant de Valff, joue de la cornemuse. Peter de Meistratzheim du violon ou Georg KLUPFEL du fifre. L'éclairage est fourni par les Lichtstöcke. Ce sont des vierges qui portent des flambeaux, soit sur leur tête, soit enfoncés dans leur derrière, alors qu'elles sont en position du poirier avec la tête en bas. Il fallait y penser !
Les lieux de mariage à Valff sont :
- sur la Niederstross près du grand chêne
- près du château de Valff
- sous les tilleuls
- dans les Grueben
- au Oberholtz
- sur le Hagelweg
- sur la Ahlstross et le Reitenay
- dans le Neuland et le Plon
- ou encore dans l'Oberbruch où Hans SCHEUERMEYER de Valff est apparu en chien et Hans VOGT en oiseau !
Lors du mariage, on donnait un nouveau nom aux mariés. Exemples :
- lui, Erlenmerlin (merle de l'aulne), elle, Lichtstöckel (flambeau)
- lui, Belzebub, elle, Kochlöffel (cuillère en bois)
- lui, Hemmerlein (petit marteau), elle, Fenderich (porte-étendard)
- lui, Käfer (cafard), elle, Fuess (pied)
« Départ pour le sabbat », Peinture de Pierre MALEUVRE, 1780
Les pouvoirs
Naturellement toute bonne sorcière possède des pouvoirs maléfiques. Ces pouvoirs sont administrés avec l'aide d'une pommade, parfois blanche, parfois noire, que le méchant fournit. Celle-ci est enduite autour d'un bâton pour toucher par contact les animaux ou les hommes, transmettant maladie et mort. Les victimes se paralysaient et la mort survenait parfois en moins d'une heure. Autre condiment : une poudre que les sorcières introduisaient dans la nourriture (souvent aux mendiants et aux animaux). Les victimes gonflaient puis mouraient.
Pour les récoltes il faut confectionner un « brouillard » (Nebel) qui provoque de la grêle ou le flétrissement des feuilles. Pour ce faire, il suffit de renverser un pot contenant de la pommade diabolique mélangée à de l'eau. La fumée qui en échappe faisait le reste. La recette secrète pour confectionner cette pommade est (veuillez prendre note !) :
- Se munir d'une marmite dans laquelle on mélangera : premièrement des araignées, deuxièmement des bousiers (Mistkäfer), troisièmement de la paille, de l'écorce de pommiers et des feuilles de vignes
- Laisser mijoter
- Quelques incantations ...
- La potion est prête !
A ce stade, on en rigole peut-être et on pense à la fête inoffensive d'Halloween. Mais n'oubliez pas que tous ces aveux ont été extorqués dans d'affreuses souffrances et que la finalité est une mort brûlé vif !
Appolonia KARCHER raconte qu'elle s'était transformée en chat et a sauté sur le lit d'une jeune fille malade pour lui prendre son cerveau. Plus tard, toujours en chat, elle décida de faire une ronde avec d'autres sorcières ... lorsque survint une dispute pour savoir s'il était mieux de détruire plutôt les foins ou plutôt les arbres fruitiers. Le diable intervint et pour rétablir la paix fit un sondage. La majorité préféra les arbres fruitiers ! Elles renversèrent donc un pot maléfique pour fabriquer une grêle. Il en sortit une fumée bleue, noire et jaune, si puissante, que même les broussailles se desséchèrent et adieu les arbres fruitiers ! Par contre, un autre jour, le sort a raté car les cloches du village sonnèrent au même moment. Zut !
Le transport est assuré par voie aérienne : on chevauche soit un chat, un chien, un cochon, un bouc, un bâton ou un balai, ou tout ustensile aéro-transformable. Pratique, et en plus c'est non polluant !
Les formules magiques
Les prières magiques sont imparables ! Il faut dire « vieux pantalons et une nouvelle chemise de laine et un vieux tablier » ou « nouveau tablier pour un vieux et un vieux pour un nouveau » ou « nouvelle ceinture pour une vieille » ou « vieux pantalons et nouveaux lacets ». La prière de salutation du diable est : « J'avais deux chaussures neuves pour deux vieilles ». De la haute couture maléfique avant l'heure !
L'exécution
C'était la fête au village. Pour les habitants, un divertissement de choix ! Même les enfants sont conviés ... ou parfois accusés comme à Dambach la Ville, où Jacob BREYER, un garçon de 5 ans et demi, dénoncé par son père car il disait des paroles étranges et voyait partout des loups et des lièvres. On l'obligea à dire qu'avec d'autres enfants et leurs parents il a participé à une réunion maléfique. La décision le concernant a été le placement chez des gens dévots et les frais à la charge du père ! Le petit Jacob devra en outre porter des attributs bénis, ne jamais être laissé seul, vers 7 ans se confesser, à 9 ans prendre la sainte communion tous les 8 jours, et aller tous les jours à la messe !
Pour les adultes, la sentence est le bûcher. Si le juge était clément on échappait aux entraves de fer à la main et sur le sein gauche pour les femmes, posées chauffées à blanc (la droite étant considérée comme un symbole de faveur divine, à la droite du père) ! Parfois, la condamnée réussissait à s'échapper du bûcher. En Allemagne, une femme a dû être rattrapée et rappelée à l'ordre. Ce sont des choses ne se font pas !
Extrait d'une chronique d'époque : Arendsee en Allemagne, 1687
Les trois sorcières Susanne, Ilse et sa mère Catherine ont été condamnées à mort par un tribunal protestant. « Sur le chemin du site d'exécution, des prières, des encouragements et des éloges sur la justice fusent. Aux portes de Seehausen, la foule forma un cercle autour des condamnées et chanta tous les versets du cantique : « Gott der Vater wohn' uns bei ». On mis une chaîne si serrée autour du cou de Catherine que son visage enfla et devint brun. Puis on alluma le feu au chant des cantiques entonnés par les enfants, les ecclésiastiques, les magistrats et l'assemblée jusqu'à la carbonisation totale du bûcher ».
Le soulagement pour les accusé(e)s était la condamnation à mort même. A bout de forces ce devait être pour ces pauvres victimes le soulagement des souffrances extrêmes ! Extrait de la sentence de Margareth CUNTZMANN de Meistratzheim : « Elle sera livrée au bourreau qui la passera de vie à trépas et brûlera son corps en cendres, pillera les cendres en poudre qui seront ensevelis pour empêcher aux restes de causer du tort aux hommes et aux animaux. C'est une sentence juste qui servira d'exemple. Qu'elle puisse trouver auprès du Juge Suprême la clémence pour ses péchés et que le Dieu Tout-Puissant lui soit miséricordieux. Après consultation, nous avons fait preuve de clémence et l'avons décapité par l'épée avant de la brûler. Fait le lundi 8 février 1627 ».
Fin tragique de personnes coupables d'avoir vécu durant une époque d'ignorance et de superstitions. Quel impact pouvait avoir la condamnation d'un proche ? Le commérage et le mépris ont dû se perpétuer pendant des générations. La renommée maléfique, elle, contrairement au braises du bûcher, ne s’éteignait que lentement ...
Sources :
- Chatrier « Maléfitzbuch de Niedernai »
- Hôtel de la Région Grand Est à Strasbourg
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