- Écrit par : André VOEGEL
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Dans ses mémoires, André VOEGEL retrace son enfance et ses premières années à l'école. Récit d'un autre temps, près d'un siècle plus tard. Suite au du premier épisode 1.
Les journées passées à l'école étaient monotones. Du matin au soir, il n'y avait que de l'enseignement sans aucune interruption, sauf quelques minutes à la récréation. Pratiquement jamais de sport ou d'éducation physique, très peu de dessin, ni de musique, ni de travaux manuels, aucune initiation aux arts ou à la culture, ni de visites chez les artisans qui étaient nombreux encore à cette époque. De quoi être dégoûté de cette méthode de scolarisation.
Les cours de récréation étaient séparées pour les garçons comme pour les filles. Les accès aux toilettes se pratiquaient de chaque côté de la cour, le contact avec les filles étaient impossible. Un mur de deux mètres de haut séparait les WC des filles de ceux des garçons. Je me souviens que ce lieu dégageait une odeur nauséabonde, mal entretenu, pas d'eau courante. Cette situation ne nous empêchait pas de voir ce qui se passait du côté des filles en escaladant le mur. C'était une entreprise très risquée et sévèrement répréhensible pris en flagrant délit ou même dénoncé par une fille. A partir de nos urinoirs, nous organisions souvent des concours de pisses en hauteur pour arroser les filles au-delà du mur. Certains d'entre nous avaient acquis des techniques pour arriver à des hauteurs très respectables. Une petite anecdote anodine mérite d'être contée, elle était certainement à la base de l'abolition de toute sortie pendant mes années de scolarisation à l'école primaire.
Je fréquentais encore la petite classe, je devais avoir entre six et sept ans. Les deux maîtres d'école de garçons avaient organisé une promenade du côté de Bourgheim et, devaient, à cette occasion, rencontrer le collègue de l'école de Bourgheim. L'entrevue se tint à l'intérieur et nous étions pendant cette période sans surveillance. Nous nous trouvions au mois de mai/juin et les circonstances ont voulu que les groseilles du jardin d'en face étaient mûres. Les réactions ne se firent pas attendre, certains escaladèrent le grillage pour consommer ces fruits interdits. Scandale, fureur des maîtres, plainte du propriétaire du jardin, il fallut dédommager les dégâts causés. Je crois que le montant par élève coupable se situait à un franc, j'ai dû payer mais n'y avait même pas mis les pieds.
Pourtant, tous les ans, juste quelques jours avant les grandes vacances, la tradition voulait que les maîtres organisent une excursion en autocar. C'était la seule et unique sortie de l'année. Pendant toute l'année on se cotisait mensuellement pour le financement. Un responsable, désigné par les enfants, collectait les cotisations pour les déposer à la caisse d'épargne du village. Très souvent, nous visitâmes l'Alsace du Nord, le maître étant natif de cette région. Le repas de midi était tiré du sac, ainsi que la boisson.
Puisque nous sommes au chapitre des anecdotes, je voudrais y ajouter une qui m'a particulièrement marqué, mais qui ne concerne pas l'école, mais le curé du village. A l'occasion de l'arrivée de l'évêque de Strasbourg pour administrer le sacrement de confirmation aux enfants, je fus victime d'une mauvaise fortune malgré moi. Je devais avoir environ huit ans, et je fus exclu de cette cérémonie par le prêtre du village, bien que tous mes camarades de classe furent eux admis sans problème. Le motif de mon exclusion fut relativement simple, j'ai manqué une seule fois d'assister à la messe du matin. Je n'étais certainement pas suffisamment préparé ou pas digne de recevoir ce sacrement. Je conserve en ma mémoire d'avoir été très très malheureux et je pleurais à chaudes larmes lorsque je fus informé par le curé et que je dus le communiquer à mes parents. Mon père, personnage très pieux, fut outré par une telle décision, de même que ma mère qui fut également vivement irritée, indignée et même révoltée. Séance tenante, mon père prit la décision de voir le curé pour une mise au point en tête à tête. Je ne sus jamais le contenu du dialogue, mais toujours est-il qu'au retour l'affaire était réglée. Je pense qu'il serait intéressant de donner les raisons exactes de mon absence à la messe de ce fameux matin de semaine. Au cours de la nuit qui précéda cette absence, mes parents ne dormirent pratiquement pas car une de nos vaches vêla au cours de cette nuit et ils ne purent laisser seule cette bête qui voulait mettre bas. Fatiguée par cette veillée nocturne, ma mère ne m'a pas réveillé, comme elle le faisait tous les matins, pour aller à la messe. La peine prononcée par l'un des personnages les plus importants du village pouvait avoir des répercussions insoupçonnées au niveau psychologique d'un enfant. Mes camarades sentaient, comme d'ailleurs moi-même, l'injustice dont j'ai été victime malgré moi, et on devenait facilement la risée de ses camarades. Heureusement, je ne me laissais pas faire.
Je fus, à l'école primaire, un élève moyen. Ce ne fut qu'à l'âge de 11-12 ans que je commençais vraiment à comprendre le fonctionnement des différentes matières enseignées. Aussi, il est important de le souligner, mes parents ne parlaient, ni ne comprenaient la langue française, et de ce fait, ne pouvaient pas me donner un coup de main à la maison. Nous étions abonnés au journal en langue allemande, cette langue m'était aussi familière que le français. En 1939, à l'âge de 14 ans, j'ai passé mon certificat d'études, qui était alors considéré comme un diplôme important, aussi important que le bac de nos jours. Je me rappelle encore que nous ne fûmes pas gratifiés du dictionnaire traditionnel, comme récompense à la suite de la réussite de l'examen. Les événements politico-militaires se profilaient déjà à l'horizon en 1939.
En temps normal, j'aurai certainement continué à faire des études ou du moins appris un métier, mais on sentait que la guerre était proche et pouvait éclater d'un jour à l'autre. Mes parents préférèrent rester dans l'expectative de ce qui va se passer. De toute façon, en cas de guerre contre l'Allemagne les hostilités ne dureront que peu de temps, car nous vaincrons, parce que nous sommes les plus forts, c'est du moins ce que la propagande propageait dans les journaux et à la radio. La décision de mon avenir devait être prise de suite après les événements. En réalité, cette attente, cette espérance, se sont prolongées sur cinq années. Quelques années plus tard, j'ai été incorporé au R.A.D. (Reichsarbeitdienst), service obligatoire du travail [en savoir plus : Mémoires de guerre d'André VOEGEL]. Le temps ne fut pas complètement perdu, puisque j'ai dû aider mon père dans l'exploitation agricole ce qui m'a permis de me familiariser avec les travaux agricoles et viticoles, ce qui arrangeait bien mon père. Que de temps perdu, quel gâchis cette sale guerre et mes plus belles années sacrifiées sur l'autel des politicards et de l'inconscience de nos généraux qui scandaleusement ont sous-estimé la force militaire de nos adversaires. Dès l'âge de huit ans je me suis intéressé à la politique, héritage de mon père qui commentait journellement les articles des journaux. Mes premiers souvenirs politiques remontent à 1933, lorsque le nazi Adolf HITLER s'empara du pouvoir en Allemagne. Cette information, je l'ai capté à travers la radio, que nous avions déjà à cette époque. Je ne soupçonnais pas que dix années plus tard, je devais subir les conséquences de cette prise de pouvoir.
Autres épisodes :
- A l'école primaire dans les années 30 (épisode 1)
- Le « Owe Marik », le rendez-vous du soir
- Les enterrements
- L'énigmatique photographie en ferrotype
- La « Massti », fête du village
- Divertissements et jeux d'antan
- Vive le vin, adieu l'amour
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