- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Jamais, il semble, il n'y a eu une aussi grande dissension entre un curé de la paroisse de Valff et l'administration communale comme celle qui s'est étendue sur une période de près de 80 ans au XVIIIe siècle.
L'affaire
Tout débute avec la demande du curé Jean SCHECK (1750-1777) à l'encontre de la commune de payer, ce qu'il considère comme un droit, les rentes liées depuis des temps immémoriaux au vicariat de la chapelle Ste-Marguerite. Cette rente permettait depuis des lustres de financer un vicaire qui officiait avec cet argent dans cette chapelle [en savoir plus : La fondation du vicariat de la chapelle Sainte-Marguerite].
Mais voilà ! La commune ne l'entend pas de cette oreille. Le Schultheiss Mathias VOEGEL, assisté et soutenu par les membres de son Conseil, vont se lever, vent debout, contre cette injonction. Cette rente qui avait été instaurée en 1316, s'était, avec le temps, délitée en peau de chagrin. La justice doit trancher !
Copie de la visite pastorale de 1706
15 février 1756
Le sergent Jean-François SPETH, officier de la seigneurie d'Andlau, se rend à Valff (qui est situé à deux lieues de sa maison) afin de remettre une lettre à Mathias VOEGEL, le Schultheis, qui le somme, sur la demande expresse du curé SCHECK de lui livrer, comme il était d'usage chaque année, ses dix-neuf sacs, quatre boisseaux de grains (chaque sac d'un volume d'environ 80 litres), moitié seigle, moitié orge, payable chaque année à la St-Martin. Mathias est absent, c'est son fils Jean qui réceptionnera la lettre. Cette rente n'aurait plus été versée depuis 1754 ... Le bras de fer va commencer !
Si on s'arrête sur les chamailleries de clocher, ce procès serait sans intérêt. Ce qui est passionnant, ce sont les documents versés au dossier. Par exemple, grâce à ce procès, il nous est parvenu une copie de la fondation du vicariat de 1316 dans laquelle on peut supposer que la chapelle Ste-Marguerite serait bien plus âgée. On y apprend aussi d'autres informations, comme par exemple :
Compte rendu de la visite épiscopale à Valff de l'Abbé TUAL, prêtre, Docteur de la Sorbonne, Grand Vicaire et officiel général de l'Evêché de Strasbourg, du 14 septembre 1706. Il écrit : « Il y a un Widumgut qui rapporte annuellement près de quarante sacs. Mr le curé n'en a que douze, Mme la princesse d'Andlau joignante les autres. Le sieur BURGLER, curé d'ici (déjà, nous découvrons le nom d'un curé à ce jour inconnu), intenta il y a 10 ans un procès pour entrer dans ce Widumgut. Le résultat de cette demande est à ce jour indécis ». L'affaire sera étudiée une nouvelle fois en 1717.
Sur l'église Ste-Marguerite : « Il y a au milieu du village de Valff, une église sous l'invocation de Ste-Marguerite, elle est plus grande et plus belle que la paroisse qui est dans le château. On dit que la chapelle était autrefois la paroisse ». Autre information pertinente, en 1706, l'église St-Blaise était plus petite que la chapelle Ste-Marguerite actuelle et sans charme particulier. « Dans la chapelle, il n'y a qu'un autel qui n'est guère orné, le sieur curé y dit chaque mois une messe pour laquelle Madame l'abbesse d'Andlau lui donne les 12 sacs de grains provenant du Widumgut. La messe est dite en l'honneur des fondateurs ».
Les arguments
La commune argumente que les revenus à payer sont du devoir de l'abbaye d'Andlau qui est déjà colatrice de la dîme. L'abbaye aurait, dans le passé, délaissé ses obligations en ne versant qu'irrégulièrement les revenus des curés. En plus, le curé cultivait lui-même une partie des terres appartenant à la fondation de la chapelle. Le rapport de 1706 se retourne également contre le curé parce qu'il rapporte qu'il n'est lu qu'une messe par an alors qu'au départ, il était question de desservir chaque semaine cette chapelle. En plus, il ne reste plus aucun témoin assez âgé pour attester que cette redevance n'ai été soldée selon le texte original de 1316. Le refus de la commune de payer la part qu'elle donnait au curé avant 1754 est argumentée du fait que le curé SCHECK a arrêté de dire des messes le dimanche dans la chapelle Ste-Marguerite.
Avec la construction et l'agrandissement de l'église St-Blaise actuelle, la commune considère qu'elle en a assez fait. Elle argumente aussi que lors des jours de fête et les dimanches, 100 personnes seulement sont présentes à l'office tandis que les 500 autres paroissiens restent à la maison pour garder les propriétés et les enfants, le curé ne remplit donc plus son devoir de religion. Afin d'y remédier, il avait été décidé de lire plus de messes, ce qui n'est pas assuré à ce jour. Le curé n'a qu'à s'adresser à l'abbaye d'Andlau et non à la commune ! La commune fait une offre de compromis, le curé dit les messes à la chapelle et la commune payera… mais refus du curé !
Les membres de la commune signent une pétition en 1756 en faveur de l'annulation de la demande :
- Mathias VOEGEL, prévôt (Schultheis : représentant du seigneur)
- Laurent RIEGLER, Heimburger (Maire)
- Joseph ROSFELDER, Michel MARTZ (HB), Etienne SPECHT, Blaise BIRGEL, Martin HIRTZ, Michel LUTZ, Arbogast MARTZ(+), Jean VOEGEL, François KORMANN, Etienne STOEKLE, Mathias et Joseph HIRTZ, Laurent JORDAN, Joseph et Jean LUTZ, Jean ROSFELDER (+), Mathias MOSSER, Antoine et Joseph KLIPFFEL, Antoine et Michel ROSFELDER, François Joseph NEFF, Blaise LUTZ, André KORMANN (+), Marc HEBER, Blaise BURGEL, Blaise VETTER, François Michel SAAS, François ROSFELDER (+), Conrad KORMANN (+), Blaise SAAS, Jean LUTZ, Laurent JORDAN, Chrétien BURGSTAHLER, Jean BIRGEL, Mathias HIRTZ, Jean-George SCHWING, Antoine LUTZ (+), Jean KORMANN, Mathias HIRTZ (+), Antoine DIEHL, Materne LUTZ (+), Antoine RISCH, Thomas KLEIBER, Blaise HIRTZ, Sébastien ROSFELDER , George RAUEL, Antoine KRIEG (+), Jean-Jacques STRIEBEL, Michel SIMON (IRF), Mathias KORMANN le jeune (+), André MARTZ (+), Jacques STEIN (+), Joseph MARTZ, Blaise NACHBRAND, Blaise LUTZ (+), Joseph VOEGEL, François Joseph MEYLE, Jean KLIPFFEL, Thibaut LUTZ, Joseph LITNER, André SAAS, Antoine ANDLAUER, Adam ANDRES, Joseph et Jean KORMANN, Mathias LUTZ, Laurent DIEHL, Sébastien et Martin KLEIBER (+), Jean ANDLAUER, Jean BURGSTAHLER (MK), François KRIEG, Jean KLEIBER, Jean LUTZ, Jaques MARTZ, François LUTZ
Les noms suivis par une croix ont signé soit par une croix, ne sachant donc pas écrire, soit par les initiales reproduites. En tout, 55 hommes et chefs de famille signent. L'ambiance a dû être super chaleureuse en présence du curé !
Compte rendu du jugement de 1770
14 septembre 1764
Le Directoire de la Noblesse de Basse Alsace décide que la sentence de mise en cause est à mettre au compte de l'abbaye d'Andlau et que c'est à elle de régler le problème. Cette dernière fait appel du jugement
6 septembre 1770
Vu que les deux prédécesseurs, le curé ZUM STEIN et le curé HAENNER, tout comme d'ailleurs le curé SCHECK durant deux ans, aient célébré des messes les dimanches et jours fériés dans la chapelle Ste-Marguerite, le curé SCHECK est sommé de célébrer lui-même ou de payer en contrepartie de 19 Viertel et 4 Sester moitié orge moitié seigle (environ 375 litres), un vicaire qui célèbrera de nouveau des messes à la chapelle. 😣
28 mai 1773
L'affaire reste en stand-by :
Acte officiel autorisant la Noblesse de Basse Alsace de juger, au nom du roi, l'affaire entre la commune de Valff et l'abbaye d'Andlau
Le 11 mars 1778, Jean SCHECK décède à Valff. Ayant cédé, petit à petit, son autorité spirituelle de curé à son demi-frère André SCHECK à partir du début de l'année 1777, il ne verra pas de ses yeux, les années troubles qui pèseront sur le clergé pendant la Révolution française avec l'abrogation de tous les privilèges gagnés depuis des millénaires, heureusement pour lui ! André Scheck devra fuir au pays de Bade... mais c'est une autre histoire !
Acte de décès de Jean SCHECK le 11 mars 1778
- Comptes et dépenses d'une commune alsacienne au XVIIIe siècle (Partie 4)
- Comptes et dépenses d'une commune alsacienne au XVIIIe siècle (Partie 3)
- Comptes et dépenses d'une commune alsacienne au XVIIIe siècle (Partie 2)
- Comptes et dépenses d'une commune alsacienne au XVIIIe siècle (Partie 1)
- Les Dernières Nouvelles historiques de Valff (1788-1790)
- Le patrimoine de Joseph le juif en 1720
- Jean MARTZ, le mercenaire éphémère
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