- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Le Strasburger neueste Nachrichten reproduit une lettre de l'aviateur allemand Joseph SUWELACK : « Quel magnifique spectacle ! Quelle beauté que de voir, à 2000 mètres de haut, exploser ces multiples petits nuages blancs de l'artillerie, de distinguer nos troupes, comme des fourmis, courir vers les lignes des culottes rouges au doux bruit des mitrailleuses et des explosions ! À 1200 mètres, on est encore vulnérables. Un de nos Albatros avait 17 trous dans le fuselage, dont une, à 10 cm derrière le pilote ». SUWELACK sera abattu le 13 septembre 1915. La veille, il avait écrit une lettre d'adieu à ses parents et à ses frères et sœurs.
Semaine du 21 au 27 septembre
Lundi 21 septembre
Colmar : Incroyable ! On apprend que le caricaturiste et condamné pour trahison, le déserteur HANSI aurait envoyé au commandant du district de Colmar des demandes d'emprisonnement de certains de nos citoyens alors qu'il se trouvait à seulement quelques kilomètres de la ville !
Afin d'éviter la pénurie de chevaux pour l'agriculture, la kommandatur autorise l'emprunt de chevaux militaires de 7h30 à 12h00 et de 13h30 à 17h00.
L'association des femmes patriotes de Sélestat organise des cours pour confectionner des chapeaux, habits, lingeries, travaux de coutures etc. Les volontaires bénéficieront de cartes de train étudiant
Aviation : Le Generaloberst von HAUFEN dit savoir que les militaires français auraient reconnu que pour un avion allemand abattu, cinq autres le remplacent et que les troupes au sol sont traumatisées par les balles rouges et la grêle des grenades et des Schrapnells que lancent nos avions.
Nouvelles locales : On nous signale que suite aux récoltes, de plus en plus de câbles téléphoniques et télégraphiques sont sectionnés. Inadvertances et dissimulation de signalement sont passibles de sanctions.
Valff : Et pendant ce temps, les listes de disparus s'allongent. À Valff, le soldat Joseph WUCHER, né en 1892, est porté disparu puis déclaré mort en 1914, bien après la guerre. Aucun acte de décès ne sera jamais établi. Son nom est gravé sur le monument aux morts [en savoir plus : Histoire du monument aux morts].
Joseph WUCHER lors de la fête des conscrits, classe 1892. Un regard prémonitoire ?
Mardi 22 septembre
Oelenberg suite : Et voilà que l'on reparle de l'abbaye de l'Oelenberg ! On apprend que les français auraient incendié la « Hartmühle ». Qu'ils auraient pris en otages quelques-uns de la centaine de moines du monastère, les yeux bandés à Burnhaupt puis relâchés. Ils ont laissé sur place les moines les plus âgés. Le père supérieur a été transféré à Fribourg par nos soldats. Lors de l'affrontement, les moines ont eu tout juste le temps d'emporter quelques bures. Une douzaine d'entre eux, d'origine alsacienne, est restée sur le site. Des 100 vaches que possédait le monastère, il n'en reste plus qu'une, des 1000 volailles, il ne reste que 2 paons.
Val de Villé : Lors de la bataille en août, les français ont capturé les instituteurs de Breitenau et Urbeis et un troisième. Il s'avère maintenant que ce dernier avait été dénoncé par vengeance par un habitant, déclarant aux français qu'il disait haïr ces derniers. Ce n'est qu'avec grand-peine que le curé a pu faire libérer l'instituteur. Le vent a finalement tourné.
Mercredi 23 septembre
Chutes de neige : Dans les Vosges et la Forêt Noire est tombée la neige jusqu'au pied des montagnes. Le niveau du Rhin et de la Moselle est si haut que la circulation a dû être suspendue.
Wasselonne : Le garde-forestier, le capitaine SCHEEL a reçu la croix de fer pour actes de bravoure. Lors de la bataille de Longwy, une balle a traversé sa gorge, soigné à Stuttgart, il est à nouveau de retour au front !
Colmar : Le tribunal militaire a condamné le paysan PETITDEMANGE de Diebolshausen (Le Bonhomme) à dix ans de prison. Il avait, pour protéger sa maison des tirs, hissé le drapeau blanc. Il est père de 10 enfants dont le dernier est âgé de 12 ans.
Muttersholtz : Le village et la région sont inondés, les caves sous l'eau, pour augmenter au malheur une épidémie de diphtérie a emporté plusieurs enfants jusqu'à 8 ans.
Jeudi 24 septembre
Témoignage « Voyage de Strasbourg vers les champs de batailles » : Le 16 septembre, accompagné de militaires, un chroniqueur raconte son voyage vers la désolation. Recherchant la vérité par contraste aux rumeurs troublantes, il se rend sur les lieux de combats : « Nous avons pris le départ le 16 septembre à 10 heures accompagnés d'un habitant de Markirch (Ste-Marie-aux-Mines). Il me raconte en route : la peur des français s'est atténuée. De temps en temps, il arrive qu'on capture quelques soldats isolés, affaiblis et tellement amaigris qu'ils sont trop heureux de se rendre. Ils nous ont raconté que les maladies causées par les vers des intestins et la dysenterie dans les tranchées bétonnées est en grande augmentation. Les pluies incessantes et leurs mauvaises chaussures n'arrangent rien. Les médecins français ne s'occupent que peu de ces malades et beaucoup périssent. Les premières lignes manquent de nourriture ».
Sainte-Marie-Aux-Mines : Contrairement à Obernai, Epfig et Sélestat, les habitants de la vallée de Ste-Marie-Aux-Mines ne ressentent plus aucune angoisse. « On s'est habité aux coups de canons et aux rafales de mitrailleuses, on ne s'effraye même plus ! », disent-ils, « en plus les tirs s'éloignent, signe que les allemands progressent ». Entre Villé et Wanzel (La Vancelle), près de la tuilerie, nous avons découvert les premières tombes de deux allemands. Quelques pas de là, une fosse commune, près du quai de la gare, témoigne de la violence des combats, tout un escadron français décimé à part un survivant qui s'est rendu !
Lièpvre : Près de Lièpvre, une immense fosse renferme 756 français et un peu plus d'une centaine d'Allemands. À l'entrée de Lièpvre, après le passage à niveau, une petite maison raconte une histoire tragique : une mère est morte brûlée avec son bébé de six jours. Musloch n'est plus qu'un tas de ruines. Seuls l'église et l'école sont intactes. À Sainte-Croix, même constat, le médecin MAGNUS avait été fait prisonnier par les français, il a pu se libérer à l'approche des allemands.
Sainte-Marie-Aux-Mines : Sainte-Marie-aux-Mines n'a été endommagé qu'au Haut-village. Le magasin Hallenstein et Bing a été touché par une grenade ainsi que le Grand Hôtel. La propriétaire, Mme RIEGERT, nous montre des grenades presque intactes. C'est la mauvaise qualité du métal qui est en cause. Partout des soldats affairés ! Dans le collège, un obus a traversé la sixième classe, le chemin des débris révèlent la trajectoire. Le théâtre et l'école communale ont été aménagés en hôpitaux. Des civils et des militaires sont soignés de maladies de la gorge, de l'estomac et des intestins, en cause la météo pluvieuse et froide. Le Maire GOTEL est prisonnier en France. Il se trouvait à Lyon au début du conflit. Sa femme a eu des informations qui sont passées par la Suisse, depuis, plus de nouvelles.
Sur le chemin du retour, en passant par les hôpitaux de Sélestat, Benfeld, Erstein et le collège de Matzenheim, nous avons transmis des salutations. Dans la plaine, la récolte de tabac bat son plein. Au loin nous parvient le grondement léger des canons. Le soleil couchant sur les crêtes bleues des Vosges nous gratifie d'un spectacle apaisant.
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