- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Tout a débuté avec la découverte d'une pellicule photo argentique en négatif.
Pour les nouvelles générations, la technique des bobines que l'on extrayait des appareils une fois la dernière prise effectuée est un mystère. Un mystère, tout comme la surprise qu'attendaient les photographes avant l'ère des photos numériques quand ils récupéraient leurs clichés une fois développés. Combien de photos « ratées », mal cadrées ou surexposées, des photos grillées ou perdues allait on récupérer chez le développeur ? Le pire était la bobine mal enclenchée dans l'appareil et le film non exposé. Des souvenirs de fêtes importantes n'étaient alors imprimés que dans la mémoire des participants ... au grand malheur d'une mariée ou d'un vacancier.
Valff est un village agricole. C'est donc tout naturellement que ses agriculteurs ont suivi l'évolution de la mécanisation pour rentabiliser et faciliter les récoltes. Quelques agriculteurs, aisés, ont franchi le pas et ont investi dans des machines avec motorisation à vapeur ou électrique. Un précédent article a abordé le sujet étayé avec les souvenirs d'André VOEGEL [à lire : Le temps des premières machines agricoles].
Mais revenons à notre cliché mystère :
Pour les non-initiés et les jeunes générations, voilà ce que l'on pouvait distinguer sur un cliché négatif qui fait 3x3 cm. Pour les néophytes, les parties claires sont noires et inverse, c'est pour cela qu'on l'appelle : le négatif. On devine, mais mal. Il fallait attendre le fameux développement pour y voir plus clair (c'est le cas de le dire !).
Premier essai de développement. Les premiers détails apparaissent :
Les techniques modernes permettent encore de développer ces vieux clichés. On comprend donc mieux pourquoi cette photo n'avait pas été développée à l'époque : elle est en partie légèrement surexposée. Mais que découvrons-nous ?
Le lieu
On reconnait bien l'endroit : il s'agit du carrefour de la rue Principale et de la rue Meyer. La photo a été prise à la hauteur du n°224 de la rue Principale.
La date
On distingue la présence de poteaux électriques. Sachant que l'électrification du village a été mise en place à partir de 1910, on peut supposer que la photo date probablement de la première moitié du XXe siècle.
Le cadre
Sur la gauche, on aperçoit des hommes affairés à une activité agricole. Un chapeau canotier dévoile que nous sommes en plein été. C'est la moisson des blés. Des ouvriers agricoles se sont établis sur la petite place de l'actuel arrêt de bus et du grand tilleul. Une charrette tirée par un cheval et remplie de paille revient du bas-village.
Kirneck, ancienne maison aujourd'hui détruite, 254 rue Principale et ancien pont menant à la rue Meyer (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Le miracle de la numérisation
Pensez-vous que nous avions envie de nous arrêter là ? Nenni ! Les programmes numériques de traitements de l'image moderne font des miracles. Nous avons testé pour vous :
Et des détails invisibles apparaissent ! Le tilleul est encore un jeune arbre, derrière lui une construction sous laquelle est installée une machine agricole qui surplombe la rivière Kirneck. On distingue aussi, avec plus de détails maintenant, l'état de délabrement de la route avec cette intense activité humaine.
Par exemple, derrière la jeune fille cycliste, une charrette dont la roue est explosée et qui se désintègre tristement sur le bas-côté. On comprend un peu mieux maintenant, les motivations et appels à la civilité de l'ancien Maire ANDRES, et cela, déjà en 1875 [à lire : Discipline germanique et lois françaises : c'est propre !].
Pensez-vous que nous allions nous arrêter en si bon chemin ? Nenni, pardi ! 😁
Le miracle de la colorisation numérique est stupéfiant !
Mais que pouvaient donc bricoler les ouvriers sur la photo ?
Le battage du blé
Comme retracé dans l'article du lien cité plus-haut, l'activité céréalière s'était transformé en artisanat mécanisé. Quelques Valffois en ont fait l'une de leurs activités principales dès la fin du XIXe siècle, comme le témoigne l'extrait de journal du 14 septembre 1892 ci-après :
« Stotzheim. Ce matin, vers trois heures, la cloche du feu a réveillé la population. Les dépendances de Georg KRETZ, qui, la veille, avait sollicité la machine à battre le grain de Valff, étaient en feu. Les animaux et la machine n'ont pu être sauvés. Les dépendances de Georg RUHLMANN ont également été la proie des flammes. La maison d'habitation a été sauvée à grande peine. On suppose un acte criminel par vengeance ».
Dreschmaschinenbesitzer (propriétaire de machine à battre (le blé) : Joseph ANTZ, n°197, en 1913
Photos souvenir
Conclusion
Même une photographie non développée à l'époque, car peut-être jugée surexposée, est aujourd'hui un trésor inestimable. Elle est le témoin d'un instant de vie et une archive des occupations des villageois d'antan. Les personnages sont anonymes, les photographiés ont disparu, les chevaux ne sont plus. Il était une fois, dans le paisible village des irréductibles valffois.
Crédit photos :
- Fond Antoine MULLER
- Fond BLUMER, archives de Strasbourg
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