L'ère industrielle de la fin du XIXe siècle a rapidement bouleversé les habitudes que l'on pensait immuables. Le monde entrait dans une période d'inventions novatrices qui allaient bouleverser même les plus profondes campagnes rurales alsaciennes. Dans cet article nous allons faire le tour de quelques de ces « curiosités » et nouveautés que vont découvrir, petit à petit, nos « anciens » du canton de Barr et d'Obernai, agriculteurs pour la plupart, et dont certains ne comprendront plus rien à ce monde en pleine ebulition en train de changer à vitesse grand V.

« Une voiture automobile est une voiture qui marche toute seule » telle est la définition que donna, un jour, un jeune enfant en voyant passer ces curieux engins fumants et pétaradants. Combien coûtait une automobile en 1900 ? Une voiture BENZ valait 2000 Goldmark soit environ l'équivalent de 40 000 euros d'aujourd'hui. Un des premiers modèles coûtait 150 000 euros. Les prix vont régresser très rapidement. Par exemple en 1908, une Ford Model T coûtait 850 dollars puis se monnayait à 300 avec la production en série. La France comptait environ 30 constructeurs en 1900 et qui vont être près de 200 avant la Grande Guerre. Les styliste parisiens flaireront la bonne affaire. Ils créeront des dessus pour la pluie et la poussière. Ces dames seront particulièrement comblées, la « robe tailleur » leur siéra à merveille. Des manteaux en peau de brebis ou de poulains russes seront prisés. Surtout le renard devra courir pour sauver sa fourrure.

L'automobile

Alors que l'on apprend qu'en 1899, le pape Léon XVIII se promène en automobile dans les jardins du Vatican, la première papamobile en sorte, que l'on met en service les premiers taxis à moteur, que les autorités ont déjà trouvé le moyen de taxer les « teufs-teufs » à Paris et qu'elles étudient une « automobile de guerre »,  le journal Strasburger Zeitung fait le constat suivant : « Il y a deux ans encore, personne ne connaissait le mot "automobilisme" ». C'est donc avec grande surprise que nous apprenons la nouvelle suivante sous la plume d'un correspondant strasbourgeois du journal Le lorrain du 31 août 1897 « Où est-ce que le progrès ne va pas se nicher ? On a vu, parait-il, ces jours derniers, un automobile gravir le Sainte-Odile en 2 heures ». En 1897, l'automobile était encore au stade expérimentale. Un éditorialiste utilise le mot « Kinderschuhe ». Une automobile qui aurait grimpé au sommet du Mont St Odile. C'est incroyable !

Pour vous faire une idée, en 1897, on trouve dans les journeaux locaux, ne serait-ce qu'une toute minuscule allusion à l'existence d'une automobile en Alsace. Toutes les nouvelles relatives à ces  « fiacres automobiles » nous viennent de Paris. Le journal Strasburger Post parle encore de Petroléumwagen ou electricitätwagen. On ne différencie pas encore les Motorenwagen, nom donné aux tramways, des Motorenwagen, nom donné aussi aux automobiles. D'ailleurs, avez-vous remarqué que l'on parle d'un automobile dans l'article du Le Lorrain ? En effet, l'académie française confirmera le genre masculin pour les raisons invoquées suivantes : même si on dit une locomotive, automobile sera décliné au masculin parce que ce sont des hommes qui ont mis au point et inventé le moteur, remplissent le réservoir d'essence et tournent la manivelle. Imparable ! Dans la langue allemande le nom Automobil est resté jusqu'à nos jours au masculin. Un éditorialiste écrit au sujet de l'automobile : « Le romantisme du bon et vieux temps est foutu ! » Donc l'affirmation, qu'une, pardon, un automobile aurait grimpé les lacets du Ste Odile en 1897, c'était vraiment un sacré scoop !

Extrait du journal Le Lorrain du 31 août 1897

Les premières difficultés

Restons dans la belle région d'Obernai avec une lettre ouverte postée par « une chauffeuse » pionnière de l'automobile. Vous constaterez que les choses sont allées vite. Maintenant, on est déjà passé à l'ère des femmes conductrices ! Même si de nos jours le fait que les femmes conduisent une automobile est une évidence, il en était tout autrement à l'époque. Nous vous donnerons plus d'informations sur l'identité de la conductrice ci-après. C'est encore dans le journal « Strasburger Post » du 23 novembre 1899 que les lecteurs peuvent découvrir la doléance de cette femme qui s'identifie être membre du Motorenwagen Vereins. Elle signe « une chauffeuse » au nom des Motorwagenfahrer (conducteurs de voitures à moteur).

Elle écrit : « Les membres du club des véhicules à moteurs qui sont sous le protectorat du Statthalter et dont le député et conseiller comte ZEPPELIN-ASCHHAUSEN a pris la présidence, se permettent d'attirer les autorités au sujet d'une situation qui rend les routes d'Alsace-Lorraine "Lebensgefärlisch" et périlleuses. Lorsque nous, (les automobilistes), rentreront d'une promenade, le soir à la tombée de la nuit, nous rencontrons et croisons souvent, comme par exemple sur la route d'OBERNAI, 30 ou 40 attelages, dont aucun, comme c'est obligatoire, est équipé de feux de signalisation. Le conducteur automobile ne voit, ni n'entend, arriver ces obstacles. La prudence et les réflexes ne sont pas toujours suffisants pour éviter une collision qui pourrait être critique et même mortelle pour les deux parties. Le passage des villages reflète le même visage. Devant les auberges sont souvent stationnés, 6 ou 7 attelages barrant le passage. Une quelconque signalisation n'est qu'un rêve. Leurs propriétaires sont tranquillement assis à l'intérieur et laissent notre Bon Dieu faire le reste. Le chauffeur peut claironner tant qu'il veut: personne ne se laisse perturber, personne ne bouge ! Dernièrement sur la route d'Obernai, lorsque je me suis frayée un chemin entre ces carioles, les chevaux effrayés de deux attelages se sont mis en travers de ma route ! Ce n'est qu'avec grande peine que j'ai pu éviter une catastrophe ! 

Dans le pays de Bade, les conducteurs d'attelages sont plus aimables et se munissent de lumière la nuit, contrairement à nos chers concitoyens. Chaque fois que leurs chevaux s'agitent, ils sautent de la charrette et tiennent leur animal par les rennes. Je me souviens de cette ancienne coutume qui consistait à couvrir les puits pour éviter que des enfants puissent y tomber. De la même manière, je sollicite aujourd'hui les autorités à être attentives à la situation, tant pour les automobilistes que pour les conducteurs d'attelages. L'intérêt croissant pour le sport automobile, la continuelle progression du trafic, doivent faire leurs, pour nos très conservateurs concitoyens, les paroles d'un vénéré et disparu avocat qui a dit que la population doit être éduquée dans le sens de la "voie du chemin de fer" (Eisenbahnmäsig) et non à la manière d'une bicyclette qui zigzague. Les autorités ont l'obligation d'éduquer le peuple. C'est pourquoi, son devoir est de légiférer, de faire respecter et de sévir, et s'il le faut, avec l'aide de la gendarmerie ».

Signé : une chauffeuse

Clémence HIRTZLIN

Mais qui est cette énergique « chauffeuse » ?

Il ne peut s'agir que de Clémence HIRTZLIN, qui fut baptisée de son vivant « La reine de l'automobile ». Nous savons qu'elle possédait une voiture Duc Delahaye qu'elle est allée, elle-même, récupérer à Paris en la pilotant de la capitale jusqu'à Strasbourg. Elle est membre de l'Automobile club d'Alsace Lorraine qui a vu le jour le 7 septembre 1899 [en savoir plus : La genèse de l'automobile en Alsace en 1900 (partie 2)]. En ce qui concerne Clémence HIRTZLIN, elle se distinguera par son esprit pionnier et on peut affirmer qu'elle fait partie des toutes premières femmes, voire de la première femme, pilote de course [en savoir plus : La première femme pilote de course automobile sur route est alsacienne !].

Pour ce qui est des dangers routiers, la même année 1899, une automobile renversa un taxi hypomobile dans l'allée de la Robertsau à Strasbourg, devant le restaurant Baeckehiesel. La cohabitation des vieux et des nouveaux usagers imposera une période d'apprentissage. Heureusement les trois occupants du taxi s'en sortiront indemnes. Les médias rapporteront de plus en plus de collisions, comme en janvier dans la rue du Vieux marché aux poissons qui impliqua une charrette ou celle de ce jeune garçon qui traversa devant une automobile et s'en sortira avec une grosse bosse.

Drosche, taxi hypomobile

La route menant au Ste-Odile restera un chemin forestier jusqu'en 1913, année ou elle sera enfin revêtue d'une couche dite « carrossable ». Extrait d'un article du journal Der Volksfreund : « La route est enfin carrossable à partir d'Obernai. Elle permet désormais d'atteindre le mont Ste Odile en automobile. Avant, il fallait utiliser le petit train en partance de Rosheim qui s'arrêtait à mi-parcours, et le reste se faisant à pied. La voiture Renault de Monsieur SCHMITT avec ses 40 chevaux de puissance a inauguré la montée ».

Le 3 mai 1900 le journal Strasburger Neueste Nachricht publie : « Les membres de l'Automobile Club d'Alsace nouvellement crée sont passés, lors de leur dernière sortie, par les villages alsaciens d'Entzheim, Dorlisheim, Mutzig et jusqu'au restaurant « Hôtel de la Poste » à Urmatt. Un repas gastronomique au son du piano invita à la dance les heureux propriétaires de pétrolettes. A 15 heures, on décida de reprendre le chemin du retour par Gresswiller, Boersch, Klingenthal, Ottrott et Obernai. Mme HIRTZLIN, la reine de l'automobile (dixit dans le texte) qui avait participé à la course Strasbourg - Paris, dans sa magnifique voiture, est arrivée première à Ottrott. De Gresswiller à Klingenthal, les pentes pouvaient atteindre jusqu'à 18% mais certaines voitures continuèrent à grimper les cotes à 7 ou 8 km/h ! Les conducteurs de voitures de construction plus ancienne et les néophytes attendirent sur le plat du Restaurant Borstell à Ottrott et à l'hôtel Vormwald à Obernai où le vice-Président SCHUTZENBERGER tint un discours de circonstance puisqu'il était resté bloqué pendant trois heures par suite d'une étourderie. Il avait « oublié » d'ouvrir le robinet d'arrivée d'huile de son moteur ce qui eu pour conséquence de surchauffer les paliers. Il tint donc cette originale parole proverbiale : « Schmier' mit Fleiss, Sonst laufen sich die Lager heiss (Graisse grassement, sinon tes paliers surchaufferont) ».

La course du 8 juin 1902

Le dimanche 8 juin 1902, l'Automobile Club d'Alsace Lorraine a organisé une course qui emprunta l'itinéraire suivant : Strasbourg - Barr- Ribeauvillé - Colmar - Horbourg - Marckolsheim - Strasbourg.

Journal l'Auto-vélo de 1902

Un petit doute subsiste si cette course a bien eu lieu. Par contre ce dont nous pouvons être sûr, c'est que le photographe Ernest BURCKEL de Barr a attrapé le virus de l'automobile à cette époque. Ernest est connu pour avoir possédé la première voiturette à Barr que l'on aperçoit sur la  carte postale ci-dessous. L'auto est une De Dion, moteur monocylindre de 402 cm3 développant 3,5 ch à 1500 tr/mn. La vitesse maxi est de 30 km/h. C'est le premier modèle De Dion équipé d'une marche arrière.

Carte postale datant de 1904 avec l'avenue de la gare

Ernest BURCKEL

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.