- Écrit par : Rémy VOEGEL
- Affichages : 634
La guerre tant redoutée bouleverse la vie des alsaciens. Des nouvelles des villages locaux sont presque inexistantes, les hommes et les correspondants sont enrôlés, les journaux se résument à quelques pages, quant aux insertions publicitaires ... elles, au moins, persistent contre vents et marées ! Poursuivons l'analyse du quotidien de nos anciens en août 1914.
Semaine du 10 au 16 août 1914
Lundi 10 août
Premières escarmouches. Le croiseur « Augsburg » a bombardé avec succès le port de Libau (aujourd'hui en Lettonie) et a posé des mines. Le Monténégro déclare la guerre à l'Allemagne.
La Kaiserin Augusta Viktoria de Prusse appelle toutes les femmes allemandes de supporter et encourager, avec optimisme, leurs maris, fils et frères. « Que Dieu le Tout-Puissant, veuille fortifier toutes les femmes allemandes pour cette sainte œuvre en cours et pour leur donner la force de dédier toutes leur âme à notre Patrie ».
Proportion des troupes mobilisées en août 1914 en Europe
Le curé de Meistratzheim donne l'exemple : le religieux a organisé la bonne tenue des récoltes. Il a lui-même supervisé la récolte et l'approvisionnement devant la machine à battre à vapeur. Son exemple est à suivre !
Appel pour servir comme pompiers volontaires à Strasbourg ? 250 hommes se présentent. Au passage de troupes à Sélestat, les sélestadiens ont su faire preuve de bienveillance. Ils ont proposé aux militaires, de l'eau, du café, du rhum et du sucre. Pourtant, nos médecins conseillent de ne pas donner d'alcool aux soldats, mais plutôt du thé ou du café froid, des gâteaux, du chocolat ou des fruits.
Le bruit des canons a été entendu au loin vers midi dans notre village. Nos prières ferventes montent au ciel pour des combats victorieux. Nos églises sont pleines à craquer : « Gott mit uns ! ».
Gott mit uns !
Le cavalier prisonnier français capturé à Saarbourg par nos soldats a été emmené sur son cheval jusqu'à Saarbourg. Il a été l'attraction du jour. Le prisonnier a été reçu par les officiers avec la plus grande « courtoisie » et traité avec camaraderie.
Les dispositions sont prises pour accueillir les premiers blessés. De nombreuses maisons arborent le drapeau de la Croix-Rouge. Les premiers soldats blessés accueillis, sont des français qui ont été abandonnés par leur hiérarchie sur le terrain, lors des premières escarmouches. Un soldat français est décédé ici des suites de ses blessures. D'autres auberges sont encore fermées par la police pour avoir servi de l'alcool ... et la vie continue ... et la publicité aussi, pour des boissons, des meubles ou de la lessive.
Marché d'Obernai (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Ah ! Les femmes ! Alors qu'il n'y a aucune pénurie alarmante, les femmes ont attrapé la folie de l'achat compulsif. Sur les marchés, quand une dame fait un stock conséquent, toutes les autres suivent le pas avec une frénésie bouillonnante. Cette situation amène même à des scènes tendues, voire conflictuelles et ce sont souvent des femmes de milieux « favorisés ou aisées » qui sont les pires ! C'est du pur égoïsme ! Le résultat est surprenant : alors que l'on stocke des nourritures non périssables en masse, les fruits et les légumes frais, malgré des prix attractifs, ne trouvent plus preneur et pourrissent. Les femmes ne font plus la cuisine, les hommes sont partis à la guerre !
Mardi 11 août
Dernières nouvelles : l'ennemi qui s'était introduit par Belfort jusqu'à Mulhouse, probablement le 7ᵉ Corps français et une division d'infanterie, a été rejeté vers le Sud. Nos pertes sont faibles, celles de l'ennemi élevées. L'ensemble du 7ᵉ corps et une division de cavalerie a été repoussé.
Remerciement du Maire HARTMANN de Sélestat pour l'organisation de la soupe populaire.
Avertissements : Il arrive que nos troupes tirent sur des avions ennemis. À ce moment, de nombreux curieux sortent pour voir le spectacle. Cette initiative est dangereuse, les balles tirées retombent et peuvent causer de graves blessures. Restez à l'intérieur ! À quoi reconnait-on les avions ennemis ? Les ailes des monoplans et des biplans sont frappées, en dessous, de la cocarde tricolore large d'un mètre. Il est arrivé qu'on les confonde et que certains tirs ont été opérés sur nos propres avions. On peut confondre les insignes régionales (bavaroises) qui sont mal interprétées. Les ballons ont maintenant leur nom peint en grand et en noir sous la nacelle et sur le devant. Ils arborent également notre drapeau et en face un fanion une fois 1/2 plus grand que le drapeau, lui aussi peint avec nos couleurs nationales.
Courrier . Les cartes « Feldpost » pour les militaires peuvent être achetées 1 Pfennig pour 2 cartes et 5 Pfennigs pour 10.
Un cheval militaire fou, sans cavalier, a traversé Strasbourg au galop la ville près de la Porte de l'hôpital. Un livreur de journaux de 16 ans, sur son vélo, a essayé d'arrêter l'animal et l'a poursuivi jusqu'à Bischheim. Le cheval a rué et a percuté le malheureux au front. Il est décédé à l'hôpital.
Mercredi 12 août
Le Kaiser WILHELM remercie dieu et ses troupes pour la victoire dans le Sud de l'Alsace.
Le village de Lagarde en Lorraine a été attaqué par le 15ᵉ corps d'Armée français. L'ennemi a été rejeté avec de grandes pertes dans une forêt près de Lunéville. Nos troupes ont récupéré leur drapeau, deux batteries de canons, quatre mitrailleuses et 700 prisonniers.
Le canonnier HEMBEGER d'Hochfelden devait se présenter au Régiment de hussard n°9 de Strasbourg. Son père, la poitrine bardée de médailles françaises et allemandes qui a servi comme premier trompette dans l'armée française en 1870 et qui a donné le signal de l'attaque à Morsbronn a dit au-revoir à son fils avec ces paroles : « Schossef, je sais que t'es un brav'fils ! Comporte-toi comme un vrai Alsacien ! Sois toujours parmi les premiers ! Il ne volera pas plus de balles au-dessus de ta tête qu'ont volé au-dessus de la mienne ! ».
Le lendemain, le Rittmeister demanda 10 volontaires pour former une patrouille. HEMBEGER a été le premier à se porter volontaire. Les 10 autres étaient des Alsaciens ! Bravo aux Alsaciens !
Suite à la situation exceptionnelle les mariages explosent à Strasbourg, 170 couples ont vu leurs formalités de mariage simplifiées. Il leur a suffi de deux témoins... et ils étaient mariés.
Le bruit court que la limite de l'âge d'incorporation va être augmentée. C'est une fausse rumeur. Cette disposition doit être promulguée par une loi.
Automobile, interdiction de circuler pour les automobiles privées.
Les prix sur les marchés
L'éclusier MEYER de Strasbourg, père de cinq enfants, était en train de prendre des notes dans son carnet de relevés de service quand un garde, voyant la scène et le prenant pour un espion, l'a interpellé de lever les bras. L'éclusier pensant que l'ordre était donné à quelqu'un d'autre n'a pas obtempéré. L'agent a tiré sur le malheureux et l'a tué d'une balle dans le ventre.
Les familles pauvres dont le père est parti à la guerre peuvent demander des tickets de rationnements. Ces tickets sont à réclamer dans les bureaux de bienfaisance. Les denrées comme l'alcool, les cigarettes ou les sucreries ne sont pas concernées.
Le lieutenant Albert MEYER de Magdebourg a été fait prisonnier à la frontière près de Mulhouse. Sa mère a reçu le télégramme suivant : « Le régiment vous annonce que votre fils est porté disparu et vraisemblablement été admis à l'hôpital militaire de Belfort. Il a combattu avec honneur et son régiment est fier de son courage ». Aux dernières nouvelles, le lieutenant MEYER est décédé. Il a été enterré avec les honneurs à Belfort par les dragons français.
Jeudi 13 août
Nous apprenons qu'à Mulhouse nos soldats ont fait prisonniers 10 officiers français et 513 soldats. Nous avons également capturé 4 canons, 10 véhicules ainsi que de nombreux fusils.
A Lagarde en Lorraine, contrairement à ce que nous avions annoncé, nous avons fait encore plus de prisonniers : ils sont 1000, soit 1/6ᵉ du Régiment !
Les journaux diffusent, pour la première fois, les listes des pertes. Ces listes seront diffusées pendant une grande partie de la guerre. Les noms sont parfois accompagnés avec l'information du lieu d'origine. On comptabilise les premières pertes alsaciennes : la mort d'Émile Lucien ANTON de Mulhouse et fait prisonnier, Lucien SINGER de Sennheim (Cernay).
Le Maire d'Ignen-Avricourt et deux autres personnes ont tiré sur nos soldats à Saarbourg. Ils ont été arrêtés et interrogés.
Le ténor de l'opéra de Berlin, Walter Kirchhoff s'est rendu au chevet de nos soldats du 13ᵉ dragons à Metz. Il avait été, avant de devenir une vedette, officier dans l'armée.
Prisonniers allemands en Haute-Alsace
Un avion français est passé au-dessus de la ville de Forbach. Il a été copieusement canardé. Il a lancé des tracts où il était écrit « C'est une guerre sainte qui débute, toute la France est résolue à libérer l'Alsace-Lorraine du joug de l'oppresseur et de la situation dans laquelle elle souffre depuis 40 ans. Vive l'Alsace-Lorraine ! Vive la France ! ». Il parait que l'aviateur gravement blessé a dû atterrir d'urgence à Dudweiler près de Sarrebrück.
Nos vignes sont malades de l'oïdium. Il est impératif de les pulvériser avec du soufre mélangé avec des cendres.
Avertissement, les grandes quantités de farines et de semoules stockées risquent de pourrir si elles ne sont pas ensachées au sec.
Sur ordre du Statthalter ont été nommés à Barr :
- Maire : Dr Friedrich HECKER
- Adjoints : Emile WEIL et Adolphe TAUFFLIEB (les deux ont des origines Valffoises)
Il est stupide de croire à certaines rumeurs. Il est faux que Belfort a été pris par nos troupes, de même que nous aurions décimé des régiments entiers. Les impôts seront à payer comme d'habitude en temps et en heure et la guerre ne change rien à la situation.
Vendredi 14 août
L'Angleterre déclare la guerre à l'Autriche.
Les alsaciens et alsaciennes qui ont pu revenir de France en Alsace témoignent de la grande angoisse que suscite la guerre là-bas. La guerre et la défaite de 1870 reste dans les mémoires. Les alsaciens ont dû fuir à cause des brimades, persécutions et menaces qu'ils ont subies et la haine des allemands. La presse française accuse la triple entente d'être une des causes du désastre.
Pendant la bataille de Mulhouse, le directeur très connu en Alsace, George CHATEL, 40 ans, des usines de fabrication d'avions Aviatik qui employait 300 ouvriers, est décédé. Il a été tué avec son épouse par l'explosion d'une grenade à Riedisheim le 9 août.
Le 21 août aura lieu une éclipse solaire totale sur toute l'Europe. En plus, une comète découverte en 1913 sera visible. Est-ce un présage pour l'avenir ?
Suite aux retraits d'un grand nombre de plaintes, les tribunaux de Justice tournent au ralenti. La guerre focalise d'autres priorités.
Le procureur du tribunal de Saverne ordonne que le journalier Jean-Baptiste NEFF, né le 11/8 1883 à Walf, mesurant 1,69-1,70 mètre, large d'épaules, moustache blonde foncée, yeux bleus, grand fumeur, est a arrêter pour blessure volontaire et à livrer à la prison la plus proche. Jean-Baptiste est le fils de Jean-Baptiste décédé eb 1903 ( Jean-Baptiste NEFF sera plus-tard propriétaire du restaurant « Au Tilleul ».)
Soldes à Sélestat. Pourquoi pas ?
Samedi 15 août
Des prisonniers français témoignent. Lors de la bataille de Mulhouse, notre lieutenant a demandé « Mais où sont donc les Allemands ? Ils nous tirent comme des lapins ! ». Les soldats français ont été touchés à moins de 50 mètres en pleine poitrine. Avec leurs uniformes « Feldgrau », les soldats allemands, bien camouflés, ont pu approcher les français au plus près. Les soldats de la 14e division d'infanterie étaient partis de Belfort, habillés de leur uniforme de couleur, képi et pantalon rouge et veste bleue d'exercice. " On avait rien d'autre à nous mettre" témoigne un lieutenant ! Un soldat regrette « On nous a dit de montrer notre drapeau tricolore aux allemands. C'est ce qu'on a fait ! Nous ne connaissions aucune de leurs positions, nous n'avions que des cartes minuscules ! ».
Prisonniers français
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Fronti%C3%A8res
Un dirigeable français a survolé de nuit la ville de Forbach, tous feux éteints, et a lâché 8 bombes sur la gare.
La guerre est aux portes de l'Alsace. Que va-t-il se passer ? Suivez les nouvelles du 17 au 24 août comme si vous y étiez !
A suivre ...
Autres épisodes :
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre mondiale : semaine du 27 au 31 juillet 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre mondiale : semaine du 1ᵉʳ au 9 août 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre mondiale : semaine du 10 au 16 août 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre mondiale : semaine du 17 au 23 août 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre mondiale : semaine du 24 au 30 août 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 31 août au 6 septembre 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 7 au 13 septembre 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 14 au 20 septembre 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 21 au 27 septembre 1914
- Il y a 110 ans : l'aviation
- Il y a 110 ans : les attractions
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 6)
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 1er au 9 août 1914
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 5)
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 4)
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 27 au 31 juillet 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 3)
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 2)
- Condamnés pour avoir fauchés ... de l'herbe !
- L'accident de Jean BUGATTI