Dans un article précédent, je vous présentais les méthodes de sorcellerie au XVIIe siècle. Voici le récit d'un procès de sorcellerie des Seigneurs de Niedernai.
Les Archives de la Région Alsace, cote 2 J 382 (chartrier de Niedernai), renferment un recueil de compte-rendu des procès de sorcellerie des Seigneurs de Niedernai de la période du début du 17ᵉ siècle. Les interrogatoires se déroulaient sur la base d'un manuel de référence, en l’occurrence le Malleus Maléficarum (le Marteau des sorcières), rédigé par des moines bénédictins.
Un des procès est celui de Margareth, la veuve de Mathis CUNTZMAN de Meistratzheim. Ci-après une traduction adaptée du texte allemand d'origine.
Lundi 1ᵉʳ février 1627
Marguareth est emmenée dans la salle du château de Niedernai. Elle est accusée par un certain Caspar ANDRES d'avoir paralysé son fils et d'être une sorcière. En présence de Sigmund, Wolff et Jacob de LANDSBERG, du greffier et du receveur, elle est interrogée et suppliée avec compassion et bienveillance (texto) à avouer. Mais elle nie ; SIGMUND essaie de la convaincre qu'il n'est pas honteux de renier le Méchant pour recouvrer la grâce de Dieu ! Elle persiste et clame son innocence.
Finalement, Maître JEAN, le bourreau, lui déshabille le buste pour y trouver la marque du diable. Sous l'épaule gauche, il décèle un gros grain de beauté qu'il pique avec une aiguille… Il n'y a pas de sang qui coule ! La preuve est faite. C'est une sorcière !
Elle est emmenée dans la foulée dans la chambre des tortures : elle est déshabillée en présence du greffier, de Sigmund de LANDSBERG puis attachée par les bras et hissée. « Elle n'a ni pleuré ni s'est plainte, elle s'est même payée le luxe de sourire », écrit le greffier. Lorsqu'on lui fait remarquer qu'elle ne réagissait pas comme une vraie femme, elle rétorque : « Qu'on pouvait lui couper la tête, qu'elle n'en avait que faire ! ». Après l'avoir laissé pendue quelque temps, elle est transférée dans la « Stub » du château pour qu'elle rumine jusqu'à mercredi… en attendant les affaires sérieuses.
Le mercredi 3 février
Confrontée à Caspar ANDRES celui-ci vocifère que l'on devrait la laisser mourir comme elle le demande et que si elle ne recevait pas la punition qu'elle mérite, c'est lui qui se chargerait de ses péchés et accepterait la mort.
Concernant le mal qu'elle aurait fait au fils de Caspar ANDRES, elle répond que celui-ci était debout, qu'elle lui a seulement caressé les jambes parce qu'il avait du mal à marcher… et qu'ensuite, il était paralysé et que de toute façon, elle ne se souvenait plus de rien puisque les faits s'étaient passés depuis si longtemps !
On décide de l'amener à la torture. Déshabillée puis liée sur une planche, elle est pendue. Mais, obstinément, elle persiste ne rien avoir à faire avec le diable et rétorque que l'on pouvait la déchirer en morceaux quand on voulait. Même pendue pour la troisième fois après lui avoir accroché une pierre aux pieds, elle nie. Décrochée, elle est renvoyée pour le lendemain.
Jeudi matin 4 février
Sigmund de LANDSBERG la conjure de se tourner vers Dieu et de raconter comment elle est devenue sorcière, mais elle se contente de rire lorsqu'on la menace de ramener d'autres témoins. Elle répond qu'elle se doute bien quels genres de témoins, on allait trouver. Pourtant, après de nombreuses séances de tortures, elle finit par avouer. Elle explique qu'il y a environ neuf ans, le méchant esprit est venu chez elle à la ferme dans la ressemblance de son mari et a eu des relations immorales avec elle. Elle précise qu'il était de nature… froid comme de la glace.
Il est revenu deux jours plus tard, lui a demandé de renier Dieu et tous les saints en commettant des actes de fornications. Il lui a ensuite proposé le mariage qui aurait lieu à l'extérieur du ban de Meistratzheim près du pont de pierre, à côté du grand chêne, sur le ban voisin de Valff. À partir de ce moment, les questions fusent : qu'est-ce qu'elle a vu à ce mariage ? qui y était présent ? comment s'appelle ton amant ? Elle révèle que c'est un mariage normal avec un banquet sans sel et sans pain et qu'il s'y trouvait deux autres personnes qu'elle refuse de dénoncer.
Jeudi après midi
Après un interrogatoire musclé assorti de séances de tortures, elle lâche les noms : Michel KORMAN et sa femme Maria et des personnes de Bischoffsheim. Puis, elle révèle le nom de son amant diabolique : Storcklein FUSS (pied de cigogneau). Suivent les questions classiques : à qui a-t-elle causé des dommages ? quels animaux a-t-elle tués ? combien d'intempéries a-t-elle causées ? Elle raconte qu'en allant à Valff acheter un cochon, elle a rencontré une fillette du nom de ELS dont la mère habite près du château. Elle l'aurait paralysé au nom du diable puis elle est morte peu après.
Pendant la guerre de Mansfeld (guerre de trente ans), elle a caressé un enfant de 10 ans à Obernai qui est mort. Également, il y a 3 ans, elle a tué la fille d'Hans KUEN âgée de 20 ans à Bischoffsheim. Elle a touché la main de la fille de sa sœur jusqu'à ce qu'elle meure. Elle a tué une femme de Krautergersheim au nom du diable chez qui elle était allée acheter des plants de choux. Après la guerre de Mansfeld, elle a tué une truie rouge, un poulain, un veau et une vache rousse de deux ans. Elle a aussi participé il y a six ans à une danse sabbatique à Bischoffsheim sous le tilleul en chevauchant son chat au nom de Storcklein FUSS et est revenue en volant… sur le chat !
Vendredi 5 février
Présentée plusieurs fois à Sigmund de LANDSBERG, pendue avec des poids aux pieds, elle est sommée de révéler les noms de ses complices. Elle parle de Catherine METZ nommée Cath la veuve d'Hans MEISTRATZHEIM, le Schultheis (écoutète). Elle était invitée au mariage satanique de Catherine dans la forêt de Valff ... lieu qu'elle a rejoint en volant sur son chat. Était présent : Salomé, la femme de Lienhard RIPPEN.
Les charges étant avérées, ayant avoué et prête à passer de vie à trépas (d'après le greffier), elle est conduite devant la Besiebung (Conseil de sept témoins) où sont lus les chefs d'accusations, puis devant un jury composé de 15 juges dont 7 écoutètes et des membres du tribunal de Niedernai et Meistratzheim.
Elle est finalement traînée devant la famille de LANDSBERG et leurs avocats, reconnue coupable de sorcellerie et présentée au Juge des Maléfices (Malefitzrichter). Celui-ci, en vertu des droits inquisitoires qui lui sont conférés, condamne Margaret CUNTZMAN de Meistratzheim à être cintrée d'un corset en fer chauffé au rouge autour de la poitrine et de la main gauche, brûlée puis réduite en cendres et les cendres en poudre et la poudre enfouies… afin que les restes ne puissent plus nuire ni aux hommes ni aux animaux !
Après avoir fait appel du jugement, Margareth bénéficiera de la mansuétude du juge qui permettra qu'elle soit décapitée avant d'être brûlée, en ce jour, lundi 8 février de l'An de Grâce 1627.
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