- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Un petit peu de torture, un soupçon d'intimidation et une minuscule pincée de violence et vous avez la recette d'un bon aveu bien véridique à souhaits. Ceci est l'histoire d'Anna PLEGER de Zellwiller.
Nous sommes en 1631. Partout en Europe c'est la paranoïa. La chasse aux sorcières bat son plein. Anna est l'épouse du Schultheis Lorentz HUETTER. Dénoncée, accusée de sorcellerie, torturée, elle avouera les choses les plus sordides... La machine infernale de l'Inquisition est en place dans la cité de NIDEREHNHEIM (Niedernai). Anna est emprisonnée dans la chambre des tortures. Suivons le déroulement de l'histoire invraissemblable qu'elle finira par raconter à ses tortionnaires après de longues heures d'agonie. Vous comprendrez que tout n'est que pure invention, mais une invention forcée dans la souffrance qui lui coutera la vie :
Pourtant, tout avait si bien commencé ! Attention Mesdames, si un beau jeune homme vous aborde et tente de vous séduire, il s'agit peut-être du malin déguisé...prudence ! C'est ce qui est arrivé à Anna. Le beau corps du jeune Michel ANDLAUER de VALFF servit au démon d'enveloppe pour aborder et séduire la naïve Anna. Il y est allé franco le Michel ! Il a proposé direct à Anna de pratiquer la fornication. En bonne épouse, elle a naturellement refusé catégoriquement ... dans un premier temps ! Mais comme la chair est faible et le MICHEL si beau ...
Plan de Niedernai où Anna a été emprisonné et torturé
Fini le beau Michel
Après avoir consommé le péché de la chair, elle le trouvera finalement d'un aspect physique plutôt ... animal . Se reprenant, elle finit dans un élan de repentir par invoquer Dieu et oh surprise ! notre Michel, (enfin le diable déguisé) s'évapora aussitôt. Trois jours plus-tard notre séducteur, alias le démon, réapparu à nouveau dans la cour du père de la victime. Cette fois-ci c'était dans l'intention de la pousser à renier Dieu et de l'adorer lui (le malin). Comme elle resta réticente, il l'obligea à monter sur son attelage tiré par quatre chiens, direction la forêt pour célébrer un mariage. Leur mariage ! Fini le beau Michel ! Une fois atteint la forêt, le diable se montrera sous sa vraie constitution habillé de noir avec un chapeau à plumes vertes et une jambe en forme de pied d'oie. Pour la remercier, le demi palmipède lui confie son vrai nom : Peterle. Son nom a elle sera désormais Geumel ! Elle est baptisée à nouveau . C'est un autre démon qui les marie. Trois tables d'invités observent la scène. Les festivités peuvent commencer... Pas très romantique tout ça !
C'est fait ! Elle est désormais une sorcière attitrée. Pour faire honneur à son rang elle va commencer par tuer un enfant. C'est le fils de 3 ans de Martin KLIPPFEL qui servira de test. C'est avec l'aide de la mère du petit qu'elle a opéré l'acte. Un peu de poudre de perlimpinpin donnée par le diable mélangé à de la bouillie et l'affaire était réglée. Il y a aussi des moments joyeux dans la vie d'une sorcière comme celui du mariage sabbatique dans le Hagelweg à VALFF. C'était le mariage de la fille de Bastien HESS. Le tout accompagné d'une foule joyeuse de convives de Zellwiller et Valf. On chante, on danse, on fait des blagues et des phénomènes surnaturels. Comme c'est marrant !
La tour du château de Landsberg où Anna a vraisemblablement été enfermé et torturé
Mais revenons aux choses sérieuses. Il a fallu se mettre à trois sorcières pour tuer un renard , fichtre ! avec incantations maléfiques et à distance. Tout art demande de l'entrainement . Et encore une fête de mariage au programme : cette fois-ci elle a eu lieu sur le tas de bois du boulanger communal de Valff. Pourquoi pas ?
Tout cela est bien beau mais les bourreaux veulent du lourd. Ce n'est pas digne d'une sorcière que l'on voudra rôtir plus tard. On augmentera donc les petites attentions .... une petite torture raffinée par-ci, une suggestion d'aveu par-là pourquoi pas ? Les bourreaux ont entendu tellement de trucs incroyables de la part de leurs collègues bourreaux, et si on pouvait faire avouer les mêmes méfaits voire de plus sensationnels ? Anne avoue ce que le greffier présent notera dans son rapport:
- « J'ai fabriqué dans une marmite un brouillard pour détruire les récoltes. Mais ça a raté. J'ai donc renversé la potion ! »
C'est pas terrible, on veut autre chose :
- « J'ai tué une vache rousse dans une étable après l'avoir chevauchée »
Tueuse et mangeuse d'enfant !
Ce sont deux veaux noirs appartenant à Martin KLIPPFEL qu'elle a aussi chevauché dans le Hagelweg jusqu'à leur mort par épuisement. Pas étonnant que les sorcières pullulent ces derniers temps elles ne pensent toutes qu'a s'amuser ! Une petite torture et elle avouera d'avoir tué un cheval noir, et un chouilla de torture supplémentaire pour enfin avoir un aveu digne de ce nom : un meurtre ! Enfin ! C'est super !
C'est Balthasar Martz qui en a fait les frais. Le pauvre était pourtant déjà malade. Pour accélérer sa fin, elle lui a versé de la poudre diabolique dans son verre de vin, ce qui a fini par le zigouiller ! Et le petit bambin âgé d'un an, fils de Conrad STORCK qu'elle a envoyé de vie à trépas en lui mélangeant de la poudre de perlimpinpin dans la bouillie. C'est pas rien ça ?
Et maintenant ! Tenez vous ! C'est du lourd ! Figurez vous qu'elle a tué la fille d'un an de Jacob SCHULTZ et qu'après son enterrement elle l'aurait déterré en cachette et ... mangé avec ses copines ! Ooooh alors là ! Pouah les sorcières ! Les hommes présents sont choqués ! Ca se serait passé à l'occasion du mariage d'une vierge dans le Fehren Priechel à VALFF.
Extrait du rapport d'Inquisition. Le greffier note le meurtre puis la consommation du cadavre d'une fillette de 1 an. Le passage de la prétendue anthropophagie est biffé, les aveux ayant été surement jugé farfelus (sont notées le lieu et les circonstances du méfait, détails précis qui donnent encore plus de crédit aux confessions)
Bon, là c'est un peu trop glauque ! La dernière mention a donc été barrée dans le texte par nos honnêtes tortionnaires. Ils se sont peut-être trop lâchés dans leurs derniers raffinements ... A force de lui suggérer des trucs elle finit par avouer n'importe quoi ! C'est pas sérieux Anna ! Ressaisies toi ! Tu commences a disjoncter ! Un peu de repos te feras du bien. On reprend demain. Bonne nuit et pense à bien dormir !
Le lendemain, reprise en douceur et dans la joie. Elle avoue avoir voulu fabriquer un orage de grêle dans le Bruch mais les cloches qui ont sonné au même instant ont brusquement annulé le sort. Deux porcs qu'elle a chevauché ont crevé. Ce ne fut heureusement pas le cas de son mari a qui elle a versé un breuvage pour le faire passer l'arme à gauche, mais il n'avait pas soif ce jour là. Zut c'est raté ! Elle devra continuer à le supporter encore...
Les principes d'Anna
Pourtant elle a des principes la Anna ! Lorsque le diable lui demande de zigouiller le Seigneur du lieu, alors là... ! On ne touche pas à sa Seigneurie... Mal lui en a pris ! Le méchant l'aurait violemment frappé. Quel être immonde ! Violenter une femme ! C'est quoi ça ? Torturer pour le bien et la Justice par contre c'est autorisé. C'est même conseillé pour le salut des âmes ... C'est l'église qui le dit... surtout qu'Anna aurait blasphémé la Sainte messe avec les paroles de la prière démoniaque suivante : « Vieux pantalon et vieilles fripes » ! C'est pas inouï ça ?
Le rapport se poursuit : « Anna a commis des actes pervers innommables et puis ... » plus rien ! Les écrits dans le document s'arrêtent là. Anna est peut-être morte avant l'heure. Dommage ! On aurait bien aimé la brûler comme il est coutume. Mais bon ! Les bons ouvriers ne sont que trop rarement récompensés, pas grave, on a de nouveaux noms avoué par Anna... à la prochaine de ces dames, s'il vous plait !
Suite aux dernières révélations, ce sera au tour de Christina LORENTZ, d'Odile MARTZ, d'Apolonia LORENTZ puis d'Anna ROSFELDER (Die armen Sünderinen : les pauvres pécheresses dans le texte). Après torture, ces dernières seront condamnées a être cintrées sur la poitrine gauche d'un corset en fer chauffé à blanc, puis sur le bûcher marquées et meurtries sur la main droite a l'aide d'une grande pince également chauffée à blanc. Leur corps a été brûlé, leurs cendres pillées menu et dispersées dans la nature. Les observateurs auront de quoi réfléchir: observer la Justice Divine opérer. Grâce à sa Seigneurie et leurs juges, la protection et le salut des âmes est heureusement préservé !
Les condamnées auront finalement l'indicible privilège, concédée par l'inégalable bonté des juges, d'être préservées de la torture au fer rouge. Merci à eux !
PS : Le récit de l'agonie d'Anna a été rédigé sur le ton de l'humour. Cette tournure cynique a été choisie par l'auteur pour atténuer l'horreur du récit. Nous vous invitons, vous, lecteur, à songer un court instant aux supplices de ces femmes. Elle furent victimes de l'autorité perverse d'hommes à l'esprit embrumé et au cerveau égaré par des croyances enténébrées. Dans la souffrance et l'épuisement, jour après jour, les réponses avouées et sans relâche suggérées par les tortionnaires, permettaient aux suppliciées de bénéficier d'un court moment de soulagement ... jusqu'à leur fin ultime.
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