Je vous présente le curriculum vitae de Michel BARTH, maître d'école à Valff. Cet article est une interprétation libre sur la base de sources historiques.

Je m'appelle Jean. Je suis né le 26 mars 1703 dans le charmant village de Valff. Mon père, Michel, exerçait la profession de maître d'école. Je me souviens de la fierté que j'éprouvais lorsqu'il nous instruisait et que j'accompagnais, malgré mon jeune âge, mon frère François Ignace, ma sœur Christine et tous les écoliers dans la vieille salle de classe. L'école était aussi notre maison. Elle se situait au coin de la Muhlgass (rue du moulin) et de la Wipengass (rue Thomas). Elle nous était allouée par le comte d'Andlau ainsi qu'un jardin.

 

La classe n'accueillait qu'une poignée d'élèves surtout des garçons de 7 à 14 ans parce que les parents devaient payer l'écolage soit 3 à 4 schilling par mois, nombreux étaient ceux qui préféraient garder cette jeune main-d'œuvre à la maison pendant les moissons ou les vendanges. Encore moins de « Rotsnanse » (jeunes enfants) que nous étions ramenaient du papier ou une plume ... trop cher pour les parents ! L'ardoise et la craie a accompagné des générations de têtes blondes. Le lieu d'aisance se trouvait derrière le fumier, une planche avec un trou avec à côté du foin pour la propreté.

L'apprentissage se faisait par le verbe et le bâton: « La correction physique fait circuler le sang » disaient les parents, comme s'ils en avaient gardé un bon souvenir. On n'attendait qu'une chose : c'était d'aller en face retrouver dans son moulin à eau le vieux meunier Hans Georg HEBELEN. Nous étions émerveillé devant ces grandes meules qui broyaient les grains au bruit régulier des engrenages de bois, d'eau et de pierre. Ils semblaient n'avoir pas d'âge et tournaient inlassablement au service des hommes.

Il fallait traverser un pont-levis en bois ridé par le temps pour aller à l'église. L'eau dérivé de la rivière Kirneck alimentait difficilement les douves et le moulin était souvent en panne. A droite s'élevait le vieux château des contes d'Andlau. Le bâtiment imposant aux nombreuses fenêtres en grès rose finement ciselés invitait difficilement l'entrée du soleil. La porte majestueuse surmontée d'écussons et l'escalier tournant dans la tourelle poussait mon imagination d'enfant à la flânerie.  Monsieur le comte était-il à l'intérieur ? Et Madame ? Nous observent-ils d'une fenêtre ? Je m'imaginais des combats de chevaliers terrifiants ... Dans les dépendances se trouvait une ancienne auberge d'où s'échappait parfois les rires rauques de quelques habitués toujours assoiffés.

Essai de reconstitution de l'ancien château détruit en 1889

Peu sérieux pendant les messes dans l'église au centre de la place, j'admirais mon père dans son habit de sacristain. Il restait sérieux, ne me rendait rarement le sourire. Mais quelle joie lorsqu'il daignait m'emmener dans le clocher graisser et remonter l'horloge. D'un geste décidé, il remontait les contrepoids.

  • Je remonte le temps, disait-il, puis changeant de ton ...
  • Ne touche à rien !

C'était la condition d'avoir le droit d'admirer le ballet des rouages et d'écouter le son des cliquetis harmonieux du mécanisme. Père avait été nommé maître d'école, comme il était de coutume, par le curé du village. Son travail consistait :

  1. A remplir exactement son devoir à l'égard des enfants; les former s'il se peut au chant de l'église et les instruire dans la foi catholique.
  2. Se charger de blanchir, 4 fois par an, le principal linge de l'église, servant à l'ornement d'icelle ou à la célébration des saints mystères.
  3. Faire récurer les burettes, chandeliers, croix et lampes utiles à l'église.
  4. Accompagner le curé, le jour, la nuit, pour l'administration des sacrements.

Toujours pour 26 livres 4 schilling par an (environ 524 euros) payés par la fabrique de l'église :

  1. Tous les jours, excepté les semaines où il n'y a pas de fête être assidu à faire la classe depuis Pâques jusqu'à la St Martin d'hiver, qui commencera à 8 heures et finira à 4 heures.
  2. Sonner l'angélus du matin, du midi et du soir.
  3. Pour avertir les enfants de l'école, sonner 4 coups seulement.
  4. Chauffer l'église et ramener le bois.
  5. Remonter et graisser l'horloge.

Mon père décéda trop tôt en 1708. Il avait 44 ans. J'en avais 5. Ma mère Anne Marie WANTZ se laissera consoler et retrouvera des couleurs grâce aux flatteries séductrices d'un tisserand illettré du village. Un comble ! Théobald HAMM, mon beau père, lui tiendra la main jusqu'à sa disparition le 21 novembre 1733. Le reste de la famille quittera ce charmant village. Nous gardons tous le souvenir indélébile d'une jeunesse insouciante dans cette vieille école de Valff.

Jean BARTH


La pauvreté légendaire des maîtres d'école poussera le folklore populaire à composer cette « ritournelle raillarde » : « Das Lied vom Armen Dorfschulmeisterlein », traduction « La chanson du pauvre maître d'école ».

Version début du 18ème siècle 

Version alsacienne française

In einem Dorf im Elsassland
da lebt, uns allen wohlbekannt, wohlbekannt,
da wohnt in einem Häuslein klein
das arme Dorfschulmeisterlein,
da wohnt in einem Häuslein klein
das arme Dorfschulmeisterlein.

Des Sonntags ist er Organist,
des Montags fährt er seinen Mist,
des Dienstags hütet er die Schwein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Des Mittwochs fährt er in die Stadt
und kauft, was er zu kaufen hat,
nen halben Hering kauft er ein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Des Donnerstags geht er in die Schul
und legt die Buben übern Stuhl.
Er haut solange bis sie schrein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Am Freitag dann im Unterricht
Erzählt es von der Weltgeschicht
Und paukt die Jahreszahlen ein,
Das arme Dorfschulmeisterlein.

Und später schließlich sind noch dann
Vokabeln und Grammatik dran,
Es quält die Buben mit Latein,
Das arme Dorfschulmeisterlein.


Und wenn im Dorfe Hochzeit ist,
dann könnt ihr sehen, wie er frisst.
Was er nicht frisst, das steckt er ein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Und wird im Dorf ein Kind getauft,
dann könnt ihr sehen, wie er sauft.
Elf Halbe schüttet er sich ein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Und wird im Dorf ein Schwein geschlacht,
dann könnt ihr sehen, wie er lacht.
Die größte Wurst ist ihm zu klein,
dem armen Dorfschulmeisterlein.

Und wenn im Dorf die Shule brennt,
dann könnt ihr sehen, wie er rennt.
Die nächste Ecke rennt er ein,
das arme Dorfschulmeisterlein.

Und wird im Dorf ein Haus gebaut,
Dann könnt ihr sehen, wie es klaut,
Den größten Balken schleppt es heim,
Das arme Dorfschulmeisterlein.

Und wenn es mal gestorben ist
Begräbt man es mit Hühnermist.
Ein Huhn setzt ihm den Leichenstein
Dem armen Dorfschulmeisterlein

Dans un village d'Alsace
Vit, connu par toute la populace
Dans une chaumière d'un autre âge
Une masure à colombage
Une chambrette à l'étage
Un pauvre maître d'école

Le dimanche il est organiste
Le lundi son maigre fumier il traîne
Le mardi les cochons il promène

Le pauvre maître d'école
Le mercredi il part pour la ville
Et achète avec tout son argent
Au maximum un demi hareng
Le pauvre maître d'école

Le jeudi il va à l'école
Il couche les ânes sur une chaise en paille
Les frappant jusqu'à ce qu'ils braillent
Le pauvre maître d'école

Le vendredi en classe
Toute l'histoire il enseigne
Les papes, les rois et leur règne
Le pauvre maître d'école

Vocabulaire et grammaire
Ils en rêvent du soir au matin
Il torture les élèves avec son latin
Le pauvre maître d'école

Et quand il y a un mariage au village
Voyez comment il est glouton
Dans ses poches il entasse les croûtons
Le pauvre maître d'école

Et s'il y a un baptême au village
Voyez comme il boit
Onze demi il s'envoie
Le pauvre maître d'école

Et si on tue un cochon au village
Voyez comme il rit
La plus grande saucisse est trop petite pour lui
Le pauvre maître d'école

Et s'il y a le feu à l'école
Voyez comme il court ahuri
Avec un seau d'eau trop lourd pour lui
Le pauvre maître d'école

Et si quelqu'un construit une maison
Voyez comme il fauche
La plus grosse poutre passe à gauche
Le pauvre maître d'école

Et le jour de sa mort
On l'enterrera dans du fumier de poule
Avec pour toute stèle, une crotte en boule
Pour le pauvre maître d'école

« Les maîtres d’école sont les jardiniers de l'intelligence humaine »

Victor HUGO

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.