Détail du prix de passage des denrées au péage de Bourgheim

Si les péages sont des sujets toujours d'actualités, la mise en place de droits de passages ne sont pas nouveaux. Au XVIIe siècle, les habitants de Valff ont pu expérimenter cette contrainte financière sur la route de Bourgheim menant à Barr.

Les communes de Barr, Heiligenstein, Gertwiller, Goxwiller et Bourgheim sont la propriété de la ville de Strasbourg. Pour se rendre dans leurs pâturages du Bruch de l'Andlau situé à l'Est de Zellwiller, en bordure de cette rivière, les habitants de ces communes utilisaient un chemin en provenance de Bourgheim. Ce dernier longeait le ban de Zellwiller en passait essentiellement par le ban de Valff. Depuis Bourgheim jusqu'au Bruch, sa longueur est de 5 840 pieds (1 711 mètres) et sa largeur 62 pieds (18 mètres). Il était une enclave immémoriale dans le ban de Valff et cette terre, la propriété des Seigneurs de Barr. Une partie de ce chemin rural subsiste  toujours de nos jours. 

C'est là que l'histoire se gâte ! A l'intersection de l'Andlauweg qui croise le Viehweg, les Seigneurs protestants de Barr décident, un jour, d'installer un péage (croisement qui se trouve à la distance de portée d'un mousquet à partir de la sortie de Bourgheim ... sic dans le texte). Cette décision fait suite aux tensions croissantes duent au schisme religieux entre protestants ( la ville de Barr et ses alentours propriétés de la ville propestante de Strasbourg ), et les villages catholiques propriétés de l'abbaye d'Andlau. 

En jaune le chemin dit « Viehweg » et en rouge le poste de péage (Plan 1731)

Fini les jours heureux où l'on pouvait vendre ses marchandises au marché de Barr et à Andlau en toute tranquillité. Les discussions vont bon train : serait-ce une vengeance à l'encontre des habitants de Valff qui ont mal accueilli le pasteur protestant que le seigneur d'Andlau a installé au départ du curé dans l'église St Blaise ? Ou est-ce suite aux agissements de l'abbesse d'Andlau qui l'a chassé en lui assénant un grand coup de clé de la porte de l'église sur la tête ? Ou est-ce du au nouveau curé catholique installé manu militari par l'abbesse et qui provoque les protestants de Bourgheim en organisant des processions avec chants de cantiques catholiques tout le long du ban de Bourgheim ? 

Dans la liste des denrées taxées on note déjà la présense du pain d'épice. 

Ce sont les juifs de Valff et de Zellwiller qui vivent essentiellement de leur commerce qui seront les grands perdants. De toutes les denrées, le tarif de péage pour un juif est doublé. Même les morts qu'ils transportent pour les enterrer au cimetière de Rosenwiller sont taxés.  1 Shilling le mort ! C'est une somme considérable !

Les juifs Samuel, Isaac et Abraham de Valff représentant leur communauté se plaignent avec raison. En plus de la redevance des marchandises, les autorités ont rajouté une nouvelle taxe: 6 pfennigs pour ... chaque juif vivant : 6 pfennigs à l'aller et 6 au retour ! C'est de l’extorsion organisée ... De toute façon ils ne sont que tolérés et ne peuvent se défendre, alors, allons-y gaiement ! Les nobles de Landsberg, d'Altorf, l'évêque de Strasbourg, les membres du syndic de Strasbourg et leurs avocats par contre sont exemptés ! Passez avec nos plus belles courbettes Sires... !

Plainte des juifs de Valff concernant le droit de passage de 6 pfennigs

Traverser pendant la nuit ? N'y pensez pas ! Le Schultheiss de Bourgheim veille à la lueur des torches et des lanternes. Le Seigneur d'Andlau furax coursera même un des douaniers avec son cheval. Le torchon brûle ! Contourner et prendre par les champs vers Goxwiller ? Chemin cahoteux et presque inexistant et en plus un super détour. Impossible de se croiser et si pris ?, attention aux représailles ! 

Détail des denrées taxées (1)

Avec le temps les choses s'apaisent. Les Seigneurs d'Andlau revenu au catholicisme rétablissent la religion catholique à Valff. Un accord est convenu en 1563. Le péage est (momentanément) supprimé.

1604. Nouvel incident : les commerçants de Valff se rendant à la foire d'Andlau sont à nouveau rackettés par un droit de passage. Qu'à cela ne tienne ! On leur interdira maintenant le passage de leurs bêtes vers le Bruch ! Quand même ... c'est quoi ces protestants ! C'est l'arme à la main que les bourgeois de Barr contraindront les sujets de Meistratzheim a s'acquitter du péage en menaçant de faire feu et confisquer leurs attelages. Même un Lorrain innocent qui transportait du sel est carotté. Ca se corse !

1607. Un nouvel accord est conclu. 1688. Encore des échauffourées ! Maintenant ce sont 120 hommes armés de Barr qui envahissent le Bruch et abattent 207 chênes. Le bois est transporté à Barr et déposé devant la maison du bailli. C'est le bois qui met le feu... aux bonnes (?) relations de voisinage ! 

Le Révolution mettra fin à toutes ces chamailleries. Ah ! Ces péages ! L'arme fatale ! Elle n'a pas perdu de son efficacité ... et toujours à la mode aujourd'hui !

Nota :

  • (1) Sont taxés : Le blé, le froment, l'avoine et le seigle, le vin, les bovins vivants ou morts, les ovins et les porcs, les abats et les peaux, les brouettes, les charrettes de sel, le fer, les charrettes vides, le suif,  la cire, les tonneau neufs, les dessus de lit, les sommiers, les coussins, les attirails de cuisine, le hareng, le lard,  la viande,  la crème, les pains d'épices, le tabac,  la morue séchée, le poisson,  l'huile, le miel, le beurre, le bois de construction, les métaux. Les juifs sont passibles du prix multiplié par deux. Les gens de Zellwiller doivent payer aussi. Les seigneurs de Landsberg sont exemptés, leurs sujets non. L'évêque de Strasbourg et ses serviteurs sont exemptés. Les avocats de Strasbourg sont exemptés.    

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.