- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Château de Landsberg à Niedernai en 1935 (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Que diriez-vous, si, le jour de votre mariage, vous aviez été la victime d'une tentative d'homicide de la part de votre belle-mère ? Charmant non ?
Sachant que le poison est en général reconnu comme étant l'arme favorite des femmes, voyons ce qui s'est passé durant la belle journée du mardi, 5 août 1631.
Château des seigneurs de Landsberg à Niedernai où ont eu lieu les interrogatoires
L'histoire
Une enquête criminelle est en cours dans la salle des magistrats du château des seigneurs de Landsberg à Niedernai. Apolonia KARCHER, la récente femme de George FRITCH de Niedernai, témoigne contre sa belle-mère et sa belle-fille au sujet de sa mémorable soirée de mariage qui aurait dû être une journée exceptionnelle. Elle se terminera en soirée cauchemar.
Mardi 5 août 1631.
Barbara ANSTETT marie son fils Georg à Apolonia.
Le repas de mariage ravi les convives. La maîtresse de maison, la veuve Barbara ANSTETT, sert le vin. Elle verse un breuvage, du vin rouge, dans le verre de Barthel LINDMANN, qui, en voyant apparaître sur le bord du verre un dépôt blanchâtre, le dépose sur le rebord de la fenêtre. Pas question pour lui de boire ce jus douteux ! Lorsque Barbara tourne le dos, la mixture finie dans la cour ! Apolonia fait une remarque déplaisante, ce qui irrite la maîtresse de maison. À son tour de goûter au vin de l'amitié ! Ne voulant manquer de respect à sa belle-mère et sur l'insistance de sa belle-fille, elle obtempère. Elle consent à boire ce qu'elle appelle : le Kotzwein (vin à vomir) et le Schweigwein (vin à faire taire pour toujours). Quelques minutes plus-tard, de violents maux de tête se déclarent. Malgré une compresse, la céphalée empire. Fini la nuit de noces romantique ! Les douleurs sont si intenables que les jours suivant, elle se sent poussée à se cogner la tête contre les murs et son lit. Pire encore, elle perd plusieurs fois connaissance et ne reconnait même plus son frère qui vient s'enquérir de son état.
Georg MEISTERSHEIM qui était aussi invité, était, plus-tard, de service de garde de nuit. Il raconte qu'à minuit, il y avait encore de la lumière dans la chambre de la mariée et qu'en s'inquiétant du bien-être de la pauvre, l'avait trouvé souffrante avec, dans son lit, sa belle-mère qui la consolait (ce n'est sûrement pas la personne avec qui elle aurait pensé partager la couche ce soir-là !).
Lundi 6 août.
La femme de son frère lui rend visite. Elle trouve Apolonia dans un tel état, qu'elle en informe immédiatement son mari Michel KARCHER qui accoure. (Mais où pouvait bien traîner son mari pendant ce temps) ! ) Ce dernier lui conseille de pratiquer une saignée (eine Ader springen lassen). Le soulagement est de courte durée et les maux de tête reprennent de plus belle. Sur ce, il lui suggère, en dernier recourt, d'aller voir une guérisseuse réputée d'Obernai. Elle raconte : « Lorsque la guérisseuse m'a vu, elle s'est exclamée : ma pauvre fille, c'est une personne méchante qui t'a fait cela ! Un air mauvais est passé sur toi ! ». Elle lui prépare une potion à boire et lui remet, à emporter, un petit sac d'herbes médicinales à infuser chaque matin puis d'entamer un jeune de trois heures. Elle lui donne également une pommade à mettre sur la tempe.
Dimanche 10 août.
Apolonia suit rigoureusement les conseils de la guérisseuse. Après avoir bu sa tisane, son estomac commence à lui soulever. Elle finit par vomir de la matière bleue, verte, jaune et blanche ! Elle raconte : « Après cela, je me suis sentie soulagée et bien mieux. Au bout de deux jours, les douleurs disparurent. La guérisseuse lui confessa que si elle avait attendu ne serait-ce qu'un jour de plus, elle n'aurait plus rien pu faire pour elle ! ».
La belle-mère, Barbara, est arrêtée et interrogée par les inquisiteurs le 26 août 1631. Sept convives invités au mariage sont questionnés sous serment et corroborent les faits.
Barbara ANSTETT confesse sous la torture. Elle informe les inquisiteurs qu'elle a d'abord, pour tester, donné à manger une bouillie préparée et mélangée avec la poudre blanche à une oie qui en est morte ! Puis, elle a mélangé la même poudre blanche à la nourriture d'une petite fille mendiante de cinq ans de Krautergersheim, puis à deux mendiantes adultes, qui, elles aussi, ont péri au bout de 5 à 6 jours. Elle a aussi empoisonné un pauvre garçon de Valff de 6 ou 7 ans qui était venu mendier chez elle, et à qui elle a mélangé dans la choucroute la poudre blanche. Il est mort au bout de huit jours. Elle avouera bien d'autres méfaits. À la question d'où elle s'était bien pu procurer cette poudre blanche, elle racontera, sous la torture, que c'est le diable qui la lui a confectionné en réduisant en poudre, l'Eucharistie qu'elle aurait recrachée.
Durant la soirée de mariage d'Apolonia avec son fils Georg, elle avoue d'abord avoir voulu liquider Barthel LINDMANN. Ce dernier rechignant de vider son verre, elle s'était rabattue sur sa belle-fille. La suite nous la connaissons !
Relevé de interrogatoire de l'Inquisition de Niedernai d'Apolonia KARCHER en 1631
L'analyse
Au vu de cette histoire glauque, comment trier le vrai du faux ? D'abord, un coup de téléphone au centre antipoison me permet d'apprendre de la bouche d'un médecin médusé à qui je relate les faits (on le comprend bien !) qu'une des hypothèses, au vu des symptômes (céphalées, vomissement de matières de couleurs, étourdissements) pencherait pour une intoxication à l'arsenic pierreux. Ce poison naturel était disponible, à l'époque, dans les mines de Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin.
Pour en extraire une poudre blanche concentrée, il fallait procéder à une distillation par évaporation. Cela voudrait dire qu'une personne aurait volontairement procédé à sa concentration. Homicide volontaire, ou médication malheureuse ? À l'époque, on ne faisait pas dans la dentelle : je te torture jusqu'à ce que tu avoues ce que je veux entendre ! La présomption d'innocence n'était même pas une option. Pour ce qui est des autres homicides avoués, on peut sérieusement laisser planer un léger doute. Au vu des aveux farfelus les uns plus débiles que les autres dans les procès de sorcellerie, des doutes sérieux s'imposent. Halloween est de la bibine à côté ! Mais voilà, des tueuses en série existaient peut-être déjà aussi à cette époque...
Pour ce qui est de notre chère Barbara, elle finit grillée sur le bûcher, emportant avec elle le secret de sa culpabilité…
Sources :
- Archives de l'Hôtel du Département
- Malefitzbuch de Niedernai
- Schuldig, Aussätzige : des impurs à Valff !
- Péage obligatoire pour sortir de Valff
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