- Écrit par : Rémy VOEGEL
- Affichages : 1026
La célébration de mariage est le plus beau jour d'une vie, en théorie ! Le fait divers dramatique que nous allons vous raconter est, comme vous allez le découvrir, en fait une enquête policière. Au fur et à mesure, nous allons vous dévoiler les documents. Vous allez découvrir comment des informations partielles peuvent être trompeuses. En fait, il n'y a rien de nouveau sous le soleil !
Voici les éléments. Le journal Metzger Zeitung publie le 24 avril 1902 un article révélant un fait-diver qui s'est déroulé à Valff :
Traduction : « Walf 22 avril. La joie et la peine se sont tendus la main lors de ce mariage ! Le deuxième jour de la fête, devait être consacré au projet d'un voyage à Baden-Baden. Un certain SEIDEL qui avait été invité en compagnie de sa fiancée, avait émis le désir de faire partie du voyage. Le père de la fiancée, par contre, était opposé à la présence de sa fille. Un échange violent de mots a amené le futur gendre, dans un état de telle colère, qu'il a assomé le père avec une latte. Les blessures s'avéreront si graves que la victime décédera peu après. Le "gentil futur gendre" a naturellement été incarcéré ».
L'enquête peut commencer !
Qui sont les mariés ? Et que pouvons nous découvrir sur la victime ?
En rose, la maison n°23 de la rue Haute
Première hypothèse
Naturellement , le premier réflexe est de consulter les registres de mariages. La date d'un mariage à Valff le plus proche de la date de l'évènement est le 28 avril 1902.
Le 28 avril 1902, Joseph ROHMER et Marie Catherine MUNCH se sont jurés fidélité et amour. Joseph est originaire de Bindernheim. Ses parents sont décédés, il a 33 ans et travaille comme aide agricole à Valff. Il a rencontré Marie Catherine à Valff, 19 ans, jeune et amoureuse, c'est son grand amour.
C'est ce que l'on aimerait à croire. Le mariage est la conséquence d'un dérapage qui avait eu lieu deux ans auparavant. Le 1er mai 1901, Catherine a mis au monde un petit Emile dans la maison de son père George, agriculteur, au 23, de la rue Haute. C'est la sage femme Catherine FREYDER qui déclarera l'enfant à la mairie. Peut-être Catherine a-t-elle essayé de cacher sa grossesse, peut-être que Joseph n'est pas vraiment le père et qu'il aurait accepté de s'occuper de cette fille jugée fautive au yeux de la communauté pour lui permettre de mettre le pied dans une famille plus aisée que lui ? Nous ne répandrons pas de vilains commérages comme ceux-là, qui ont sûrement été le sujet de chuchottements malveillants dans les chaumières. Quoi qu'il en soit, elle a accouché fille-mère. On peut néanmoins, sans beaucoup se tromper, supposer que l'ambiance a du être électrique dans le foyer parental. Joseph, le bourlingueur qui avait servi dans l'armée sous Napoléon III, ne se défilera pas. Il déclarera à l'administration, le jour de son mariage avec Catherine, la paternité de l'enfant.
Au vu des informations du journal, que pouvons nous ajouter au sujet de ce mariage du couple ROHMER-MUNCH ?
Le mariage
Grace aux registres d'Etat-Civils de décès cette fois, nous découvrons la mort, au 20 avril 1902, de Frédéric LAUFENBERGER, la date de l'article. Avons-nous trouvé notre homme ? Il est de Gerstheim et cela fait de lui un candidat des plus probables. Les autres informations relevées dans l'acte indiquent le lieu de son décès : la forêt du Niederholtz. Notre SEIDEL aurait alors utilisé une bûche ?! Autre indice : c'est le Kaiserlischer Amtsrichter d'Obernai (magistrat) qui indique le décès à la mairie, c'est inhabituel !
L'hypothèse
Joseph et Catherine ont invité famille et amis. Joseph, aurait bien accueilli son frère Victor Emile, mais ce dernier avait pris un navire en 1891 et s'est installé à San Francisco en Californie où il s'est marié dans le quartier d'Olean dans le district de New-York. Lui non plus n'a pu inviter son frère. Parmi les convives, il y aurait donc eu, un certain Frédéric LAUFENBERGER, fossoyeur de Gerstheim et sa fille qui s'appelle Julia. Pour l'occasion, les mariés n'auront pas manqué d'inviter son fiancé, SIEBEL.
Après le repas les convives décident de faire une petite promenade. On se rend dans la forêt du Niederholtz où la discussion s'envenime entre le fiancé et son beau-père, vous vous souvenez ? Il est projeté d'organiser une sortie à Baden-Baden. S'en suit une montée d'adrénaline, SIEBEL empoigne une bûche et fracasse le crâne de son beau-père qui s'effondre. Il décèdera quelques heures plus tard. SIEBEL est emprisonné. Ca tient la route non ?
Première erreur
Vous l'avez peut-être noté ? Le jour du mariage de Joseph ROHMER et Marie Catherine MUNCH a eu lieu le 28 avril, donc 6 jours après la date indiquée par le journal. Ca ne peut donc pas coller. En plus, le journal est paru le 24 et il est impossible qu'il s'agissent donc de nos mariés. Zut !
Deuxième erreur
On reprend les recherches ! Elles permettront de découvrir une toute autre histoire au sujet de LAUFENBERGER. Ce qui parraisait, à première vue, une suite de recoupements logiques, s'avèrera-être, finalement, plus logique du tout ! Le journal Strasburger Neueste Nachricht avait publié (il fallait persévérer) pour la même date du 22 avril 1902 cette autre nouvelle : il a été foudroyé !
« Dimanche après-midi, le cinquantenaire, de profession fossoyeur, LAUFFENBERGER, faisait du vélo en compagnie de deux autres hommes, alors qu'il rentrait en provenance de Valff. Lorsqu'un orage a éclaté, ils se sont abrités sous un arbre. La foudre a transpercé les cyclistes. Alors que les deux compagnons de LAUFFENBERGER ont pu se remettre de leur choc, ce dernier a succombé à ses brûlures. On n'a rapatrié que sa dépouille » .
Et Paf ! Le Strasburger Post précise qu'il s'était réfugié sous un chêne et que LAUFFENBERGER n'était en compagnie que d'un seul compagnon et la nouvelle est parue le soir de l'accident. Chapeau (quand on sait où chercher !).
Journal Strasburger Neueste Nachricht du 22 avril 1902
Muni de cette nouvelle information, il ne nous reste plus qu'à approfondir les recherches encore dans les journaux locaux. Finalement, la constatation est faite que le journal Strasburger Neueste Nachrichten, avait publié le 25 avril, l'intégralité, et mot pour mot de celui du texte édité précédemment par le Metzger Zeitung, mais un jour après ! Comment est-ce possible ? Constat : la nouvelle a été connue en Lorraine avant de l'être en Alsace ! Il faut dire que le journal L'Elssässer pour cette date n'est pas disponible pour le moment. On peut supposer (encore une fois !) qu'éventuellement c'est ce quotidien qui aurait publié l'évènement en premier.
Journal du Strasburger Neueste Nachricht du 25 avril 1902
Poursuite de l'enquête
Mais quelle est alors l'identité de notre victime si ce n'est pas LAUFFENBERGER ? Imaginons un autre scénario : le blessé est dans le coma, il est transporté à l'hôpital de Strasbourg et meurt en route. En cette fameuse date du 22 avril, est recensé à Strasbourg, le décès de Louis GIGOT, 57 ans, né à Benfeld. La déclaration est faite par Monsieur le Procureur du tribunal de Strasbourg. Surprenant !
Un autre indice : la femme de GIGOT est originaire de Hornbach en Allemagne, situé non loin de Baden-Baden où avaient prévu de se rendre les invités. Est-ce notre homme ? Nous n'aurons malheureusement plus de preuves supplémentaires. S'il s'avérerait, qu'un jour, le déroulement du procès soit découvert et confirmerait notre hypothèse, alors sa fille s'appelait Louise.
Et nos mariés alors ?
Il faut tout reprendre ! Le coup fatal a été porté le 22 avril, qui selon l'article, est le deuxième jour des noces. Donc, logiquement le mariage a eu lieu le 21. Seulement voilà ! Avant le mariage de ROHMER-MUNCH du 28 avril, il n'y a eu aucun mariage enregistré à Valff avant ... le 10 février !
L'évènement a-t-il eu lieu dans un autre village ? Cela restera, malgré tous nos efforts d'enquête, le mystère « du mariage mortel de Valff » !
Mariage à Niedernai de Charles VOEGEL et Anna LANG en 1928
Epilogue
En 1903, Catherine MUNSCH, dont nous avons parlé plus haut, mettra au monde une petite Augustine. Elle vivra 8 mois. En 1905 elle accouchera d'une petite Elisabeth. Elle ne vivra que 5 semaines. Elle n'aura pas d'autres enfants. Joseph ROHMER décèdera le 1er décembre 1934. Ceci est vraiment la vérité !
Sources :
- Adeloch
- Gallica
- La triste vie de Thérèse WAGNER
- Quelques affaires criminelles en vrac
- L'énigme de la disparition des 100 Mark
- Etude et pièges de la généalogie avec la famille Moïse BLOCH
- L'affaire Marie-Anne SCHIRMANN
- L'incroyable histoire de la valise de Florent MUNCH
- Thibaut VOEGEL, ramoneur à votre service
- Qui est Catherine ?
- Elias LEVY, le faïencier indigent
- Jean GYSS, enfant de Valff, mort à Dora-Mittelbau