Dans un extrait du journal « Niederrheinischer Kurier » du 18 juin 1856, on apprend que les gendarmes ont amené devant la cour la nommée Marie-Anne SCHIRMANN, tricoteuse de chausson née à Gertwiller, domiciliée à Valff, village du canton d'Obernai.
L'affaire
Marie-Anne SCHIRMANN est accusée d'infanticide. Il ne s'agit pas dans cette cause, comme d'habitude, d'une jeune fille, qui à la suite d'une faute commise dans un moment d'égarement, porte une main criminelle sur son enfant pour échapper au déshonneur.
Tricoteuse
Marie-Anne SCHIRMANN a l'expérience de la vie. Elle a 32 ans et est signalée comme étant une femme aux mœurs dissolues. Elle a déjà mis au monde deux enfants naturels, une fille âgée aujourd'hui de 12 ans, et un fils qui en a cinq. Depuis quelque temps, et elle l'avoue elle-même, elle entretenait un commerce illicite avec François-Joseph HUCK qui, aujourd'hui même, va lui succéder sur la sellette de la cour d'assises. Au commencement de cette année, le bruit s'était répandu dans la commune de Valff que Marie-Anne se trouvait de nouveau enceinte. Quoique perdue de réputation depuis longtemps, elle dissimula son état et opposa aux interpellations de ses voisines les plus énergiques dénégations.
Le 17 avril 1856, le Maire fut prévenu que l'accusée était soupçonnée d'avoir accouchée clandestinement et fait disparaître son enfant. Interrogée à cet égard, celle-ci nia avec obstination. Au milieu des doutes, une sage-femme fut mandée par l'autorité, et elle n'eut aucune peine à constater de tous les indices d'un accouchement récent. La fille SCHIRMANN changea alors de langage et soutint qu'à la vérité elle avait accouché, mais qu'elle n'avait mis au monde qu'un foetus informe et non viable qu'elle avait jeté dans le petit ruisseau de la Kirneck qui coule près de sa maison. Cette version était un mensonge, car quelques recherches pratiquées dans le jardinet attenant à la demeure de la fille SCHIRMANN amenèrent à la découverte du cadavre d'un enfant nouveau-né. Il reposait, enfoui dans une fosse peu profonde. L'accusée changea alors de nouveau de version et allégua que l'enfant avait fait une chute en naissant et en était mort.
Bord de la Kirneck à Valff en 1906 (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Le docteur TAVERNIER, de Schlestadt, fut chargé de procéder à l'autopsie du cadavre. Le médecin constata que l'enfant, de sexe masculin, était à terme, bien formé, qu'il était né viable et qu'il avait vécu. Il reconnut, sur la face et sur la tête, plusieurs lésions et contusions. Les contusions du crâne étaient graves et avaient produit un épanchement sanguin, épanchement qui avait conduit à la mort. Quant à la cause de ces contusions, l'homme de l'art pensa qu'elles ne pouvaient provenir d'une simple chute du corps de l'enfant sur le plancher. On ne pouvait les expliquer mieux qu'en admettant que la tête avait été cognée avec force contre le sol ou contre un mur. Tel est le résumé des faits qui ont motivé la mise en accusation de la fille SCHIRMANN. C'est en vain que celle-ci a clama son innocence et chercha a faire admettre que la mort de son enfant devait être attribué, non à un crime, mais à un simple accident ! Les constatations de la science étaient trop explicites pour qu'un pareil système de défense pu triompher. Déclarée coupable d'infanticide, mais avec admission de circonstances atténuantes, l'accusée a été condamnée à 10 ans de travaux forcés, à la surveillance de la haute police pendant toute la vie, à l'interdiction et à la dégradation civique.
Ministère public, M. REVEL, substitut et défenseur, W LEDERLIN
Ainsi qu'il a été dit plus haut, le nommé Francois-Joseph HUCK succède à la fille SCHIRMANN sur le banc du crime. C'est un jeune valet de labour, âgé de 23 ans, né et domicilié à Valff. Il est accusé d'un attentat à la pudeur commis à l'aide de violence sur la fille naturelle de Marie-Anne SCHIRMANN. Les débats de cette affaire ont dû avoir lieu à huis clos. Reconnu coupable par le jury, qui néanmoins lui a accordé le bénéfice des circonstances atténuantes, HUCK a été condamné à trois ans d'emprisonnement.
Ministère public, M. REVEL, substitut et défenseur, Me SCHUTZENBERGER
Epilogue
Marie-Anne SCHIRMANN habitait au 1bis de la Mühlmatt. D'un père inconnu, elle vivait avec sa mère Marie-Anne, tricoteuse comme elle, sa fille Odile et son fils Casimir. La famille SCHIRMANN partageait la maison avec la famille Materne KORMANN, tailleur d'habit. Le procès se déroula le 17 avril, le 29 la mère Marie-Anne meurt brusquement, s'est-elle ôté la vie pour ne plus endurer la honte ? En 1857, le Maire propose un certificat d'aptitude d'une famille de Valff susceptible d'accueillir le petit Casimir qui avait été admis au service départemental des enfants abandonnés. S'agit-il de la soeur de Marie Anne, mais dont la situation était tout aussi précaire ?
Quoi qu'il en soit, il semble que les autorités n'aient pas donné suite, car aucun des deux enfants ne sera recensé par la suite dans le village. Odile disparaitra totalement, Casimir sera inscrit par simple anotation dans le registre des décès en 1908 sans acte officiel. Après avoir purgé sa peine, Marie-Anne revint s'installer à Valff au n°30 de la rue Principale. Elle épousera le journalier Florent NEFF en 1872 qui venait tout juste de perdre sa première femme en avril et qui se remaria avec elle en août de la même année. NEFF décédera subitement trois ans plus tard à seulement 52 ans. Elle, décédera aussi trois ans plus tard en novembre 1878.
Lettre de la Préfecture de 1957 déclarant que le petit Casimir SCHIRMANN sera considéré comme un enfant abandonné et pourra être remis à sa mère après sa sortie de prison
François-Joseph HUCK travaillait depuis son adolescence chez la famille Célestin DIEHLMANN au n°138 de l'époque. Il était le quatrième enfant d'une famille de douze. Tous ses frères et sœurs étaient éparpillés dans le village et servaient comme domestiques. Il choisi, plutôt que de purger sa peine dans un cachot, de s'engager dans l'armée française engagée en Crimée au côté du Royaume-Uni, de l'Empire ottoman et du Royaume de Sardaigne contre l'Empire Russe. Il fut incorporé comme fusiller au 14 Régiment, 2eme Compagnie, 1er Bataillon. Mal lui en a pris, il décéda la même année de dysenterie dans une ambulance le 17 octobre à 8 heures du soir de 1855 devant le port de Sébastopol.
Sources :
- Journal « Niederrheinnischer Kurier »
- Gallica
- Archives de la commune
- Fond BLUMER, archives de Strasbourg