- Écrit par : Rémy VOEGEL
- Affichages : 386
Du 28 au 30 septembre 1938 a lieu ce que l'on appelle l'accord de Munich qui réunissait les représentants de l’Allemagne, l’Italie, la France, et le Royaume-Uni à la demande de l'Anglais Chamberlain. L'ultimatum de Hitler du est accepté, officialisant l’abandon des Sudètes (Tchécoslovaquie) avec qui la France avait un accord et était habité essentiellement par des Allemands à la suite du découpage des territoires de l'armistice de 1918. 30 000 km² et 3 millions d'habitants seront annexés par Hitler.
Les alliés ont lâché les Tchécoslovaques. La paix espérée et négociée par Chamberlain semble préservée. Le premier ministre anglais et le Président du Conseil des Ministres français Daladier sont accueillis à leur retour en héros. Dans le même temps, les Allemands fortifient la ligne Siegfried sur le versant allemand du Rhin. Par précaution, les Français grossissent le nombre de leurs réservistes en renfort dans les casemates de la ligne Maginot.
Édition du 14 septembre 1938
Avant cet accord, la peur s'est emparée de la population Rhénane, des rumeurs horribles circulent, une angoisse panique gagne les esprits.
Le temps de la peur
Le journal l'Echo de Sélestat qui paru entre 1920 et 1940 relate l'ambiance tendue à la fin de ce mois de septembre 1938 dans le Ried et qui aura des répercussions jusqu'à Valff. Dans son édition du 7 octobre, le journal titra : « Lettre du Ried ». L'auteur écrit :
« Les évènements du mois de septembre ont eu chez nous, dans le Ried, des conséquences surprenantes : une peur panique d'une éventuelle guerre et la possibilité d'une évacuation a envahi l'esprit des habitants. Les récentes nouvelles sinistres ont d'abord été accueillies avec une certaine surprise qui se transforma en préoccupation et a finalement engendré une peur panique. On n'a jamais autant bavardé et débattu dans les rues et les chaumières !
Il est intéressant de relater quelques exemples de ce qui se raconte. En premier, il est bien d'analyser de ce que certains comprennent par "Tchécoslovaque". Un certain prétend que c'est un pays qui est habité que par des "rouges". Un autre, plus intelligent, surenchère et affirme que le pays est habité par des surhommes qui mesureraient le double de nous et mangent en conséquence le double d'un être normal. Leurs habits sont immenses ! Protégeons nos biens et notre argent et mettons-nous d'urgence à l'abri ! Voilà ce que l'on n'arrêtait pas d'entendre ! Un autre croit savoir, avec certitude, qu'Hitler aurait été vu en train d'acheter des cigarettes dans une épicerie à Rheinau et que du côté allemand du Rhin, ça pullule d'Allemands qui n'attendent qu'une chose : envahir le côté alsacien !
Un autre bien informé rapporte qu'à Strasbourg, on est déjà en train d'évacuer. Des trams électriques bondés de réfugiés tracteraient, dans la pente de la rue de Saverne, des tracteurs poussifs surchargés de paquetages. Plus l'information est énorme, plus on y croit. Pour ne pas arranger les choses, les communications du côté français n'ont pas toujours été interprétées correctement par nos compatriotes qui ne comprennent que l'allemand et le dialecte.
Ceux qui ont les moyens et qui n'ont pas d'attaches dans la région ont fait leurs bagages au grand dam de ceux qui ne peuvent consentir à abandonner leur bétail et leurs champs. Pour eux, il s'agit tout simplement d'endurer et de courber le dos. De plus en plus de familles voient leurs fils et leurs maris réservistes rappelés dans le contingent. Cela aussi est une source d'angoisse. La dernière réquisition des attelages n'a en aucune façon calmée les peurs. Bien des larmes ont coulé quand le bien-aimé cheval de la ferme a été réquisitionné, attelé à la charrette chargée des derniers maigres ballots de foin et a quitté pour toujours la propriété et son village.
Puis, tout à coup, dans la nuit de jeudi à vendredi, est arrivée la nouvelle ! À Munich, nos dirigeants sont arrivés à un compromis ! Personne n'osait d'abord y croire ! Mais c'était vrai, et un grand espoir de paix et d'optimisme gagna à nouveau les habitants. Cette fois-ci, ce sont des larmes de bonheur qui ont coulé ! Ah ! Si Monsieur DALADIER consentait à venir dans le Ried ! Quel accueil on lui ferait !
Tout le monde a repris son travail avec joie. On pourra rester dans notre Ried bien-aimé ! Qu'est-ce qui a été fait et expliqué dans nos mairies ces derniers temps. Aucun livre d'héroïsme ne pourrait le contenir ».
Conséquences
La semaine suivante, le journal relata quelques faits, conséquence des derniers évènements politiques. Le journaliste rappelle la nervosité qui s'était emparée de la population des régions rhénanes.
« Les plus réactifs s'étaient donnés comme objectif de s'installer dans des régions moins exposées. Des cortèges de carrioles et d'automobiles, chargées à l'extrême de vêtements, de literies et d'autres maigres avoirs, ont envahi nos routes. L'auteur constate : « On pourrait penser que le malheur susciterait la générosité et la solidarité ? Rien de tout cela ! Il existera encore et toujours des énergumènes qui flaireront la bonne affaire. Dans la région d'Obernai, des profiteurs ont augmenté, voire doublé le prix des locations allant jusqu'à 500 à 800 Francs par mois pour une chambre mansardée. Ces gens oublient qu'ils pourront eux aussi, un jour, être dans cette situation et seraient alors les premiers et les plus bruyants à crier au scandale !
Même nos soldats réservistes logés chez l'habitant ne sont pas épargnés. Nos protecteurs sont, eux aussi, ponctionnés. C'est ce qu'a constaté un officier qui s'est vu réclamer 40 Francs chez un viticulteur pour une nuit de repos et pour un supplément de salade de pommes de terre, 8 Francs 50 ! Quelle honte de profiter d'une possible guerre. Ont-ils oublié les souffrances de la dernière ?
Que les pertes des réfugiés sont énormes ! L'histoire de ce migrant qui a perdu son ballot de vêtements, de draps et de couvertures entre Valff et Obernai en témoigne. Personne ne les a rapportés ! Que celui qui les a trouvés s'étouffe avec. L'auteur pose cette dernière question : Peut-on espérer un jour que le propriétaire retrouve son bien ? Où est passée la morale ... et l'amour chrétien ? ».
L'évacuation
Le 1ᵉʳ septembre 1939 est promulgué l'ordre d'évacuation de 300 000 alsaciens, habitants près des zones frontalières. La nouvelle tant redoutée par les habitants du Ried en 1938 est malheureusement devenu réalité.
L'itinéraire d'évacuation des habitants de la Meinau, du Neuhof et de Neudorf et des alsaciens d'Allemagne, embarqués dans des camions et des autocars, traversa le village de Valff pour rejoindre le centre de triage de la gare de Barr (voir le plan). De là, on les embarqua dans des wagons en direction du sud-ouest, la Dordogne, les Landes ou le lot et Garonne. Avant ce grand voyage, les déplacés ont vu passer, un à un, les villages avec leurs rues et places avec grande nostalgie, fixant à travers les vitres de leurs autocar et peut-être pour certains, pour la toute dernière fois, les belles maisons à colombages de nos charmantes communes alsaciennes.
Après l'évacuation en 1939, de nombreuses machines agricoles traîneront et rouilleront dans les villages évacués du Ried. Sous l'occupation allemande, on ordonnera à l'atelier JOST de Valff de réparer ces centaines de faucheuses en vue de les restituer aux agriculteurs quand ils rentreront au pays. JOST choisira de fermer son commerce pour ne pas participer à l'effort de guerre allemand.
Place Kléber à Strasbourg
Sources :
- Gallica
- Wikipedia
- Archives départementales du Haut-Rhin
- Et au milieu coulait une rivière ...
- Ce n'est pas marrant !
- La clé était cachée sous le pot de fleur
- La genèse de l'automobile en Alsace (partie 4)
- La genèse de l'automobile en Alsace (partie 3)
- L'assassinat du Gendarmerie-Oberwartmeister Hermann SCHLANSTEDT
- La libération de Valff en images
- Panpan le lapin !
- Meurtre au messti de Zellwiller
- L'histoire du naufrage du Titanic vu par les lecteurs de Valff (Partie 4)