Quel peut bien être le rapport entre la chapelle Ste Marguerite et la peste ? Une idée ? Non ? Alors faisons un petit voyage dans le temps. 

Des dates gravées dans la pierre ou sur le papier, des conclusions d'historiens ou des transmissions orales établissent en général la connaissance historique. C'est le cas aussi de notre chapelle Ste Marguerite. La date de construction est estimée au début du XIVe siècle pour le chœur gothique. Une correspondance de l'abbaye d'Andlau nous informe de la création en 1316 d'un vicariat et d'une prébende. En d'autres termes, on a établi un service religieux perpétuel pour la chapelle et on y a adjoint les moyens de l'entretenir et de le payer. C'est en général la date retenue pour le début de la construction de la chapelle. Débutons par un peu de vocabulaire :

  • vicariat : fonction d'un vicaire, prêtre auxiliaire et adjoint d'un autre prêtre, d'un évêque, etc., durée de cette fonction
  • prébende : part de biens prélevée sur les revenus d'une église et attribuée à un clerc pour sa subsistance et en compensation du ministère accompli

Intérieur de la chapelle en 1932

Un document original de sa fondation

Découvrir une copie du document original de la fondation est une chance inespérée. Les renseignements que nous allons découvrir sont passionnants et vont nous éclairer un peu plus sur l'histoire de la chapelle et de son ancienneté. Le document qui est conservé aux archives départementales est une traduction de l'original en latin et est incorporé dans les entrailles d'une liasse de 600 pages. Le curé de Valff, Jean SCHECK avait intenté durant son ministère (1750-1776) un procès en 1752 à l'encontre de la commune au sujet de cette même prébende. De quoi s'agit-il ? En gros, le curé SCHECK accusa la commune d'avoir peu à peu, à travers les âges, laissé grignoter les biens et les revenus liés à cette fondation, ce qui ne lui permettait plus de financer le concours d'un vicaire qui avait pour mission de desservir les messes à la chapelle.

La chapelle en 1935

La lettre de dédicace

L'acte de la création du vicariat est datée du 2 janvier 1316. IL débute par ces mots :

« Au Nom de Dieu, ainsi soit-il notoire et fait à savoir à tous par la présente qu'a Nous, Hugues et Fritzmann, frères et écuyers de Rosheim demeurant à Falff et Ebold Lundelin de Falff régisseur et administrateur des biens de la cure de St Blaise, des personnes pieuses ont par dévotion particulière donné à Nous ainsi qu'à nos prédécesseurs en l'honneur du Tout puissant et de St Blaise.

Ayant considéré qu'il y a eu malheureusement quelques personnes à Falf qui sont décédées sans avoir reçu les sacrements parce que le cimetière étant fermé la nuit, que personne ne peut aller trouver le curé et que cela pourrait encore arriver par la suite (le presbytère se trouvait à l'intérieur des fortifications du château et le pont-levis était levé la nuit ndrl). Nous, afin de prévenir ces malheurs et y obvier pour l'avenir, avons le sceau et le consentement de Dame Cunégunde de Géroldseck, abbesse de l'Abbaye d'Andlau, comme patronne du Sieur Bruno son frère et curé de Falf et des sieurs Pierre, Henri et Rodolphe (d'Andlau), seigneurs temporels du village et des offices de Justices du lieu, qui ont tous unanimement acquiescé à ce qui suit :

  • Ils ont donné pour nous, nos héritiers et successeurs et à tous ceux du village et de la communauté de Falf au Nom de Dieu et en l'honneur de St Blaise et de Ste Marguerite Vierge, la fonction d'un vicariat sous forme de donation libre et irrévocable.
  • Les biens et rentes ci-après sont spécifiés de manière que le possesseur de ce bénéfice sera tenu de dire tous les jours la messe pour le salut de ceux qui donnent les dits biens et aux autres fidèles trépassés et encore vivants.
  • De par cette lettre nous fondons le dit vicariat sur l'autel de Ste Marguerite dans l'église paroissiale de Falf jusqu'à ce que la chapelle (Ste Marguerite) qui est au dehors du cimetière soit reconstruite à neuf et qu'il y soit dressé un autel aux trois Puissants, à St Blaise et à Ste Marguerite auquel autel les dits biens et rentes seront ensuite affectés ...

Document de la transcription en allemand de l'original, on peut lire : « Bis die Capell auerhalb des Kirchhoff daselbst von neuem aufgebauwen »

  • Nous ordonnons par la présente que le vicaire dira la messe sur cet autel avec le consentement des personnes nommées ci-dessus et conféré pour cette fois à Eberhard, chevalier d'Andlau ci-devant chapelain. (chapelain : prêtre s'occupant d'une chapelle privée).
  • Nous avons donné la collation et la présentation du dit vicariat au Sieur Bruno recteur de l'église de Falff. Il lui sera conféré pendant les trois mois de vacance après quoi il devra nommer un prêtre qui aura fait ses études, qui sera de bonne conduite et qui aura le dit vicariat à vie à moins que pour causes relevantes il n'en soit destitué par les voies de droit.
  • Si cela devait arriver le vicariat reviendrait au recteur et puis à la dame abbesse d'Andlau comme collatrice de l'église de Falf. Nous en chargeons la conscience de l'un et de l'autre.
  • En cas de négligence de la part du recteur et de l'abbesse, la collation appartiendra cette fois à celui qui sera alors évêque de Strasbourg.
  • Le prêtre qui aura le dit bénéfice assistera au service divin dans l'église de Falf et demeurera au village en dehors du cimetière. Il administrera en cas de nécessité les sacrements aux paroissiens.
  • Il est recommandé de ne rien faire soit en justice, soit de manière quelconque et ou l'on pourrait dire que nous avons été trompé ou que l'on a usé de surprise à notre égard ou d'ingratitude ... ou alléguer en leur faveur comme aussi à tout autres bénéfices tant du droit civil que canon, coutumes et statuts généraux et particuliers, lettres obtenues ou qui pourraient l'être par la feinte présentement ou à l'avenir ... c'est pourquoi nous supplions et prions avec tout le respect requis notre révérend père en Dieu et Seigneur Jean, évêque de Strasbourg comme ordinaire du lieu de vouloir bien approuver et gratifier la dite donation avec tout ce qui y est porté et d'y appendre son sceau ».

Cette lettre est suivie de l'accord de l'évêque Jean de DIRPHEIM qui souligne la nécessité du vicariat par en ces termes : « […] Nous Jean, par la grâce de Dieu, évêque de Strasbourg ayant trouvé que la supplication et la demande des dits administrateurs était juste par les malheurs ci-dessus mentionnés, ayant manifesté notre compassion, nous avons d'office approuvé et ratifié au nom de Dieu et en l'honneur de St Blaise et de Ste Marguerite la donation comme légitime et pieuse [...] ».

Fait et donné, le vingt septième janvier de l'année treize cent seize.

Le texte est clôturé par la liste des biens offerts et finançant le vicariat

Dans le ban de Goksweyller (Goxwiller) :

  • Un demi arpent au dit Rudbronner à côté de Vetrel Marsilien
  • Un demi arpent de pré au canton dit Burgelin près du chemin de séparation
  • Un demi arpent de vigne dit An der Strigen traversant le chemin

Dans le ban de Burck (Bourgheim) :

  • Un demi arpent à côté de Pierre Riplin
  • Un zweitel derrière la cour de Walther de Scelestat
  • Un demi arpent près de......

Dans le ban de Zellenveyler (Zellwiller) :

  • Un arpent près de la séparation du ban sur le chemin dit Pfaffenweeg
  • Un zweitel de prés dit Rusche donne 1 boisseau de seigle et d'orge

Dans le ban de Falff (Valff) :

  • Un arpent de terres labourables au canton dit Ehenheim Matten à côté d'Otton Grav portant annuellement 1 résal de seigle et d'orge de rente
  • Un demi arpent de terres labourables au canton dit Langenfeld à côté de Cronerin portant annuellement 1 huitième de seigle et d'orge de rente
  • Un arpent à côté de la sur le bien de ceux de Stift Léonard
  • Un demi arpent à côte du bien de Sainte Croix
  • Un demi arpent au canton dit Uff Steim aboutissant sur le bien de l'Andlau et portant annuellement 8 boisseaux de seigle et d'orge de rente
  • Un arpent au canton dit Bei lehen à côté de la dame abbesse d'Andlau
  • Un demi arpent à côté de ceux d'Andlau
  • Un zweitel à côté de ceux d'Andlau portant 2 huitièmes de seigle et d'orge
  • Un zweitel sur le chemin dit à côté de ceux d'Ebersheim
  • Un Strang sur le chemin dit Hohenweg à côté des Dames et Ste Catherine
  • Un demi arpent aboutissant sur le dit Strang à côté de Mittel Haus portant annuellement 2 réseaux de seigle, avoine et d'orge de rente
  • Un arpent sur le chemin dit Pfaffenweg à côté de Gauthier Schletstat de Bergheim
  • Un arpent à côté du Holtzweg et est un travers champ
  • Un arpent au canton dit Gülten et est un travers champ
  • Un arpent au canton dit Langenfeld à côté du chemin appelé Veegland
  • Un zweitel au canton dit Breitten matten
  • Un demi sweitel auprès du Dinckelbrunn à côté de Fritzmann écuier ci-dessus nommé
  • Un demi arpent au canton dit Bey dem Steinen Schvalle aboutissant sur le fossé dit Schiffgraben donne annuellement 6 réseaux de seigle et d'orge
  • Un demi arpent de prés à côté de ceux d'Andlau à Haguenau
  • Un demi sweitel aboutissant sur le bien Datal dont se paye annuellement un huitième de seigle et d'orge
  • Un demi arpent à côté de la rivière aboutissant sur le Burgelin donne annuellement 1 boisseau de seigle
  • Sur le moulin près du village de Falff 1 résal de seigle et d'orge
  • De la hutte du Neuw matten se payent annuellement 2 réseaux de seigle et d'orge
  • Derrière le Kirchert à côté de la Dame abbesse d'Andlau se paye 1 résal de seigle et d'orge
  • Un demi arpent près de la rivière donne 2 boisseaux de seigle
  • Un viertel auprès de la séparation du ban dans la saison haute à côté du dit Fritzmann donne 1 boisseau d'orge
  • Un viertel de terres labourables aboutissant sur le neulandt dont se payent 2 réseaux de seigle et d'orge
  • Une pièce de terres labourables derrière la maison verte donne 1 boisseau de seigle et d'orge
  • Un arpent et sweitel aboutissant sur Stein donnent 1 résal de seigle
  • De la cabane de St Blaise 13 réseaux et 2 boisseaux par an 

Finalement le sieur EBERHARD, prêtre, n'a pas de dévotion particulière et pour le bien du service Divin donne au dit vicariat par forme de donation libre et irrévocable 1 arpent de terres labourables situé dans le ban de Falff en deça du chemin dit Viehveeg lequel arpent avec toutes ses appartenances (l'orthographe des noms propre a été respecté).

Points marquants du texte

  • Si l'on considère que l'arpent équivaut à 1 acre ou 20 ares, la rente se chiffrait sur plus de 22 arpents ou acres de terres en 1316. Par comparaison, le renouvellement de biens de 1668 ne quantifie plus les biens du vicariat appelé « Frühmessguth » que sur une surface de 5 arpents 1/3. Les injonctions et craintes des fondateurs concernant la pérennité des donations étaient donc fondées. La raison en est qu'entre temps il y eu l'incorporation des biens de la paroisse au profit de l'abbaye d'Andlau en 1408 ; la période de la Réforme qui amena le village à embrasser le protestantisme sous l'influence des seigneurs d'Andlau et la refonte des revenus des curés. Cette situation amènera le curé Jean SCHECK en 1752 a intenter un procès contre la commune.
  • La chapelle Ste Marguerite, n'aurait pas été construite en 1316, mais reconstruite, réparée ou éventuellement agrandie. La mention dans le texte d'un autel à Ste Marguerite déjà existant corrobore cette hypothèse. Sans trop se tromper on peut donc affirmer que l'existence du bâtiment est antérieure à cette date. Quelles sont les anciennes pierres du bâtiment ? Que trouverait on en dessous des fondations ?
  • Les chroniques mentionnent qu'entre 1313 et 1318 a sévit en Alsace une épidémie de peste noire qui se généralisera jusqu'en 1318. Rien qu'à Strasbourg on estime à 2500 le nombre de décès survenus en 1313. On peut donc supposer que la peste avait également atteint le village de Valff et que, par conséquent, un certain nombre d'habitants en furent atteint. Même si la peste n'est pas mentionnée directement dans le texte, il y a une forte présomption. Ce sont les décès nocturnes, sans accompagnement religieux, qui motivèrent la création de la prébende et la reconstruction ou agrandissement de la chapelle Ste Marguerite en dehors de l'enceinte du château et dont l'accès au presbytère était impossible de nuit.

  • Il est question de la cabane de St Blaise, s'agit-t-il d'un monument religieux dédié à St Blaise et qui se trouvait à l'endroit de la chapelle du même nom ?
  • Il existait déjà un moulin à Valff en 1316
  • EBERHARD, chevalier d'Andlau appelé chapelain entretenait le curé BRUNO dans la chapelle du château dédiée à St Blaise. L'ancien presbytère se trouvait près de l'église. C'est le premier curé de Valff dont on connait le nom.
  • Le curé de Valff appelé BRUNO dans le texte est reconnu être le frère de l'abbesse d'Andlau Cunégonde DE GEROLDSECK. La famille de 7 enfants comptait également deux chanoines à Strasbourg. Son nom complet est Bruno DE GEROLDSECK.

La peste

La peste est une maladie infectieuse, qui est principalement véhiculée par le rat qui la transmet à l’homme par l’intermédiaire de puces infectées. Elles est appelée peste bubonique. La peste septicémique est une complication de la première et touche les ganglions. La peste pulmonaire se transmet entres humains par voie respiratoire. On estime qu'elle a fauché plus d'un quart de la population alsacienne. Les Juifs paraissaient moins éprouvés par le fléau que les chrétiens probablement dû a leur hygiène alimentaire et corporelle dictée par des rites religieux sévères. L'antisémitisme alimenté par des rumeurs farfelues comme l'empoisonnement des points d'eaux grandit.

Plan de Strasbourg en 1572

Le jour de la Saint Valentin en 1349 à Strasbourg, les malheureux Juifs furent conduits dans leur propre cimetière où plus de deux mille périrent sur un bûcher. L'endroit de cette horrible exécution porte le nom de rue Brûlée ou « Brandgass ». Un témoin rapporte un dialogue touchant entre un chef de famille juif et l'un des assassins. Comme le prétexte du massacre résidait dans la prétendue responsabilité des juifs dans la propagation de la peste, le juif essaya de s'expliquer en s'écriant : « Mais nos propres enfants aussi sont frappés par la peste ». A quoi le gros HERRMANN, le boucher, répliqua : « Quand on a tué le fils de Dieu, on peut bien empoisonner un de ses enfants à soi pour faire croire à son innocence : tout le monde sait combien les Juifs sont fourbes ». Les massacres s'étendirent à toute l'Alsace et ainsi nombres de créances et emprunts dû aux juifs n’eurent plus a être payé.

Verba volant, scripta manent (Les paroles s'envolent, les écrits restent)

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.