Les registres de comptes ont de tout temps permis aux hommes de justifier devant leurs pairs les dépenses et recettes courantes. Aujourd'hui, ces informations précieuses nous renseignent sur leur mode de vie, leurs pratiques et usages. Pour la comptabilité concernant Valff, nous disposons de différents relevés : les comptes des seigneurs d'Andlau, les comptes de l'église Saint Blaise et les comptes de la commune.
Recettes et dépenses de la commune de Valff du 7 ventôse de l'An 3
Argent et salaires
Avant tout, essayons de nous faire une idée du coût de la vie et du pouvoir d'achat de l'époque, pour cela il est approprié de faire une conversion de la valeur de l'argent. L'entreprise est ardue, car l'argent et leur valeur différait selon les régions. Ce qui est cher ou bon marché aujourd'hui différait du temps de nos anciens.
L'argent en vigueur en Alsace au XVIIIe siècle
Même si au XVIIIe siècle l'Alsace était passée sous autorité française, les comptes se faisaient encore sous écrit et monnaie alémanique.
Le Pfennig est appelé denier en France, le Schilling est appelé sou ou sol et le Gulden, florin. Une livre valait 20 sols ou sous. Un sol valait 12 deniers. Si vous n'y comprenez rien, c'est normal ! Attention, ce n'est pas terminé. Il existait encore des subdivisions de monnaies comme le Kreutzer, le Rappen, le Thaler, Batzen, Heller, etc.... mais un inventaire détaillé découragerait le lecteur, si on sait que la valeur changeait encore selon les coins d'Alsace. Passons !
Calcul du coût de la vie
Pour connaitre le coût de la vie, ce n'est pas mieux, mais essayons ! Si on compare comme base le salaire mensuel d'un journalier au XVIIIe qui était de 50 livres et le salaire minimum en 2010, on obtient une équivalence de la livre sous l'Ancien Régime équivalente à 20 euros (c'est pour se faire une idée). Donc l'ouvrier d'aujourd'hui aurait gagné 50 livres au XVIIIe siècle, ça va toujours … ? 😅
Passons aux comparaisons :
Vers 1700 :
- un bœuf valait environ 85 livres (1700 euros)
- une vache laitière 40 (800 euros)
- et une jument 100 (2000 euros)
D'après un inventaire de 1703 :
- 1 cheval d'attelage bai (cheval de luxe) valait 1500 livres (30000 euros)
- un cheval commun 160 livres (3200 euros)
- un petit cochon 5 livres (100 euros)
- un poulet 0,38 livre (7,60 euros)
- le beurre de 500 gr 0,70 (14 euros)
- le sucre 2,60 livres le kilo (52 euros)
- 12 œufs 0,30 (6 euros)
- une paire de lunettes 0,75 livre (15 euros)
- une paire de souliers 4,5 livres (90 euros)
- des sabots 1,40 (28 euros)
- un chapeau de ville 8 livres (160 euros) et de campagne 3,5 (70 euros)
- le savon 0,80 livre les 500 grammes (16 euros)
- une chandelle 1,5 livre (30 euros)
- le vin rouge ordinaire 0,25 livre la pinte 1,5 litre (5 euros)
- le blanc 0,20 (4 euros)
- l'huile et l'eau-de-vie de 1,5 litre 1,25 livre (25 euros)
- le poisson 500 gr 0,75 (15 euros)
- le blé entre 10 livres le quintal et 25 livres pendant une mauvaise récolte (200 à 500 euros)
- le pain de 500 grammes 0,15 livre (3 euros)
Les prix pouvaient, comme aujourd'hui, varier avec les guerres, les destructions ou les pénuries de récoltes. Par exemple, de 1633 à 1639 (guerre de Trente ans) le blé a augmenté de 300%, le méteil, l'orge et le seigle de 320% et l'avoine de 220 %.
Les moyens de subsistances
Pendant les périodes de troubles, pour ceux qui avaient la chance de travailler, le salaire ne suivait pas les hausses du prix des marchandises, ce qui explique les grandes misères et famines. Les habitants de nombreux villages durent fuir vers les villes où trouver refuge dans les forêts pour se soustraire aux tueries.
Un recensement de mai 1731 indique qu'à Valff, il y avait 108 feux, soit environ 400 habitants dont :
- 46 paysans (hommes, femmes et enfants)
- 49 journaliers(ères)
- 5 veuves
- 1 meunier
- 3 maréchaux ferrant
- 1 menuisier
- 3 maçons
- 147 animaux de trait
- 134 vaches
- 103 maisons
- 3 bâtiments communs
Renouvellement de biens de 1688
En 1668, la superficie des terres du ban s'élevait à 1674 acres dont 1232 acres de terres : 265 acres appartenaient aux paysans et 967 acres étaient loués par les agriculteurs aux instances profanes ou religieuses, soit presque 4/5. Pâturages : 210 acres, dont 38 en biens propres et 272 loués. Communaux : prés et terres défrichées 130 acres. On comprend donc mieux que la Révolution n'a pas fait que des malheureux.
La charge financière des terres louées, quasiment les deux tiers, ajoutait à la précarité des exploitants ruraux. Une autre information intéressante est qu'en moyenne un paysan possédait 6 animaux (chevaux, vaches et bœufs). La superficie cultivée s'élevait en moyenne à 27 acres, soit 5,4 ha par famille. Par comparaison, actuellement, la moyenne de la surface cultivée en Alsace par exploitation est de 22 ha en 2000 (surface faible par rapport à d'autres régions) et le rendement des céréales est trois fois supérieur qu'à l'époque.
Salaires au XVIIIe siècle
- Un homme (journalier) gagnait environ 40 sols par jour soit 52 livres par mois (1040 euros)
- Un vendangeur 25 sols par jour 32 livres par mois (640 euros)
- Une servante 20 sols par jour soit 26 livres par mois (520 euros)
- Un artisan 3 livres 80 livres par mois (1600 euros)
- Un maître d'école de 30 livres (600 euros) et exceptionnellement 150 livres par mois (3000 euros)
- Un bourreau, 15 livres mensuels pour torturer et faire parler (300 euros) :
- 8 livres pour fracasser sur la roue (160 euros)
- 4 livres pour pendre et décapiter (80 euros)
- 4 pour brûler au bûcher ou bouillir (80 euros)
- 2 arracher la langue (40 euros)
- plus les avantages en nature : le logement, un setier de blé à la Noël et à Pâques
- et le droit de havage : possibilité de prendre chez les marchands et forains des grains, fruits ou autre marchandise autant que la main peut prendre. Les commerçants ainsi ponctionnés sont marqués d'une croix à la craie.
- et la femme au foyer … la reconnaissance de son mari … ou pas !
Les habitants de la campagne pouvaient se suffire à eux même et produisaient leur propre nourriture. Mais quand on n'a rien, difficile de produire. Les impôts et taxes écrasaient les paysans. Cela amena une première révolte dite guerre des paysans XVe siècle (appelé aussi Bundschuh par opposition à la botte seigneuriale). Résultat : massacre de 30000 paysans. En 1599, les habitants de Valff frondent également, mais toujours sans résultat. La révolution française mélangera les cartes des pouvoirs.
Notons qu'une denrée, qui, aujourd'hui, est si courante, était d'une si grande valeur et vitale, qu'elle était taxée à part : on parle du sel ! Le sel était tellement important, qu'en 1718 les seigneurs d'Andlau établir un règlement sur la vente du sel. L'impôt s'appelle la gabelle.
Il existe environ un panel de 90 autres taxes, impôts et droits différents que les seigneurs avaient en leur pouvoir pour essorer leurs sujets. Cela pouvait aller du droit de mariage (Bed edemunt) au droit d'exemption de l'entretien des chiens du seigneur (Hundgeld) à la taxe de prostitution (Unsuchtgeld) en passant par le (Wassergeld) droit d'utiliser l'eau des rivières. Heureusement que tous les seigneurs n'avaient pas tous un appétit boulimique compulsif … mais cela dépendait de son bon vouloir.
Dans le prochain article, nous nous plongerons dans les chiffres et les comptes des seigneurs d'Andlau, de la paroisse et de la commune.
Sources : archives de la commune