- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Les médias relatent régulièrement des enquêtes policières et la police scientifique contribue à élucider des cas épineux. Valff a également été le théâtre d'une enquête peu orthodoxe. Suivons cette enquête originale qui a dû générer bien des conversations !
Autopsie d'un décès
Dès le XVIIIe siècle, les décès douteux étaient analysés et les corps autopsiés par des chirurgiens. Le cas d'un mort énigmatique dans la commune nous dévoile la procédure.
29 juin 1760, un homme aux cheveux noirs et au chapeau distingué traverse le village de Valff, il interroge vers 16 heures Rudolph WIEDBRUCH, maître de la garde de Valff, et le questionne sur le chemin en direction de Niedernai. WIEDBRUCH voit bien que l'inconnu est mal en point, mais ce dernier continue son chemin. Au niveau de la dernière maison du village en direction de Meistratzheim, il s'arrête brusquement… et s'écroule raide mort ! Des enfants qui jouaient à proximité s'approchent, se penchent prudemment sur le corps et, comprenant qu'il y a un problème, alarment effrayé la populace.
Le lendemain, 30 juin, sept heures. Le bailli Jean-Antoine SCHECK d'Andlau se rend sur les lieux et entreprend de fouiller le quidam que l'on a laissé à terre depuis la veille. La description de l'habillement et les affaires du mort laissent présager un individu hors du commun. Habillé d'un juste au corps bleu, garni de petits galons de soie rouge, noir et jaune, des boutonnières et des boutons en étain, un gilet de satin blanc, une culotte de peau, des guêtres de toile blanche et un ceinturon de peau noire ne sont pas banals. Un couteau de chasse en corne de cerf et laiton complète l'inventaire. L'homme est l'attraction, les enfants et des curieux ébahis et attroupés autour de lui. Près du corps traîne une hotte remplie de divers objets. Le tout est déposé chez François Joseph NEFF, le cabaretier.
On sortira de la hotte une tabatière usée en laiton, un livre de prières, une paire de lunettes avec étui, un chapelet, des bouts de cierges, un peigne, une paire de ciseaux, un miroir, des crayons, des plumes, 15 cahiers vierges, de vieux souliers, une chemise de toile de chanvre et une bourse de peau contenant 40 sols et demi d'argent, et… une liste de commission à faire. Mais ce qui permettra d'identifier le malheureux, ce sont des livres de philosophie, un livre de prière, et un livre des miracles de Saint Aloïse dans lequel est griffonné sur la première page un nom : Georges Michel RUEB. Une quantité de lettres à destination des instances juridiques et administratives de l'Évêché de Strasbourg à Saverne compléteront les indices permettant l'identification. Notre homme porte désormais un nom et une fonction : Georges Michel RUEB, messager à pied envoyé par de la ville viticole de Rouffach.
Le bailli ordonne le transport du corps dans le local en face du corps de garde. Il applique sur le front du macchabée à l'aide de cire chaude le sceau des Seigneurs d'Andlau. Une autopsie est ordonnée et ce sont les chirurgiens Jean-Georges STÖKINGER d'Andlau et Jean-Georges DRELLER de Valff qui manipuleront la lancette (ancêtre du bistouri) et trifouillerons ses entrailles. Verdict : le visage est bleu, le corps livide, nous avons ouvert le mort, à l'intérieur de la poitrine, une grande quantité de sang caillé et avons ainsi jugé qu'il est mort rapidement de mort naturelle. C'est sans appel ! La sépulture aura lieu le même jour dans le cimetière de Valff.
Abandon d'enfant
La misère peut pousser les hommes à bien des extrêmes. Même une mère peut abandonner le fruit de son ventre. Cette situation est survenue le 2 décembre 1760 à Andlau. La justice, à cette époque, n'avait pas de considérations et ne permettait aucun manquement. La sentence sera à la hauteur de l'indignation générée dans la population. Cecile SEIZTINE de Heiligenzell est servante chez des particuliers à Andlau. Une nuit, à cinq heures du matin, en plein hiver, honteuse, tremblante et désemparée, ne pouvant plus subvenir aux besoins de son enfant et remplie de honte, décide d'abandonner sa petite fille de huit mois « dans la boue de la vallée d'Andlau (sic) ». Les cris de l'enfant alertent les voisins, l'enfant est sauvé.
Après enquête, la justice décidera tout naturellement de condamner la mère indigne. Il faut marquer un exemple ! Elle avait pourtant porté plainte auparavant pour viol, mais n'avait point été écoutée. Sa requête avait été rejetée. La parole d'une servante n'avait que peu de valeur, surtout si le père désigné était un chrétien reconnu et un notable respecté. Cécile connaît la loi. Dès ce matin fatidique, elle a pris la fuite et a disparu. Qu'à cela ne tienne ! Elle est condamnée par contumace. Le tribunal juge à une exposition, un jour de marché, dans le carcan sur la place publique d'Andlau et battue de verges dans le dos. Si on lui mettait la main dessus, elle serait attachée pendant deux heures à la merci des badauds et des femmes acariâtres qui ne tarderaient pas de l'injurier et lui lancer tous les détritus possibles. Elle est également bannie à perpétuité de la seigneurie d'Andlau et condamnée à payer au Seigneur d'Andlau en supplément 150 livres d'amende. L'enfant sera finalement confiée à des parents adoptifs… et la mère condamnée à se culpabiliser pour le restant de ses jours, sans espoir de pouvoir, un jour, revoir sa petite fille !
Le carcan et le pilori
Le condamné est conduit à pied, les deux mains liées, jusqu'à un poteau planté sur la place publique ; à ce poteau est attachée une chaîne au bout de laquelle pend un collier de fer de trois doigts de large, ayant une charnière pour l'ouvrir. On fait entrer le col nu du patient dans ce collier qu'ensuite, on ferme avec un cadenas ; il pouvait être en bois avec une ouverture pour la tête et les deux mains. Un écriteau cloué devant et derrière stipulait le délit. La peine durait de quelques heures à quelques jours. Le condamné était ainsi exposé aux insultes, crachats et autres humiliations de la part de la population. Cette sentence était réservée aux faussaires de tous genres, aux commerçants ayant frelaté leur marchandise… ou aux femmes adultères. De même, les enfants, trop turbulents et les maraudeurs, n'étaient pas à l'abri du carcan. Le carcan a été aboli par la loi du 28 avril 1832.
Sympa, la justice à l'époque ! 😋