Les derniers jour de l'agonie de la fin du Troisième Reich vont entraîner avec elle de nombreuses vies. Le jeune incorporé de force, André VOEGEL, va vivre des jours difficiles.
Compte tenu de mon temps de service dans la Wehrmacht, j'ai avancé en grade et fut nommé caporal. Je n'ai jamais porté le galon correspondant. C'était au début de l'année 1945, en pleine déroute, et personne ne prêtait plus attention au port des galons. Seuls les bornés croyaient encore à la victoire de l'Allemagne et à l'arme secrète du Führer. Wernher VON BRAUN travaillait farouchement à Peenemünde, fut récupéré après la guerre par les Américains et transféré en Amérique avec toute son équipe d'ingénieurs. Il deviendra un des dirigeants pour les recherches du programme spatial américain (fusées Jupiter, Saturne, etc).
Nous, nous nous ne connaissions, par ouille dire, que l'existence des fusées V1 et V2 (« V = Vergeltungswaffe », arme de représailles). Sans équipage et dirigées à distance, elles ont engendré des dégâts considérables sur les villes anglaises. Durant les derniers mois de la guerre, j'ai pu voir des avions sans hélice. C'était les premiers avions à réaction, mais je ne me souviens plus de leur nationalité. Avec le recul, je pense qu'il s'agissait d'avions allemands de type Heinkel He 162 A, ou éventuellement de Messerschmitt Me 262 B. Un alsacien, Henri JEANNIN, a participé à la conception des propulseurs des V1.
Distinctions
Donc, non seulement j'ai avancé en grade, mais avec d'autres camarades, nous faisions maintenant l'objet d'attentions particulières dotées de distinctions et de médailles. Il y avait tout d'abord le « Sturmabzeichen in Silber », médaille d'assaut en argent. Il fallait pouvoir justifier de 21 jours d'attaque (pas nécessairement à titre personnel), mais avoir appartenu à une unité ayant réalisé ces journées. J'ai également été récipiendaire de la « Nahkampfspange », médaille de combat de proximité, décernée à tout soldat appartenant à une formation qui pouvait justifier de 16 jours de combat de proximité. Enfin, toute ma section fut désignée pour recevoir le « EK 2 - Eiserne Kreuz zweiter Klasse » qui correspond à la croix de guerre française. Cette médaille nous était décernée « Wegen Tapferkeit vor dem Feind » (pour actes courageux devant l'ennemi). Personnellement, je ne pense pas avoir mérité ces médailles, car chaque fois que l'occasion s'était présentée, j'ai essayé de déserter ! Mais le hasard a voulu que j'appartienne à des unités qui se sont distinguées. Vers la fin des hostilités, les médailles ont été distribuées à la pelle histoire d'encourager les derniers combattants encore motivés et valides.
Vers la fin des hostilités
A partir du mois d'avril 1945, la déroute de la Wehrmacht s'est accélérée. On sentait nettement que la fin approchait. Toute l'organisation militaire et la discipline qui, pendant des années avaient impeccablement fonctionné, s'était envolées. Dans une confusion totale, l'armée allemande se retirait de tous côtés pour échapper à l'encerclement et aux camps russes. Ces soldats battant en retraite n'avaient qu'une seule idée, ne pas tomber entre les mains des russes mais plutôt de se rendre à l'armée américaine. Beaucoup pensaient même continuer le combat aux côtés des américains, contre l'armée rouge.
Quelques jours avant la capitulation, le général allemand de la « Heeresgruppe Mitte », commandant l'armée centrale du front russe, SCHOERNER, lançait à toutes les unités du centre l'ordre du jour suivant que je cite textuellement de mémoire : « Die Süd und die Nordfront der deutschen Wehrmacht der Ostfront haben kapituliert, wir werden weiter kämpfen und ich werd Euch in Reih und Glied in die Heimat zurückführen » (les fronts du Sud et du Nord de la Wehrmacht ont capitulé, mais nous allons continuer à nous battre et je vous conduirai en rangs ordonnés dans vos foyers !). Plus tard, j'ai appris, que quelques jours après avoir prononcé ces paroles, il avait pris son avion « Fieseler Storch » pour se rendre en Allemagne puis, déguisé en civil, en Autriche préférant se rendre aux américains. Ce comportement absurde et irresponsable eut des conséquences dramatiques pour les soldats allemands restés au front. Certains officiers nazis qui croyaient encore au « Endsieg », à la victoire finale, nous obligèrent à prendre position face à l'ennemi.
Pendant un laps de temps (pas très long), l'armée russe continua à avancer sans difficulté au Nord et au Sud et finit par encercler l'armée allemande, mais ça nous l'ignorions ! Je sais qu'après la guerre, SCHOERNER fut cité devant un tribunal, pour justifier de son comportement. Le 8 avril 1945, quelques jours avant l'armistice, il avait encore été nommé « Feldmaréchal » par HITLER. Remis par les américains aux russes, puis libéré en 1955, il ne cessera de justifier son action lors de conférences.
Les unités allemandes obligées de garder leurs positions, se disloquèrent rapidement. Moi non plus, cette forme de résistance ne me motivait. Le deuxième jour, avec quelques amis, je me suis évadé une fois de plus loin de ces combattants fanatiques. Alors que nous passions un village en flammes, j'ai dis à mes amis : « Pour moi la guerre est terminée ! » et j'ai jeté mon arme et mes munitions dans une maison en feu !
Nous croisâmes des chars en déroute dont les servants n'hésitèrent pas à nous prendre à bord. C'est au cours de ce déplacement que j'ai perdu mon portefeuille contenant tout mon argent et mes papiers. Après une journée de voyage en Panzer, notre engin tomba en panne sèche et nous dûmes à nouveau continuer à pied. Peu de temps après, nous avons trouvé un camion. Le véhicule suivait une colonne en déroute et je n'ai éprouvé aucune inquiétude, persuadé que la direction empruntée était la plus courte pour aller vers l'Ouest. Ce n'est qu'après la guerre, lorsque j'ai consulté une carte géographique, que je me suis rendu compte que nous nous dirigions plein Sud, sortant du territoire allemand pour entrer en Tchécoslovaquie. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à m'expliquer cette absurdité. A l'époque, je n'avais pas de carte et faisais entièrement confiance à cette colonne en mouvement. Nous étions vraisemblablement déjà encerclés. J'avais gardé sur moi un pistolet 7/65, ainsi que des décorations prélevées sur un officier russe. Je sentais que des événements imprévisibles pouvaient survenir d'un moment à l'autre. Mon sixième sens me disait de me préparer à quelque chose de mauvais, en cours de route, je me suis donc débarrassé de mon pistolet et de mes décorations russes. Il était grand temps, car brusquement notre camion s'est arrêté. Nous étions face à face de chars T34 de l'armée rouge !
Prisonnier de l'armée rouge
Parmi les occupants du camion, se trouvait un colonel allemand. A la vue des russes, il a tiré son pistolet et a tué un soldat russe. Il fut immédiatement abattu. J'avais très peur. L'acte commis par l'officier était de la pure folie et notre reddition débutait mal. Pendant des heures, on nous a obligé de rester les mains en l'air face aux armes soviétiques. A tout moment nous risquions d'être abattus, tant les russes étaient nerveux et préoccupés par cette masse de prisonniers toujours grandissante. Chacun de nous a été fouillé quatre, voire cinq fois, accompagné de brutalités et du vol de tout ce qui pouvait présenter un quelconque intérêt : montres, alliances, portefeuilles et même les bottes ! Comme j'étais heureux d'avoir jeté les insignes russes ! Par l'intermédiaire d'un interprète, on nous a fait comprendre que celui qui détiendrait encore la moindre chose serait fusillé. J'ai été fait prisonnier en Tchécoslovaquie, au Nord de la ville de Prague. Jamais je n'oublierai ce jour, ni la frayeur et la peur violente et angoissante qui m'a envahi. Cette peur de se dire que tout est possible.
A suivre ...
Source : Mémoires d'André VOEGEL
Récit complet des mémoire du malgré-nous André VOEGEL :
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 1)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 2)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 3)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 4)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 5)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 6)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 7)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 8)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 9)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 10)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 11)
- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 12)
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- Mémoires de guerre d'André VOEGEL (partie 17)