Le prisonnier André VOEGEL et ses compatriotes alsaciens « Malgré-nous », se morfondent dans un bâtiment où ils ont été cantonnés par les maquisards tchèques. Certains décident de s'évader.

L'évasion

Nous portions toujours l'uniforme de la Wehrmacht dans un pays farouchement hostile aux allemands, sans pouvoir expliquer notre situation d'alsaciens incorporés de force. Il nous fallait trouver une solution. Certains d'entre nous décidèrent de rejoindre l'Autriche, pays dans lequel il nous serait plus facile de nous faire comprendre et nous procurer des effets civils. J'étais de la partie ! La frontière autrichienne est distante d'environ 80 km de Brno. Très tôt le matin, nous avons donc quitté notre école où nous étions cantonnés, direction l'Autriche ! Nous étions 7 ou 8. A peine sortis de la ville, premier incident ! Une femme de la police militaire russe qui réglait la circulation des véhicules militaires dans un carrefour, nous intercepta et nous somma l'ordre de retourner en ville. Heureusement pour nous, il semble qu'elle ai eu l'obligation de garder son poste et nous fîmes semblant d'obtempérer. Hors de sa vue, nous avons contourné l'endroit et poursuivi notre chemin. Forts de cette expérience, on ne s'est déplacé plus que de nuit.

Un jour que nous dormions au bord d'une ligne de chemin de fer, nous avons vu passer, en direction de l'Est, un train interminable de prisonniers parqués dans des wagons à bestiaux. A cet instant nous avons encore plus savouré notre liberté ! On s'est alors dit que pour garder cette précieuse liberté, il nous fallait encore plus redoubler de prudence. Pendant cette expédition, le plus grand problème a encore et toujours été la nourriture. Mais en parcourant la plaine, nous avons finalement trouvé, ça et là, de quoi subvenir à nos besoins. Et puis un matin, le soleil venait à peine de se lever, nous avons atteint la frontière autrichienne. Elle était uniquement matérialisée par une ligne de fil de fer barbelé, sans gardes-frontière, ni surveillance. Avant de la traverser nous nous sommes mis à l'abri derrière un petit monticule pour délibérer. Nous décidâmes à l'unanimité de nous séparer, à partir de maintenant, c'était chacun pour soi ! Nous avons pris congé les uns des l'autres en nous souhaitant de bon coeur, bonne réussite ! Secrètement chacun pensait, qu'individuellement, il était mieux placé pour faire les bons choix.

L'Autriche 

Au crépuscule, j'ai rampé sous les barbelés avec l'objectif de rejoindre le premier village situé de l'autre côté. Malgré mon optimisme, les difficultés étaient loin d'être terminées. L'Autriche comme la Tchécoslovaquie, était occupée par l'armée rouge. Mon premier souci a été de me défaire de mon uniforme de la Wehrmacht pour devenir un civil ordinaire. Pour cela, il me fallait prendre contact avec la population. Je me suis présenté dans une maison un peu à l'écart. Un couple d'un certain âge, me reçu sans aucune hostilité. Ce fut un grand soulagement pour moi, de trouver enfin des gens qui m'écoutaient et qui semblaient comprendre ma situation. Ils étaient très corrects, amicaux et aimables. La première chose que j'ai sollicité était des vêtements civils. Le monsieur m'apprit que les russes lui avaient pratiquement tout volé et qu'il ne possédait plus grand chose. Pourtant, il insista pour vérifier s'il ne lui resterait pas quelque fripes pouvant faire mon bonheur. Peu de temps après, il revint avec une veste de travail bleue et un vieux chapeau. Séance tenante, j'ai échangé mon « Feldgrau » contre ces habits civils. J'ai du garder mon pantalon militaire, mais il ne jurait pas avec le reste de ma tenue. Quel bonheur de redevenir un civil ! Avant de partir, mes hôtes eurent même le gentillesse de m'offrir un verre de vin blanc. Il était délicieux, le premier verre depuis un an !

Ayant pris congé de ces braves gens, je me suis à nouveau retrouvé seul, errant dans une rue, au milieu de soldats soviétiques et j'avais très faim ! Il me fallait trouver une solution et l'idée me vint de « taper très haut » ! Comme durant toutes les périodes d'occupation militaire, je savais que chaque village était administré provisoirement par un commandant. C'est donc à son niveau que je me suis décidé de tenter ma chance. Un grand sourire aux lèvres, je me suis présenté chez le responsable pour lui expliquer que j'étais un « Franzuski », victime du travail obligatoire. Je fus surpris et heureux d'être très bien reçu par ce monsieur, très jovial et apparemment heureux de pouvoir parler à un citoyen français. Notre dialogue resta limité ; je ne voulais surtout pas dévoiler mes connaissances de la langue slave pour ne pas éveiller des soupçons. Pour sceller la nouvelle amitié franco-russe, il m'offrit une gamelle de soupe au lard très épaisse que j'ai dévoré avec avidité. Mon nouvel ami russe est resté ébahi par mon vigoureux appétit. Après avoir apaisé ma faim, je lui ai demandé la direction pour rejoindre l'armée américaine. Mon horizon s'éclaircissait lentement.

En route, il m'arrivait de croiser régulièrement des sections militaires, que je saluais toujours avec un grand sourire en leur déclinant immédiatement et fièrement ma nationalité « Franzuski ». Les russes paraissaient contents et ça marchait à tous les coups ! Je me suis même reposé un jour, au bord d'une route, en compagnie d'un groupe de soldats. Ces hommes étaient tous d'un certain âge, de type mongol avec de grosses moustaches et des yeux légèrement bridés ... mais très sympathiques. J'ai rencontré parmi eux, un type qui parlait quelques mots de français. Il me questionna sur ma provenance en France. Je lui ai répondu « Strasburgo », il fit semblant de connaître ! Avant de me quitter, ils m'ont offert des cigarettes russes « Machorka », très appréciées par ces temps de disette ! Durant cette période et toujours pour me procurer de quoi manger, j'ai refais une ou deux fois le coup de la prise de contact « taper haut ». Toujours avec succès !

Au cours de mon périple à travers le pays, j'eus la chance de pouvoir attraper un train en direction de l'Ouest. D'après les renseignements pris auprès de la population, la ligne de démarcation entre les russes et américains, se trouvait à Mauthausen, ville de triste renommée qui abritait un terrible camp de concentration. J'ai appris longtemps après la guerre, qu'un de mes copains de classe du nom de Roger WEILL est décédé dans ce camp. Il avait rejoins le maquis en France, avait été dénoncé et incarcéré. En plus en tant que juif, les allemands ne lui ont laissé aucune chance [en savoir plus : Le destin tragique de la famille WEILL (partie 1) et le destin tragique de la famille WEILL (partie 2)].

Roger WEILL (en rouge) mort à Mauthausen et André VOEGEL (en bleu)

Mauthausen était la station finale du train et se trouvait à environ 150 km de la frontière austro-tchécoslovaque, d'où je venais. Aussitôt arrivé, j'ai quitté la gare de marchandises et m'apprêtai à rejoindre la ville, lorsque j'aperçus au milieu de l'artère principale une barrière interdisant toute circulation. De prime abord, je me suis méfié et m'abstins de me rapprocher avant d'avoir pris des renseignements. Un passant m'informa que la barrière indiquait la ligne de démarcation et que les soldats qui s'y trouvaient, étaient des américains !

Les soldats américains

Ma joie fut immense et me sachant enfin sauvé, je me suis précipité dans leur direction. La surveillance était assurée par des soldats blancs et d'autres de couleur. Tous mâchaient quelque chose. Je les ai approché avec un grand sourire, mais qu'elle ne fut pas ma déception ... de me voir refoulé ! J'ai essayé de m'expliquer autant que faire se peut, insistant sur mon identité de ressortissant français, mais rien n'y fit ! On me demanda de retourner en zone soviétique et de me procurer un laissez-passer de la main du commandant de la place. Je ne possédais aucun papier pour me justifier et même ... me présenter chez le commandant russe pour lui demander un laissez-passer me faisait peur. Maintenant que j'étais si près du but, cela pouvait s'avérer suicidaire. Et si on me renvoyait dans un camp de prisonniers ? Il fallait que je trouve une autre solution.

A suivre ...

Source : Mémoires d'André VOEGEL

Récit complet des mémoire du malgré-nous André VOEGEL :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.