Un maire contesté, cela arrive, mais un maire honni voilà qui est plus rare. Valff a eu l'un et l'autre. Intéressons nous au deuxième cas. L'heureux élu s'appelle Chrétien BURGSTAHLER. Il est le fils de Chrétien et de Marie Barbara ROSFELDER. Il voit la lumière du jour le 10 août 1762. Son père est maçon. Chrétien épousera une fille du pays : Marie Marguerite KORMANN, née en 1767.
Marguerite et Chrétien se marient ailleurs qu'au village alors qu'ils sont tous deux originaires du lieu ; y avait-il déjà de l'eau dans le gaz avec le curé André SCHECK ? Ils auront une fille Marguerite née en 1805 alors que l'heureux papa est Maire et agriculteur, une Marguerite née en 1804, Georg né le 5 messidor An 9 de son papa encore maçon, Jean-George né le 20 Floréal de l'An 7, et François en 1792. Nos tourtereaux se sont donc mariés pendant les années révolutionnaires. L'homme est ambitieux, caractériel et autoritaire ! Les conséquences ne vont pas tarder !
Acte d'installation du 2 frimaire An 13 (23 novembre 1804) du nouveau Maire BURGSTAHLER à la place du maire JORDAN
Chrétien BURGSTAHLER est élu maire de 1804 à 1812 date à laquelle il est démis de ses fonctions. Mais de quoi l'accusait-on ?
Tout débute avec la venue à Valff de la famille de salpêtriers TROESTLER. Le Maire pour une raison inconnue interdit à tout habitant de louer une habitation à la famille du salpêtrier. Trois mois après son arrivée quelqu'un troue le chaudron de la salpêtrière. Monsieur le Maire confisque les terres salpêtrées pour son propre compte. La baraque est vandalisée, le toit troué et des tunnels creusés sur les côtés qui servent à voler le salpêtre. Dans la nuit du 27 au 28 septembre c'est le drame. Un incendie se déclare au niveau de la chaudière, après quoi, le Maire interdit à tout habitant, sous peine d'emprisonnement de s'approcher de l'endroit. Même ses adjoints qui tentent d'enquêter sur l'origine du feu sont chassés ! Le Maire et les TROESTLER se rejettent mutuellement en être à l'origine [en savoir plus : Histoire explosive à Valff].
Mais ce ne sont pas les seuls griefs à l'encontre de l'élu :
- On l'accuse de tirer des rétributions personnelles en contrepartie d'attribution de droits de patentes professionnelles
- Le Maire offre moyennant une somme d'argent, la résidence à des militaires déserteurs
- Le Maire est impliqué dans deux procès criminels, l'un pour publication de fausse loi à l'aide de quoi il a extorqué Henri LEOPOLD, vigneron et Conrad KORMANN laboureur de Valff
- Il a usé de son pouvoir pour empêcher Martin BEINER de Bourgheim de porter plainte contre des Valffois qui l'on volé. Ces derniers le gratifieront d'une récompense
- Il fait couper de jeunes saules de la commune et en vend une partie l'osier et partage le reste avec ses amis, néglige de faire monter la garde, corrompt le maréchal des logis de la gendarmerie de Barr pour qu'il ferme les yeux, fait disparaitre une centaine de fagots de la mairie pour une destination inconnue, inflige une amende aux pauvres qui glanent après les récoltes, accuse faussement de vol des innocents qui ne sont pas de son côté, retient une partie du tabac à livrer pour son usage personnel
Extrait de 1807
Le document ci-dessus est le métrage et projet de l'architecte KRAUTH mandaté par le Maire BURGSTAHLER, pour estimer des travaux de curage et réfection des murs d'adossement de la Kirneck, la construction de plusieurs ponts dans le village et à l'extérieur dont celui du maire, la construction d'un revêtement entre la route et la rivière dans le village, la réparation du mur de clôture du cimetière, la construction d'un puits de 6 mètres 30 et de 1 mètre de diamètre dans la cour de l'école avec pompe, les réparations du toit de l'école, crépissage de l'écurie communale et réparation de la porte et de l'escalier de pierre menant à la porte d'entrée, blanchissage à la craie et colle de la chambre du curé, réparation de l'âtre et de la cheminée, de 18 carreaux rond plombées et des volets du presbytère, crépissage de la buanderie, pour un prix total de 5781 francs et 17 centimes.
Serment de fidélité à l'Empereur de Chrétien BURGSTAHLER du 28 juin 1808
Et ce n'est pas fini !
On découvre qu'il cache à la mairie une caisse noire, privilégie son cousin germain Antoine BURGSTAHLER, maçon, pour l'adjudication de ces gros travaux de maçonneries cités plus haut, fait faucher les foins dans le Kocheli pour son profit personnel, vend des broussailles et des chênes pour sa caisse noire, délivre de faux certificats, se fait payer pour le mesurage des conscrits, perpétue bassesse après bassesse, ...
Signature du Maire BURGSTAHLER et de son cousin Antoine qui a raflé l'adjudication des travaux de rénovations
Le curé SCHECK qui n'en peut plus, enfonce le clou en écrivant une lettre incendiaire au Préfet. Il écrit avec classe et érudition : « Le maire est un monstre, un vrai tyran pour les pauvres habitants de Valff, qu'il afflige, qu'il vexe, qu'il tourmente, qu'il persécute avec un tel excès d'outrance, qu'il a eu la satisfaction d'être devenu auteur de trois ou quatre personnes de leur mort prématurée. [ ]. A pas de lynx astucieux, il se fait des moyens d'injustices, de fraude et supplantation des protecteurs et des défenseurs, dont les uns il en est leur chien de chasse, et des autres, leur infâme imposteur. [ ]. Cet anoyant hyérophant est l'auteur d'une longue catégorie de vilénies. Il perpétue un foyer incendiaire de toutes les rixes, haines, discordes, infamies, persécutions qui ne finiront que si l'on n'y remédie promptement, que par des malheurs. Ce n'est qu'à Monsieur le Préfet et à ma plume, que je suis assez osé de faire cette confession avec la plus instante prière de ma paroisse et de moi-même, de nous délivrer de ce fléau et ferez justice et grâce. Avec la plus respectueuse soumission, le très humble et très obligeant serviteur. Curé SCHECK ».
Lettre du curé Scheck 1812
Après avoir été suspendu de ses fonctions, le Maire déchu, Chrétien BURGSTAHLER, est sommé par le nouveau maire, Antoine LUTZ, de remettre les papiers communaux. BURGSTAHLER envoya donc une de ses filles, qui, voyant la maison du Maire fermée, lança les dits papiers en vrac à l'intérieur de la maison par une fenêtre ouverte. Charmant !
Procès verbal dans le livre des délibérations de la commune transcrit par le nouveau maire Antoine LUTZ, déclarant que les livres et documents municipaux n'ont pas été rendus par l'ancien Maire du 1er mai 1812
Chrétien BURGSTAHLER décèdera le 8 mars 1840, son épouse vivra jusqu'à 88 ans.
Si l'on tient estime que les numéros de maison correspondent à peu près aux numéros actuels, on peut supposer que la famille BURGASTAHLER habitait en 1836 dans le haut-village. On lui avait attribué le n°99. A 42 ans et 33 ans, ses filles Anne Marie et Marguerite n'étaient toujours pas mariées en 1836. Georg est mort à 4 ans. La descendance mâle de Chrétien BURGSTAHLER s'est éteinte.
Recensement de 1836
Sources :
- Archives de la commune
- Archives départementales
- Fond Antoine MULLER