Comme dans de nombreuses communes d'Alsace, déchirées par des sentiments nationalistes, le cœur des habitants balançait entre l'amour, de l'ancienne patrie France et pour d'autres, l'admiration de l'ordre allemand.
Pour l'instituteur à la retraite Thiebault HILSZ c'était clair : il s'était juré de ne pas mourir avant d'avoir vu les troupes françaises défiler à nouveau sous sa fenêtre. Avant de savoir si son vœu se réalisa, attardons-nous un peu sur sa biographie.
Biographie
Thiebault vit le jour à RHINAU, petit village qui borde le Rhin à un jet de pierre de la frontière allemande dans les années 1822. Le petit village était aussi le lieu de naissance d'un certain Antoine LEYBACH (1791-1823) qui, après avoir été promu à l'Ecole Normale, fut envoyé enseigner dans l'école élémentaire de Valff. Pour LEYBACH, cette affectation était une suite logique, car son oncle Aloïse LEYBACH officiait en tant que curé dans la commune. À cette époque, il était du ressort du curé de proposer les enseignants. Comme les bonnes choses peuvent aussi voler en escadrilles, notre instituteur trouva en plus l'amour en la personne de Madeleine HIRTZ qui lui donna quatre enfants, mais François Antoine ne vivra que six mois.
Recensement de 1836
Mais revenons à Thiebault HILSZ. En 1845, Antoine LEYBACH fut révoqué de son poste d'instituteur pour « manque de zèle, d'activités et négligences ». Ses classes d'école s'étaient vidées et il ne lui restait qu'une dizaine d'élèves qui suivaient vaguement ses cours. LEYBACH, pour garder la face, démissionna pour cause d'infirmité [en savoir plus : Les années studieuses]. Thiebault qui venait de terminer ses études à l'Ecole Normale, fut donc proposé au poste vacant. Il avait 24 ans.
École supérieure de filles du quai Finkwiller à Strasbourg en 1900
Délibération du Conseil municipal pour la nomination de Thiébault HILSZ le 12 octobre 1845
Pour sa nouvelle affectation, Thiebault touchera 800 francs comme LEYBACH plus 200 francs supplémentaires, avec les droits d'écolages payés par les parents pour chaque enfant, plus 200 francs pour le bois de chauffage de l'école. Il jouira d'un logement, d'un petit jardin et d'une grange avec écurie. La rémunération de 50 francs d'organiste et de secrétaire de mairie et de sacristain reste au profit de LEYBACH qui conservera ces occupations. Antoine LEYBACH avait une fille… et Thiebault en tomba amoureux ! Marie-Madeleine lui enfantera Louis Eugène et Marie-Anne. Thiebault leur survivra tous.
Après le décès de son beau-père, Thiebault prendra également la charge de sacristain. Mais dans les années 1870, le curé RIEFFEL informe le Conseil de Fabrique que l'instituteur Thiebault HILSZ avait cessé, ainsi que son aide instituteur, sans en avertir qui de droit, les fonctions de sacristain. À cette époque, c'était la guerre entre le maire ANDRES et le curé RIFFEL. Des divergences patriotiques suite à l'annexion avec l'Allemagne ? Notre patriote Thiebault avait-il choisi son camp ?
Après 1870, sous l'autorité allemande, l'école est obligatoire. On pouvait même être condamné pour négligence si les enfants n'étaient pas scolarisés. L'exemple de Louise Koch est marquant. Son jugement est même publié. " Louise Koch, veuve de Michael Reinhardt, vannière, 40 ans, habitant en dernier lieu de Valff, a été condamnée par le tribunal de Villé le 29 juin 1881 pour avoir emmené ses enfants, en âge d'aller à l'école, dans son activité professionnelle avec elle et est par ainsi condamnée à trois jours de prison."
Revenons à notre histoire relatée en introduction. Après le décès de sa femme en 1895, de son fils à 53 ans en 1903 et finalement de sa fille Marie-Anne qui s'éteindra à 44 ans et qui avait épousé Florent ROSFELDER, Thiebault, retraité, s'installa au n°91 de la Muhlgasse (rue du moulin). Dans le recensement de 1885, il est noté en tant qu'agriculteur.
Recensement de 1885
C'est donc de sa fenêtre que Thiebault a pu voir avec fierté, le 23 novembre 1918, défiler 16 cavaliers français, clairon en tête, qui fêtèrent le retour de l'Alsace à la patrie France. Son vœu était exaucé ! Maintenant, il pouvait mourir… et c'est ce qu'il fit 31 jours plus tard !
Acte de décès du 14 décembre 1918
À droite à l'avant, la maison de Thiebault HILSZ
La famille HILSZ
Maryse HILSZ
Une personnalité éminente de famille HILSZ est Marie-Antoinette surnommé Maryse. Née en 1901 à Levallois-Perret près de Paris, elle est la troisième enfant d'un tonnelier et d'une couturière. Son père François Antoine est né à Rhinau et se retrouvait régulièrement avec les Alsaciens de Paris qui avaient, comme lui, quitté l'Alsace après l'annexion avec la Prusse en 1871. Maryse, qui revint plusieurs fois dans son village retrouver sa cousine, y était appelée « La Parisienne ». Maryse, destinée au métier de modiste, découvrit le parachutisme avant de devenir pilote d'avion. Elle a connu des situations périlleuses comme celle où elle s'écrasa dans un champ de tulipes en Hollande et fut emprisonnée pour payer une somme astronomique de dédommagements. Après un premier vol en Afrique du Nord en 1931, elle effectuera un raid Paris-Saigon aller-retour puis Paris-Madagascar. En août 1932 puis en 1935, elle bat le record féminin d'altitude. Elle répare ses avions elle-même. Elle est titulaire de la Légion d'honneur.
Maryse mourra aux commandes de son avion en 1946 près de Bourg en Bresse. Elle a survécu à des cyclones, des bourrasques de neige, des blessures graves. Elle a été une des premières pilotes militaires. Elle a rejoint la Résistance en 1941. Elle aurait même fait partie de l'escadrille qui a bombardé le pont-bateaux de Rhinau en 1944. Elle se serait vengée des allemands qui ont bombardé et incendié son village avec des bombes au phosphore la même année. Le lien de parenté entre notre Thiebault et la branche de Maryse est à chercher au niveau de leur ancêtre commun au XVIIe siècle. En effet, un ancêtre de Thiebault, André, boulanger de métier, a été le parrain en 1733 de Jean-Michel, l'ancêtre de Maryse, qui était le fils de Nicolas, boulanger également, le premier Hilsz répertorié à Rhinau, originaire d'Allemagne.
Maryse HILSZ
Les religieux
Thiebault HILSZ avait des nièces religieuses : sœur Florence et sœur Louise, un cousin, Père Armand surnommé le « Engelgleiche Pater » (semblable aux anges) décédé à Morogoro en Tanzanie, un oncle missionnaire au Gabon, un autre, Simon, curé puis vicaire général de l'église St-Pierre le Vieux de Strasbourg. Les religieux sont à chercher du côté de son père comme du côté de sa mère, la famille KAH.
Petite anecdote. Un article dans le journal « Der Elssaesser » de 1932, écrit par Louis HILSZ d'Haguenau explique que le Père missionnaire Auguste GOMMENGINGER, neveu de Thiebault (dont la mère d'Auguste était Madeleine HILSZ) en visite en Alsace aimerait ramener des souvenirs religieux comme des médailles, pour ses chers nègres d'Afrique comme il les appelle et de l'argent pour construire un séminaire pour les curés.
Sources :
- Archives communales
- Gallica, archives en lignes
- Collection Antoine MULLER