- Écrit par : De Valva à Valff (André & Rémy VOEGEL)
- Affichages : 2727
A gauche, la ferme dîmière et ses terrains de l'abbaye d'Andlau qui longeaient la rue du moulin jusqu'à la révolution en 1789
Contrairement à une idée souvent répandue, la dîme est un impôt perçu par l'église ou l'abbaye et non par les seigneurs. Les seigneurs percevaient d'autres taxes et bénéficiaient surtout des corvées.
L'origine de la dîme remonte à l'ancien testament. Dîme signifie dixième : donc tout juif devait offrir le dixième de sa récolte. Les prêtres de la tribu de Lévy ayant l'obligation de se consacrer au service religieux et spirituel, percevaient cette dîme de la population pour compensation et vivre. Très vite, au court des siècles, le paiement de la dîme devient une loi d'église chrétienne selon un droit canonique. Charlemagne rendit cette loi obligatoire dans tout l'empire. Tous les membres de la paroisse durent payer la dîme. La grande dîme revient à l'autorité de patronage comme l'abbaye d'Andlau pour le village de Valff et comprend la dixième partie de toutes les céréales : blé, seigle, orge, avoine et plus tard pommes de terre et les légumes. Avec le produit de ces revenus, les autorités religieuses avaient l'obligation :
- d'entretenir les églises et les chapelles,
- de subvenir aux besoins du clergé,
- d'assumer les œuvres, hôpitaux et écoles,
- et d'entretenir l'abbaye et ses membres.
Registre de 1686 des recettes dîmières des villages dépendant de l'abbaye d'Andlau
Il est évident que cette source de revenus pour les couvents et les églises était très importante, ce qui explique la richesse de l'église. Le recouvrement de la dîme était une opération très contraignante pour les agriculteurs. Avant de pouvoir charger la récolte il fallait attendre le contrôleur. Il arrivait parfois que les paysans se trompent (volontairement ou pas) en faisant des tas qui comprenaient 11 ou 12 gerbes et le dernier que 9. Cette façon d'agir donnait souvent lieu à des différents entre l'abbesse et les paysans qui se terminèrent devant les tribunaux.
En 1663, l'abbesse Marie Béatrice D'EPTINGEN intenta une procédure contre la commune de Valff au sujet de ces gerbes impaires. La tradition voulait que la dîme soit également due sur des tas qui ne comprendraient que 7, 8 ou 9 gerbes, ce que les sujets de Valff n'avaient pas respecté. Par un arrêt rendu à Molsheim en date du 6 octobre 1664, le Schultheiss, le tribunal et toute la communauté est sommé d'acquitter envers l'abbesse la dîme règlementaire. L'affaire n'a sûrement pas eu une suite favorable de la part des Valffois puisque nous trouverons en 1667 une nouvelle requête de l'abbesse toujours au sujet de ces gerbes impaires. Coriaces les Valffois !
Inventaire des produits récoltés à VALFFE (Valff) en 1686
Les paysans étaient d'avis que la dîme n'était pas due sur les surfaces empalissadées. En 1624, l'abbesse Marie Ursula REICH DE REICHENSTEIN intente une nouvelle procédure devant le consistoire de Molsheim contre le bourgeois Christmann SCHMIDT de Valff. Le tribunal condamna SCHMIDT à acquitter la dîme sur les produits de tous ses terrains. Saperlipopette !
On trouve d'autres condamnations prononcées en 1693 pour les même motifs. La dîme était stockée avant son transfert à Andlau au Meyerhof et l'intendant se nommait le Meyer ou le « Schiermeyer ». L'abbesse d'Andlau possédait depuis le XIVe siècle un « Meyereigut » à Valff. En 1323, l'abbaye de Baumgarten (près de Bernardvillé) possédait 2 Meyerhöfe à Valff ! Ils furent cédés le 9 février de cette même année à Heinrich de Mullenheim et ses héritiers au prix de 412 Mark argent sonnant, en pur métal d'argent. De Mullenheim céda à nouveau ces biens aux 3 frères de Mittelhausen nommés Rudolf.
L'abbesse Marie Madelaine DE REBSTOCK intente une procédure devant le tribunal de Rottweil contre d'Andlau pour non-respect des accords convenus pour le recouvrement de la dîme (1593)
Le 13 février 1347 l'abbesse Adelheid DE GEROLDSECK en fit l'acquisition au prix de 433 Marks. Il s'agissait d'une maison, cour, grange ainsi que d'autres biens fonciers dénommés Meyereigut, situés vraisemblablement au fond de la rue Meyer. Grâce à un terrier de 1668, nous avons pu démontrer que le nom de la rue Meyer avait son origine non de certains juifs Meyer comme certains le pensait, mais de la Meyerei qui se situait au fond de la rue. Les bâtiments servaient à l'exploitation de la Meyereigut (biens personnels de l'abbaye sur le ban de Valff) et de lieu de dépôt de la dîme. L'abbaye céda plus-tard le recouvrement de la dîme aux Seigneurs d'Andlau. Une charte de 1562 entre l'abbesse d'Andlau Cordula DE KROTZINGEN et Alexandre D'ANDLAU fixe les modalités de cet accord dont voici les points essentiels : Alexandre D'ANDLAU s'engage à livrer à l'abbesse annuellement :
- 90 quarterons de blé
- 90 quarterons de seigle
- 90 quarterons d'orge
- 40 quarterons d'avoine
- 2 quarterons de petits pois dont un quarteron en pois blanc, le deuxième en pois gris
- 800 bottes de paille
- 200 brandons (bouchons de paille destinés à l'éclairage)
- cinq livres Pfennig en contrevaleur de cinq charrois de foin
Ancienne maison n°253 de la rue Meyer
Cette dîme était livrable à Andlau tous les ans entre la Saint Martin et Noël, exception faite les années de calamité (grêle). D'autres part, Alexandre D'ANDLAU s'engage à fournir pour la Saint Jean Baptiste à chaque prêtre de Valff la petite dîme (fruits et légumes) conformément à la tradition ancestrale. La charte prévoit que l'accord est valable pour trois ans, se termine pour 1565 et est renouvelable pour une nouvelle période de 3 ans par tacite reconduction si les nobles d'Andlau expriment la volonté de continuer. Trente années plus tard, en 1593, l'abbesse d'Andlau Marie Madeleine DE REBSTOCK intente une procédure contre les nobles d'Andlau au Tribunal Impérial de Rottweil pour non respect des accords convenus pour le recouvrement de la dîme. Madame DE REBSTOCK accuse les héritiers d'Alexandre D'ANDLAU de n'avoir pas respecté les clauses du contrat. Pour les années 1589 et 1591 les sires d'Andlau doivent un arriéré de 20 quarterons d'avoine. Pour l'année 1592 l'ensemble de la dîme reste due à l'abbesse.
Porte d'entrée de la maison au n°253 de rue Meyer
Les sires d'Andlau contestent la compétence du Tribunal de Rottweil et revendiquent en tant que nobles du Saint Empire Romain Germanique de porter l'affaire devant le Cammergericht à Speyer. Finalement l'abbesse aura gain de cause. En 1643, pendant la guerre de Trente ans, Madame D'OFFENBOURG dresse le bilan des pertes subies à cause de l'armée Royale Française et indique que la grange dîmière a été détruite par le feu ainsi que le bois de construction prêt pour la construction d'une nouvelle grange. Le renouvellement des biens en 1668 fait toujours état du Meyerhof de l'abbaye d'Andlau situé au fond de la rue Meyer.
Elle intenta encore un énième procès aux habitants de Valff pendant cette guerre de Trente ans pour non livraison complète de dîme. Même pas question de faire preuve de mansuétude alors que la guerre a réduit les habitants à la pauvreté et la disette par suite des pillages et des destructions.
Vingt années plus tard, le 15 septembre 1688, l'abbesse Cunégonde DE BEROLDINGEN vend le Meyerhof situé rue Meyer au bourgeois Hans CASPAR de Valff et sa femme Maria HIRTZ. La lettre de vente précise qu'il s'agit de l'ancien Meyerhof, que les acquéreurs sont mitoyens et que la vente comprend tous les droits et servitudes y afférents. Le Meyerhof est concédé pour la somme de 50 florins. Ce terrain ne comportait alors plus de bâtiments (détruits pendant la guerre de Trente ans) ce qui explique le faible prix de vente. Le dernier vestige ayant certainement échappé à la destruction est le porche d'entrée vouté en pierre de taille que l'abbesse se réserve de récupérer. En 1591, elle avait déjà cédé à Jacob HIRTZ certaines dépendances du Meyerhof pour un montant de 300 Marks. Le renouvellement des biens de 1668 nous apprend que d'autres dépendances avaient été cédées récemment par l'abbesse à Michel ANDLAUER, Hans FREYDER et Hans CASPAR. Finie la ferme dîmière de la rue Meyer.
Essai de reconstitution du village de Valff d'après le terrier de 1668. Détails de la rue Meyer appelée Meyergass
Le 24 septembre 1672, l'abbesse Cunégonde DE BEROLDINGEN fait l'acquisition du Meyerhof seigneurial situé dans la rue du Moulin (qui a brûlé le 25 décembre 1982, voir les incendies) appartenant à Maria Elisabeth VON ANDLAU née VON UTTENHEIM ZUM RAMSTEIN au prix de 900 florins, payable 400 florins à la vente, le solde de 500 florins à la Saint Jean de l'année 1673.
Ce Meyerhof sera dorénavant la nouvelle ferme dîmière de l'abbaye jusqu'à la révolution en 1789 date à laquelle elle est tombée dans les biens nationaux et vendue à des particuliers. Les sires d'Andlau avaient entretemps transféré leurs bâtiments d'exploitation agricole dans l'enceinte du château près de l'église Saint Blaise. Les biens achetés par l'abbesse consistaient en une maison d'habitation, des granges, étables, écuries, une maison en ruine, d'autres dépendances ainsi que l'ensemble du terrain situé entre la rue principale et la rue de l'église. La maison dîmière telle que nous la connaissons encore actuellement dans la rue du moulin et dont le propriétaire actuel est la famille JORDAN a été construite en 1707 et est l'œuvre de l'abbesse Marie Cléophe DE FLACKSLANDAN. Ce bâtiment d'une stature imposante était la résidence du Meyer ou Schiermeyer (gardien de la Meyerei). La grange dîmière qui, au départ était d'une construction énorme et massive et d'une longueur de près de 50 mètres a subi après la dernière guerre des transformations notables.
Essai de reconstitution de la ferme dîmière d'après le terrier de 1668. La rue du moulin s'appelait déjà Muhlgasse
L'abbesse d'Andlau confiait le recouvrement de la grande et de la petite dîme à un intendant appelé le Meyer. Cette opération faisait l'objet d'un bail de location entre l'abbesse et l'intendant. Le premier bail connu date de 1754, et fut pratiquement reconduit dans les mêmes termes jusqu'à la Révolution.
Marie Beatrix DE BREITEN-LANDENBERG, abbesse d'Andlau, conclue le deuxième contrat de location de la dîme avec l'intendant Jean-Paul MEISTRATZHEIM de Meistratzheim et son épouse Anne-Marie KHUEN (Le Meyer) le 26 janvier 1758
En 1944, une bombe a anéanti le tiers de la grange. Dans la nuit du 25 au 26 décembre 1982, les deux autres tiers ont été la proie des flammes [en savoir plus : Les incendies].
L'ensemble des murs a toutefois résisté et le propriétaire pu reconstruire le bâtiment sur les anciennes fondations. Le Meyerhof était d'origine clôturé par un mur dont une partie subsiste encore du côté Est vers l'église.
Sources :
- Archives départementales du Bas-Rhin
- Plans : Rémy VOEGEL
- Photos : fond Antoine MULLER