- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Lorsque l'on parle de guerre de Crimée, la plupart des personnes pensent à l'actualité. Or cette bataille a été, par le passé, l'un des plus grands cimetière de conscrits, y compris de Valff !
Cette région du bout du monde située autour de la mer Noire servit de terrain de jeu entre les forces Franco-Britanniques et Russes. Nous sommes au second Empire de Napoléon III. Cette guerre est considérée par les historiens comme la première guerre moderne. Elle opposa 1 200 000 russes à 250 000 turcs, 310 000 français, 98 000 britanniques et 15 000 sardes. On estime les pertes à 240 000 morts dont 95 000 français. Volontairement laissée dans l'oubli par les gouvernements successifs, il reste néanmoins quelques rappels, comme la statue du zouave du pont de l'Alma à Paris qui mesure avec ses pieds la hauteur des crues de la Seine ou encore l'expression souvent employée « J'y suis, j'y reste ! » de Mac-Mahon » ou encore le terme Bachi-Bouzouk, si cher notre capitaine Haddock !
Ce qui nous intéresse n'est pas tant le contexte historique qui amena nos chers politiques, assis derrière leurs bureaux à envoyer les jeunes recrues au casse-pipe, mais plutôt l'histoire personnelle des conscrits de Valff qui n'en reviendront pas. On pourrait penser que nos soldats sont pour la plupart tombés sous les balles de l'ennemi ? Que nenni ! Ce sont des conditions sanitaires exécrables et un commandement douteux qui fauchèrent le plus de vies.
Parmi les premiers garçons des appelés militaires de Valff a succomber loin des siens, est le soldat Edouard MARTZ, chasseur à la 4ème compagnie du 6ème bataillon de chasseurs à pieds. Il expira des suites de la choléra dans un camp militaire devant Sébastopol le 19 janvier 1855.
Edouard MARTZ naquit le 23 mai 1836 au 95 (n°de l'époque) dans la rue Principale. Son père Martin est tricoteur. Sa mère Thérèse est née WIEGENHAUSSER. La famille acquit plus tard la maison au n°103. Il partage le foyer avec sa sœur Madeleine et de ses trois frères : Joseph, Léon, Guillaume et sa grand-mère paternelle. Tous participent aux travaux de tricotage. De maigres lopins de terre et quelques animaux de la ferme permettent de survivre.
Edouard croise parfois un certain Jean-Michel MARTZ, du même nom de famille que lui. Ce dernier s'était illustré dans l'armée du premier Empire. Promu capitaine, il avait combattu dans la Grande Armée de Napoléon Bonaparte. Respecté, de nombreuses anecdotes se chuchotent à son sujet, il aurait, parait-il, sauvé la vie de l'Empereur ! Edouard se met à rêver de gloire, d'honneur, d'aventures. Son père fait parti de la Garde Nationale. Il est fier, le Edouard !
En 1853, dans sa dix-huitième année. On l'appelle à se rendre à OBERNAI, chef-lieu de canton pour le Conseil de Révision. Il est mesuré, ausculté, palpé, interrogé, jaugé, tripoté. Certains copains sont exemptés, lui est apte. Il est bon pour l'armée, libération théorique ... dans sept ans ! Son frère Léon sera enrôlé deux ans plus tard. Pour Edouard, son affectation : la 6e compagnie des chasseurs à pieds cantonnés à Strasbourg. Les adieux sont déchirants. Avant de le laisser partir, sa mère le sert une dernière fois dans ses bras. Elle ne sait pas encore qu'elle ne reverra plus jamais son fils !
Le 6e bataillon de chasseurs à pied est crée en 1840. Il est stationné en Algérie de 1842 à 1848. Un détachement est cantonné à Strasbourg. Sa renommée lui vient de la bataille d'Isly en 1844. Qu'est ce qu'on va bassiner les recrues avec ça ! Entre-temps les français et les anglais ont déclaré la guerre à la Russie pour soutenir l'Empire Ottoman turc. L'ordre tombe : direction la mer Noire ! Le 28 octobre, le 6e bataillon reçoit l'ordre de rejoindre la Crimée. Il sera rejoint par la 6e division d'infanterie. Cette nouvelle est accueillie avec une joie intense par les officiers, sous-officiers et hommes de troupe. Tous brûlent du désir de se distinguer et de porter au loin l'honneur du drapeau français... Les illustres victoires napoléoniennes sont encore fraîches dans les mémoires. Le détachement quitte Strasbourg pour Toulon. Début décembre il est à KAMIESKI près de SEBASTOPOL. Le 4, formation des Franc-tireurs et des éclaireurs. Le 12, mise en place des postes de tirailleurs des tranchées. Le 14 décembre l'effectif du 6e se monte à 1170 hommes commandé par 35 officiers dont un alsacien.
La place forte de Sébastopol
Une première bataille fait reculer les russes qui se réfugient autour de la ville de Sébastopol. Ayant mal négocié leur suprématie, les troupes franco-anglaises se trouvent contraintes d'organiser un siège devant la ville. On s'installe, on creuse des tranchées, on s'organise, on s'ennuie, on s'imbibe des pluies diluviennes d'automne, on se fait ensevelir sous la neige, on grelotte, on gèle ... et on meurt ! Les pestes font leur apparition. Le choléra fait des ravages. Le Maréchal Saint ARNAUD, lui aussi mourant, doit céder le commandement au Maréchal François de CANROBERT.
Vue de Sébastopol
Les alsaciens se font remarquer par leur accent alsacien à couper au couteau ! En fait, toute l'armée est un brassage hétéroclite d'accents provinciaux. L’installation est rendue pénible par des précipitations ininterrompues de neige, d'eau et de givre qui signalent les derniers jours de décembre. Les hommes, peu habitués aux fatigues de la guerre, souffrent du manque de grandes tentes et de capotes étanches. « Schisswatter ! » pestent les alsaciens.
Le scorbut, le choléra, le typhus ou la gangrène rendent inopérant, en quelques jours, une grande quantité d’hommes. Un soldat anonyme écrit : « Les soldats creusaient et bâtissaient des terriers, en cela, plus actifs que les taupes et les castors ! Avec la pluie, le camp ressemblait à une colonie maritime qui construit sa ville au milieu des flaques d'eaux. Au mois de décembre et ses frimas glaçants, je me demandais : pourquoi n'étais-je pas, en ce moment, à planter mes choux au village ? ».
Les armées belligérantes s'envoient de petits présents amicaux sous forme d'obus. En réponse : une salve de tirs. Les balles blessent et tuent au hasard. Vers la fin du siège, les russes en pénurie de munitions, tirerons des billes en terre cuite... cour de récréation pour adultes.
« J’ai demandé aux généraux commandant les corps de siège, les noms d’un certain nombre de militaires de bonne volonté destinés à remplir une mission importante et glorieuse. Je suis assuré à l’avance que les soldats se disputeront l’honneur d’offrir le concours que réclame leur général » (Ordre du général CANROBERT - 11 décembre 1834).
La 1ère brigade d'Edouard est dirigée par le commandant FAUVERT BASTOUL. Il sera nommé plus tard général de division. Edouard n'en saura rien. Brusquement il est pris de vomissements et de diarrhées liquides. La fatigue, l'angoisse, les crampes, une perte rapide de poids sont les conséquences de la déshydratation. Il est agonisant et expire le 19 janvier des suites du choléra et de la fièvre qui brûle tout son corps. Les médecins Pilet et Ouradou sont impuissants. Il avait le matricule 2574. Un numéro parmi tant d'autres... Son corps sera déposé dans une fosse commune. Aujourd'hui sa tombe est envahie par les herbes folles...
Le 6 juillet 1856, après la fin de la guerre, les rescapés du 6e bataillon de chasseurs à pieds retrouvèrent leur Alsace bien-aimée. Au programme : liesse et joie ... pour les familles de ceux qui en sont revenus. Adieu Edouard ! Ta disparition aura fait pleurer les tiens, mais pas que ... D'autres Valffois laisseront leur jeune vie dans ce pays lointain. Le lendemain du décès d'Edouard ce sera au tour du soldat KORMANN André. Vous en apprendrez d'avantage sur lui dans le prochain article dédié à nos soldats oubliés au champ d'Honneur ... du bout du monde.
Sources :
- Bienvenue sous le second Empire : merci aux recherches de ses membres !
- Le 6e bataillon de chasseurs à pieds, Henri Monnier, 1892
- Registre d'Etat-Civil de Valff
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