- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Fin des mémoires de chasse rédigées en 1988 par André VOEGEL (1925-2013). La chasse aura toujours ses défenseurs et ses détracteurs, mais ces articles avaient vocation d'en savoir plus une activité réalisée par l'homme depuis la nuit des temps.
Mémoires de chasse
La soirée est fraîche, d'ici une demie heure le soleil aura disparu pour se cacher derrière la forêt rhénane près de Marckolsheim. Je m'installe confortablement, vers 19 h, sur le Hochsitz récemment confectionné avec mes amis chasseurs alsaciens, au bord du Muhlbach. Devant moi, à moins de 100 mètres au-delà du ruisseau, j'observe une belle souille de sangliers agrainée par Robert, le garde. Une eau limpide, lumineuse, irrigue cette forêt rhénane qui ressemble par endroit à une forêt vierge avec ses lianes, son houblon sauvage et ses enchevêtrements de bois morts qui me rappellent un peu les vieux films de Tarzan avec Johny Weissmuller. Une odeur suave exhalée par une végétation luxuriante du bord du ruisseau ainsi qu'un immense tapis de muguets en fleurs, m'inspire. Ma femme avait pris soin de préparer avant mon départ quelques sandwichs bien emballés dans du papier alu, que je retrouve avec une gourde de boisson dans mon Rucksack, un des accessoires de chasse indispensable.
Perché sur mon mirador en train de consommer mes sandwichs, j'inspecte de temps en temps les alentours, les jumelles placées à côté de moi sur le siège. Au bout d'un quart d'heure, j'observe un petit animal noir se mouvoir sur la souille où normalement se vautrent les sangliers. A travers mes jumelles, je reconnais un ragondin en train de se gaver de maïs. Le ragondin est un petit mammifère rongeur d'Amérique du Sud, à moeurs aquatiques de la grosseur d'un lapin. Jadis, sa fourrure était recherchée, sa chair est comestible. Les biotopes de la forêt rhénane conviennent parfaitement à ce rongeur à la queue longue, cylindrique aux pieds postérieurs palmés. J'observe que toutes les 4 à 5 minutes, il quitte les lieux, traverse en nageant le cours d'eau et disparaît dans une galerie de la berge. Quelques instants plus tard, il réapparaît sur l'eau, nage en sens inverse et continue à s'ingurgiter de nourriture. Ce va-et-vient se prolonge jusqu'à la nuit tombante. Je présume que ces déplacements servent spécifiquement à nourrir ses petits qui se trouvent certainement dans une galerie d'en face.
Ce qui est curieux chez cet animal, c'est que l'entrée du terrier est immergée, et le nid exondé. Son activité ripicole le conduit à commettre des dégâts aux berges et digues en creusant des galeries pouvant entraîner leur effondrement. Tout en observant les activités de mon ragondin, un couple de colverts nage majestueusement à la queue-le-leu vers la place d'affouragement. Avant de quitter l'eau, ils s'assurent de la tranquillité des lieux, mais oublient du ragondin. Certainement ils se connaissent puisque d'une démarche ferme et résolue, nos deux anatidés se dirigent sur le point d'agrainage. C'est alors que j'ai pu observer une chose curieuse. La femelle commença de suite à picorer les grains, tandis que le mâle se poste en alerte sur une petite butte. Une fois la faim apaisée, la cane rejoint la rivière, le mâle arrête d'assurer sa protection et la suit dans l'eau sans avoir goûté un seul grain de maïs. Ensemble ils regagnent leurs quartiers de nuit. Quel gentleman !
Soudain sur ma gauche, un petit bruit, un léger craquement à peine perceptible. Quelle ne fut ma surprise en voyant se diriger vers moi un magnifique chat sauvage. Discret et très méfiant, il avance dans le sous-bois et emprunte un tronc d'arbre couché en travers du cours d'eau, formant passerelle d'une berge à l'autre. Arrivé vers le milieu de ce pont naturel, il s'arrête et regarde dans ma direction. Je constate nettement sa fourrure très fournie variant du jaune gris au fauve clair tirant sur le jaune. Une raie noire qui couvre le dos du cou au début de la queue et d'autres bandes noires sur son corps se poursuivent jusqu'à sa queue annelée. Après une halte de deux à trois minutes, il continue sa traversée du cours d'eau. Arrivé de l'autre côté, il longe la berge, passe devant moi à quelques mètres puis disparait dans le sous-bois. Dommage, je n'ai pas pu prendre de photo de cette espèce protégée, mais qui reste un redoutable prédateur.
Toutefois, les surprises ne sont pas encore terminées. En scrutant la surface de l'eau du Muhlbach, je remarque au loin des vagues d'eau particulières et anormales. Un animal d'une certaine ampleur se déplace dans l'eau à contre-courant. Je n'entrevois qu'une tête émergeant de l'eau, sans toutefois pouvoir identifier l'espèce. Arrivé à la hauteur du fameux tronc d'arbre, qui avait servi de passerelle au chat sauvage, il s'arrête et commence à ronger l'écorce de l'arbre. Ce n'est qu'alors que j'identifie mon visiteur comme étant un castor. A travers mes jumelles, j'observe en détail ce mammifère rongeur à corps massif et à large queue plate aux pattes postérieures palmées. La tête hors de l'eau, je distingue sa moustache touffue. Depuis longtemps, je soupçonnais la présence de ce rongeur sur ma chasse car des troncs d'arbres avaient été abattus par incision dentaire en forme conique comme un crayon taillé. Les troncs amoncelés sont destiné à confectionner des digues et des barrages sur les cours d'eau. Le but est de maintenir un niveau d'eau constant. L'animal peut causer de grands ravages. Sa faim enfin apaisée, il plonge un instant sous l'eau, nage dans la direction d'où il est venu et disparaît doucement dans la lueur du soir. La nuit commence à tomber, je quitte mon « Hochsitz » avec le désir ardent de partager mes observations avec qui veut bien les écouter.
Rencontre avec un rapace nocturne
Les grands aménagements ruraux, la détérioration de l'Environnement par l'assèchement des fossés, et des zones marécageuses, l'élimination systématique des haies, la pollution de l'air et de l'eau, les méthodes culturales basées principalement sur le rendement, la prolifération des lignes hautes, moyennes et basses tensions et j'en passe ; toutes ces nuisances mettent en danger de survie de certaines espèces animales et florales, ainsi que le maintien harmonieux de l'équilibre des ressources naturelles. C'est ainsi que la cigogne blanche indissociablement liée à l'Alsace dans l'imagerie populaire et grand échassier faisant la joie des touristes, a failli disparaître de la région. En 1974, nous ne comptions plus que 9 nids dans toute l'Alsace. Grâce à l'association pour la protection et la réintroduction des cigognes en Alsace, nous avons pu dénombrer cette année de nouveau 170 (lors de la rédaction du texte en 1998) couples reproducteurs. Quel sentiment de satisfaction éprouve-t-on à la rencontre inopinée avec un animal que l'on croyait définitivement disparu ou du moins devenu très rare sous nos cieux (en 2021 nous avons eu le plaisir d'avoir 2 nids occupés à Valff, André aurait été heureux). C'est ce qui m'est arrivé récemment.
Un de mes amis du village, m'a averti d'un phénomène assez curieux qui se produit journellement dans son jardin derrière sa maison d'habitation. Toute une colonie de Hiboux moyen-duc a choisi son bouleau pour faire la sieste diurne. Il semblerait, d'après la taille, qu'il s'agit d'une seule et même famille comprenant les deux parents, plus robustes, et six petits. On pouvait admirer 8 rapaces répartis sur un ou deux arbres de son jardin, perchés sur les branches près du tronc central pour mieux se confondre avec l'environnement. Les parents sont au rendez-vous dès le matin, les jeunes les rejoignent vers 15 heures, l'après-midi. Durant tout l'été, mon ami soupçonnait la présence de rapaces dans son jardin. D'innombrables déjections en forme de pelotes jonchaient son gazon en dessous du fameux bouleau. Le feuillage épais de l'été dissimulait la présence des oiseaux. Les excréments rejetés par les hiboux se composent de traces caractéristiques de fourrures et d'os provenant des restes de petits rongeurs.
Ce qui m'a particulièrement frappé, c'est que ces oiseaux ne sont absolument pas effarouchés par la présence de l'homme. J'ai, en effet, pu les approcher à 2 ou 3 mètres pour prendre plusieurs clichés. Très attentivement, ils suivent tous les mouvements des personnes se déplaçant en-dessous d'eux, et leur comportement fait plutôt penser à une sorte de curiosité de leur part. Le Hibou moyen-duc de la famille des strigidés qui fait partie de deux autres espèces de hiboux est exclusivement carnivore et ne chasse que la nuit. Dès que l'obscurité tombe, toute la colonie quitte les quartiers de repos diurne pour chasser et capturer ses proies. Ce qui caractérise et particularise les hiboux grands, moyens et petits ducs, c'est leur tête surmontée de deux aigrettes en forme d'oreilles de chat, genre de touffes de plumes érectiles surmontées au-dessus des yeux. C'est la seule différence entre les hiboux et les chouettes. A première vue, on se croirait en face d'un chat plumé. Le Hibou grand-duc, aussi nommé hibou géant, est plus puissant que l'aigle royal. On le trouve souvent dans les forêts et montagnes nordiques. Le petit-duc abonde surtout en Provence et dans le Languedoc et ne pèse que 80 grammes. Il est migrateur et gagne l'Afrique au mois de septembre. Dans nos régions, le Hibou moyen-duc adopte souvent pour nicher, les bois de conifères ou une touffe de prunelliers. L'essentiel pour lui est de trouver un vieux nid, car il ne construit pas lui-même. Se nourrissant surtout de campagnols des champs, ce hibou pond davantage d'oeufs quand ses proies sont abondantes et aucun si elles se raréfient. Sa voix n'a rien de lugubre et est formée par des « ou-ou » brefs et assez graves. Cet animal est devenu rare en France. Il est protégé par la réglementation de la convention internationale pour la protection de la faune et la flore sauvage en danger ou en voie d'extinction (Il semble qu'actuellement la population des hiboux moyen-duc reste stable, en 2012 on a recensé 13 nids en Alsace).
Battue mouvementée (Maisonsgoutte)
Tous les ans j'invitai, pour une des battues traditionnelles, oncle Jean-Pierre SCHULTZ qui venait de Saint Pierre Montlimart en Anjou, accompagné de son ami Paul Ménard, riche propriétaire terrien qui a planté une centaine d'hectares d'arbres fruitiers (Oncle Jean-Pierre est décédé en 1990 âgé de 93 ans - Paul MENARD mourut d'un cancer vers 1986/87, âgé de moins de 60 ans). Paul aimait bien l'Alsace, nos traditions cynégétiques et notre convivialité. Comme d'habitude, il m'incombait de placer les chasseurs aux meilleurs endroits de passage du gibier. C'est ainsi qu'oncle Jean-Pierre était posté en bordure d'une petite sapinière à environ 150 m en amont de mon poste. Un coup de trompe annonça le commencement de la traque et on entendit au loin les cris et les tapages des traqueurs pour lever le gibier. Peu de temps après, un coup de fusil résonna dans l'aube matinale. J'ai de suite compris, par la proximité de la détonation, que le coup avait été lâché par mon oncle. D'autres coups furent tirés loin en amont, et puis j'entendis l'approche des rabatteurs et deux coups de trompe indiquèrent la fin de la traque.
D'un pas déterminé, je me suis dirigé vers mon oncle pour aller aux nouvelles. Quelle ne fut ma surprise et ma joie de constater qu'il avait allongé un sanglier d'environ, cinquante kilos. Traqueurs et chasseurs rassemblés autour de la venaison félicitèrent et congratulèrent l'heureux tireur. Les commentaires allaient bon train, lorsque brusquement, le sanglier allongé à nos pieds se réveilla et pris la poudre d'escampette. La surprise fut générale et personne n'eût la présence d'esprit de charger une arme pour l'achever. Une recherche de plus d'une heure se solda par un échec, le sanglier était perdu à jamais. Entre le coup de fusil et la fuite inopinée du sanglier, il s'est passé pas loin d'une demi-heure. Ce fut une battue rocambolesque dont tout le monde se souviendra.
Un ours blanc
Au mois de janvier 1968, Paul MENARD participa avec mon oncle à une autre battue sur le territoire de Maisonsgoutte. Il faisait froid et la couche de neige atteignait 30/40 cm. La marche fut assez pénible surtout sur ce terrain en forte pente. Mon frère Emile avait placé Paul Ménard à côté d'un imposant arbre d'une futaie relativement claire. Mon frère s'est posté à 200 m en contrebas de Paul. A peine la battue démarrée, les rabatteurs signalèrent la levée d'une harde de sangliers. Un grand « Keiler » se détacha pour se diriger directement vers le poste de Paul, qui lâcha plusieurs coups avec son arme automatique. La bête noire, visiblement touchée par une balle a fait un roulé - boulé dans la neige, s'est redressée sur les pattes de derrière et a glissé dans cette position le long de la pente pour s'immobiliser non loin de mon frère. Encore aujourd'hui, quand il évoque cette scène d'un surréalisme absolu, il voit encore en rêve, cette bête pleine de neige qui ressemblait redressée à un ours blanc. Paul avait tiré son premier sanglier. Son émotion a été si grande, qu'il demanda séance tenante, de pouvoir ramener dans son Anjou natal son ... ours blanc !
Sources :
- Mémoires d'André VOEGEL en 1988
- Illustrations : Internet
Autres épisodes :
- Un chasseur sachant chasser, épisode 3
- Un chasseur sachant chasser, épisode 2
- Un chasseur sachant chasser, épisode 1
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