(1925-2013)
Les histoires de chasseurs ou de pêcheurs sont légendaires. Celles de l'ancien chasseur André VOEGEL, dans les années 70-80, sont instructives.
Souvenirs et histoires de chasse
Observations crépusculaires
Il m'arrivait de passer des soirées entières à observer du haut d'un perchoir, la faune sauvage qui commence à se manifester et à sortir vers leurs gagnages dès les derniers rayons de soleil qui s'estompent au crépuscule du soir. Le chasseur voudrait pouvoir répondre à ses préoccupations: connaître le gibier et son comportement, recenser le cheptel existant sur son territoire, observer et éventuellement prendre la décision de tir sur un animal malade ou déficient, ou sauvegarder la race par un ratio de tir sélectif pour arriver à environ 1,5 femelle pour un mâle, en tenant compte de l'âge limite possible dans les deux sexes.
Le gibier et la faune sauvage dépendent fondamentalement de l'agriculture, de la sylviculture, des milieux aquatiques ou des actions de l'homme sur l'environnement. Ma préoccupation première, en écrivant mes mémoires est de partager mes observations d'une soirée du haut d'un mirador dans la forêt rhénane. Chaque fois que j'ai pénétré dans cette forêt, j'ai découvert un milieu d'exception, un monde forestier fantastique où l'enchevêtrement de lianes, d'arbres et le grouillement d'une faune insolite me transportaient en imaginaire sous d'autres tropiques.
Equipé d'une paire de jumelles de bonne luminosité et d'un bon indice crépusculaire, me permettait d'identifier le gibier et d'observer son comportement dans l'obscurité.
Une nuit sur l'observatoire
La première pièce de gibier qui se présente est un brocard, un chevreuil que j'estime de troisième ou quatrième tête à 6 cors. Curieusement, il ne porte qu'un seul bois qui dépasse les oreilles que d'une dizaine de centimètres, de l'autre côté un bouton de 2 cm environ émerge. C'est un sujet de forte constitution, dont la tache claire érectile du fessier est déjà un peu jaunâtre. La malformation de la perche gauche peut provenir soit d'un défaut de calcification, soit le fruit d'un combat pour conquérir ou défendre un territoire individuel. C'est d'ailleurs cette hypothèse qui me semble la plus plausible.
Le brocard, pratique à partir du mois de mars/avril et jusqu'à la fin du rut (en août), un marquage de son territoire, par des sécrétions grasses et odorantes du front, au talon et entre les pattes postérieures ce qui laisse une frontière olfactive que ses congénères connaissent et respectent le plus souvent. Paisiblement, il se nourrit de grains de maïs lorsque brusquement, il lève la tête, dresse les oreilles et regarde dans la direction opposée de mon point d'observation. Je reconnais à travers mes jumelles une chevrette qui se dirige résolument vers le point d'agrainage. Le brocard fait quelques bonds en sa direction comme pour l'avertir de sa présence, je ne sais, ou peut-être manifester sa joie d'accueillir sa congénère, j'imagine, être sa compagne. Brusquement elle dévie sa trajectoire et rentre dans le sous-bois lorsque un magnifique renard à la tête triangulaire et la queue touffue, passe en souplesse et la suis dans le même sous-bois. Est-ce le renard qui a fait dévié la chevrette ?
Quelques instants plus tard, je redécouvre ma chevrette poursuivre et chasser le renard, retraverser la futaie et disparaître dans le couvert. Pendant ce temps, mon brocard par contre, reste insensible et continue à brouter. Lorsque la chevrette réapparaît elle se joint à son compagnon. Ils se délectent de la nourriture étalée sur un ancien chemin forestier, à proximité d'un fourré, un refuge et gagnage appréciés aussi par les chevreuils.
Soudainement, certainement alertés par un bruit imperceptible à mes oreilles, ils tressaillent. Restant aux aguets quelques secondes, ils prennent soudainement la fuite à travers une futaie en face. Pendant un certain temps, je peux suivre la direction de fuite grâce au cri rauque du brocard qui ressemble à un aboiement de chien. Les chasseurs savent qu'une fuite précipitée d'un chevreuil est le signe d'approche d'un gibier rôdeur plus puisant que lui, souvent un sanglier. Un clair de lune vaporeux et tiède enrobe le paysage, un coucou appelle une dernière fois de sa voix rouillée, je me retire discrètement en laissant les hôtes de la forêt à leurs occupations..
L'albinos
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours (comme dirait Jean de La Fontaine), lorsque je me suis installé sur un mirador au bord d'un cours d'eau de la forêt rhénane. Les arbres avaient déjà recouvert l'habit printanier d'un feuillage vert naissant, en ce milieu de mois de mai. Le mirador est d'ailleurs un lieu privilégié et conçu pour l'observation de la faune sauvage. Mon intention était ce soir là, espérer pouvoir observer une rareté, signalée depuis quelques jours par le garde Robert.
Le couloir rhénan est devenu deuxième site hivernal national derrière celui de la Camargue pour les oiseaux d'eau. On estime que la plaine rhénane accueille jusqu'à 400.000 oiseaux d'une vingtaine d'espèces différentes, et de canards lors du flux migratoire nord-sud. La migration du retour vers le nord, commence à s'effectuer dès le mois de février/mars et se termine en avril. Toutefois, un certain nombre de nos canards sédentarisés restent en Alsace sur leurs lieux de ponte. La reproduction près des surfaces de gagnage des anciens bras du Rhin et des plans d'eau sont spécifiquement accueillants. Il s'agit en particulier des canards dits « Colvert », en allemand « Stockente ». A une centaine de mètres devant moi, légèrement décalé par rapport au cours d'eau, se trouve un lieu d'agrainage spécialement destiné aux sangliers. Depuis longtemps, j'ai constaté des visites fréquentes d'oiseaux d'eau pour se nourrir, soit par les airs, soit en arrivant du cours d'eau. J'étais donc habitué à mes visiteurs du soir que je reconnaissais.
Soudainement, ma vue fut attirée avec l'apparition sur le cours d'eau, d'un oiseau blanc non encore identifiable. Arrivé à la hauteur de l'aire d'affouragement, l'oiseau sortit doucement de son élément liquide pour se nourrir. Pour la première fois, je me trouvais en face d'un animal mythique en livrée éclatante et immaculée. Je reconnus d'après la configuration et de la structure externe, qu'il s'agissait d'un colvert mâle albinos de forte taille. En regardant de plus près, j'ai découvert à ses côtés, la cane colvert sa compagne. Je ne l'avais pas vu arriver, tellement elle se confondait aux couleurs du biotope environnant. Inspectant avec mes jumelles plus en détails la morphologie de l'animal, mon analyse confirmait qu'il ne s'agissait pas d'un canard domestique, mais bel et bien d'un colvert.
Avec beaucoup de précautions, j'ai pu heureusement prendre un cliché avec mon appareil à téléobjectif. La photo prise, j'ai eu l'imprudence de cogner légèrement la paroi du mirador et mes deux palmipèdes prirent la poudre d'escampette pour se réfugier en couverts sûrs. Ce qui ne trompe pas chez le colvert mâle est la couleur du bec d'un vert olive, les pattes par contre sont rouges oranges pour les deux sexes. L'albinisme, dû à l'absence totale des pigments, est un défaut, et sa production dépend d'un facteur génétique connu, une mutation d'un chromosome. Les inconvénients majeurs pour les animaux atteints d'albinisme sont d'ordres physiologiques, ils s'exposent plus facilement aux attaques des carnassiers prédateurs qui les repèrent plus facilement. La nature vous émerveille toujours, elle arrive à faire des écarts typologiques, que ce soit chez l'homme ou dans le monde animal. Cette situation nous laisse toujours pantois.
Mémoires d'enfant
18 décembre 1935
André avait 10 ans. C'est l'histoire d'un chevreuil qui avait décidé de visiter notre paisible village au matin du mercredi 18 décembre 1935 entre 8 et 9 heures du matin. Traversant le village de part en part, il tenta de trouver refuge dans le jardin du presbytère pour trouver un peu d'hospitalité chrétienne car la populace s'était liguée contre lui et lui courrait derrière. Malheureusement l'entrée était close. Il se mis donc à poursuivre sa cavale pour tenter de semer ces sauvages. Il retrouva un paysage familier dans un champ voisin. Sauvé, se dit-il ! Mais c'était sans compter sur l'adresse magistrale du chasseur Michel qui d'un tir expert envoya l'animal dans le Walhalla des cervidés. Ca se passait comme cela dans notre beau village !
24 novembre 1921
Les parents d'André étaient jeunes mariés. Ce mercredi matin, un énorme sanglier de plus de 100 kilos a traversé paisiblement notre commune. Le suidé a préféré prendre la poudre d'escampette en direction de Goxwiller quand il a vu le garde-chasse arriver avec son gros fusil. Pas fou l'animal !
2 janvier 1898
Le père d'André avait 20 ans. Un sanglier s'est promené pour visiter notre charmant village. Ce qui ne fut pas du tout du goût du garde-champêtre et des pompiers. La bête noire fut tuée à l'aide de fourches et de barres de fer et offerte à Monsieur le Maire BIECHER qui la vendit à un citoyen de Barr.
Finalement la chasse au fusil c'est quand même mieux, non ?
A suivre ...
Sources :
- Mémoires d'André VOEGEL
- Illustrations : Internet
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