Plan de 1843 réalisé lors de la vente de la maison commune qui menaçait de tomber en ruine (n°1 sur le plan : Ancienne boulangerie banale, n° 201 aujourd'hui, en face du garage VOEGEL). La maison de François Joseph VOEGEL est à droite (annotation ultérieure sur le plan : PFLEGER)
Dans le second épisode nous avons laissé le petit François Joseph VOEGEL nous raconter sa jeunesse, ses années à l'école, sa vie. Il a encore bien d'autres histoires à partager : reprenons donc son récit. Cet article est la suite et fin des années studieuses (partie 1) et des années studieuses (partie 2).
http://histoiredevalff.fr/histoire/xviieme-siecle/164-la-calligraphie-art-en-voie-de-disparition
« Quand je rentrais à la maison après l'école, ma première préoccupation était de retrouver grand-père. Il me racontait toujours des histoires passionnantes. Fier, je lui montrais mes exercices de calligraphie ». « C'est bien Francel ! » dit-il un jour. « Il est important de savoir bien lire et écrire. Pour te féliciter, je vais te raconter l'histoire d'un garçon qui savait bien écrire lui aussi, mais que son écriture a trahi ... ».
« La veille de la St Thomas 1738, débuta t-il avec grand sérieux, l'année de naissance de ton arrière grand père, un paysan de Valff, Blaise ANDLAUER revenait de chez les Pères Capucins d'Obernai, Il s'était absenté pour se faire lire des messes de pénitence et soigner son âme contrit ! Quelques jours plus tôt, lors d'une bagarre au bistrot avec un nommé Jean Heber, Jean lui avait flanqué une telle tannée qu' il décida de faire pénitence et cacher sa honte chez les religieux.
A son retour, devant la porte de l'écurie, il trouva un billet sans date ni signature sur lequel était écrit : « Blaise ANDLAUER Geld du hast mich vor 12 jahren schon betrogen um mein Leib Lohn. Jetst hab ich dich ertapt, du kanst jetzt verlieb mit mir nehmen biss ich dir dein Pferd wieder bring oder du kanst es dir hohlen in Lothringen. Wan ich gib so nimms (Blaise ANDLAUER ; tu m'a volé il y a 12 ans de mon salaire, maintenant je t'ai volé à mon tour. Tu peux toujours attendre pour que je te rende ton cheval ou alors va le chercher toi même en Lorraine. Rit bien qui rit le dernier) » .
Se jetant dans l'écurie, il découvrit avec consternation que son cheval brun marqué d'une étoile sur la tête avait disparu. ANDLAUER reconnaissait cette écriture : c'était celle de François Michel KRIEG, son ancien valet et parent par alliance !
ANDLAUER et KRIEG avaient déjà eu un différent : le valet avait jadis traîné son maître devant les tribunaux. ANDLAUER avait déduit du salaire la valeur d'une cuve que KRIEG avait cassé. Quand à ANDLAUER, il prétendait que KRIEG lui avait volé de pommes et de poires à Bourgheim ! « Qui vole un œuf, vole un bœuf ! » un cheval en l’occurrence. ANDLAUER fait de l'esprit !
Comme on ne rigolait pas à cette époque, pareil méfait méritait une punition exemplaire. KRIEG fut appréhendé et conduit à la prison d'Andlau. Après avoir prêté serment sur tout ce qui est sacré, il promit de dire toute la vérité : « Je m'appelle François Michel KRIEG, âgé de 20 ans, garçon tisserand, j'habite chez mon père Michel KRIEG à Valff, de religion catholique apostolique et romaine ». Il prétendit que le jour du vol il se serait trouvé à Erstein, cherchant un patron pour battre les grains. Malheureusement il ne se souvient plus de l'identité des personnes qui l'auraient hébergé. Le jeudi avant les fêtes de Noël il est passé chez le passementier de Barr pour changer l'argent que sa mère, sur son lit de mort, lui aurait légué il y a 3 ans. Il les aurait ensuite dépensé pour l'achat de draps et un habit neuf, offert une pièce de 6 francs à la bonne d'ANDLAUER, et perdu le reste au jeu pendant la Noël, près de 16 livres en tout.
KRIEG nie formellement avoir écrit le billet. On demanda alors à Blaise ANDLAUER et à sa femme de déposer sous serment : « Je m’appelle Blaise ANDLAUER , je suis bourgeois laboureur, et âgé de 53 ans ». Pour le dédommager de s'être déplacé, on lui donne douze sols ainsi qu'à sa femme Barbe Denni. Cette dernière reconnaît ne savoir lire ni écrire. « Pas comme toi ! Mon petit Francel hein ? », s'exclama grand père d'un coup. Surpris, je fermais ma bouche ouverte. Il poursuivi :« Le bailli Jean Antoine SCHECK d'Andlau qui dirigeait l'enquête fit convoquer Antoine Schmitt, notaire royal de Sélestat, David SCHNELL ainsi que David SCHULMEISTER, tous deux greffiers à Barr.
On leurs demanda de comparer l'écriture du billet trouvé dans l'étable avec une quittance de salaire écrite de la main de KRIEG avec une dictée qu'on lui imposa. Les notables analyseront des ressemblances de calligraphie mais également des différences :
- « Moi j'aurai écris de travers ! » dis-je désabusé. Grand-père Hans me regarda avec un sourire complice.
- « Tu ne dois pas être le seul à y avoir pensé ! »
Questionné, KRIEG argumenta que tous les élèves d'un même maître d'école devaient d'après lui avoir la même écriture ... non ?
Le 4 juin, le juge condamna François Michel KRIEG à payer les frais de procédures s'élevant à 176 livres 13 sols et 4 deniers. Seront dédommagés : le bailli, les greffiers, le procureur fiscal, les experts, les soldats, les témoins et le geôlier pour les frais de nourritures. Par contre rien pour ANDLAUER et la perte du cheval ! Michel KRIEG fut exposé publiquement. On l'emmena à Valff. Il fut enfermé par le cou dans un carcan pendant deux heures devant la maison commune de Valff. Pour l'exemple, le bourreau d'Andlau le fouetta et le battit de verges. Pour s'en débarrasser, il fut banni de la seigneurie d’Andlau avec interdiction de revenir voir sa famille. Ça se passait comme cela à l'époque !.
« Mais c'est sur la place devant mon école qu'il a été puni ! La mairie est le même bâtiment que mon école ! Je n'en revenais pas ! Et les enfants ont tout vu ? Qu'est-t-il devenu ? Plein de questions confuses se bousculèrent dans ma tête. Je m'imaginais la scène ... Il est revenu à Valff au bout d'une dizaine d'années. Il s'est marié à Valff avec une fille d'Uttenheim. Michel a eu 5 enfants (1). Quant à Blaise ANDLAUER il décéda après seulement 5 ans de mariage et … un cheval en moins dans l'écurie ! ». Ceci est une fiction mais les faits sont réels. On réfléchissait à deux fois avant de violer la loi ... peut-être.
A la mémoire de mon regretté ami André VOEGEL
(1) François Michel KRIEG est né le 20 août 1718. Fils de Michel et Anne ANDRES et issu d'une fratrie de 7 enfants. Il se maria le 22 février 1751 à Elisabeth BAEHR d'Uttenheim le même jour que sa sœur Anne Marie. Cette dernière se maria avec Mathias BAEHR, le frère d’Élisabeth. Michel KRIEG décéda le 23 mars 1774 à 56 ans. Élisabeth quittera Valff à sa mort. Blaise ANDLAUER décéda le 22 octobre 1743 à 59 ans. Il s'était marié une première fois à Anne ANDRES, arrière tante de Michel, décédée en 1731 et s'est remarié à Denni BARBE le 27 février 1737 de Dorlisheim
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