Le 17 février 1767 naît dans une modeste famille de Valff le jeune Blaise DIEHLMANN. Il est le fils de l'exploitant agricole, Blaise, et de son épouse Marie-Odile SCHULTZ. Ils vivent au n°113 dans la rue des flaques. Marie-Odile aura huit enfants, mais comme c'était souvent le cas à l'époque, quatre d'entre eux mourront en bas-âge. Blaise, deuxième enfant de la famille, se retrouvera donc le plus âgé. Comme son père, c'est le travail aux champs qui rythmera sa vie.

La famille DIEHLMANN est bien connue dans le village. Blaise DIEHLMANN, marchand de grains, le fils du cousin de son père, a même été Shultheiss, l'équivalent de Maire entre 1788 et 1790. Les remous de la révolution abrègeront son mandat. 

Passeport décerné à Blaise DIEHLMANN, marchand de grain, en 1811

Mais revenons à Blaise fils.  A ses 20 ans, notre Blaise quittera le foyer pour s'engager.

Il est accueilli au 21ᵉ de Cavalerie le 2 janvier 1786, unité crée sous la Révolution à partir du corps des Hussards Braconniers. La compagnie sera plus tard incorporée au 25ᵉ Dragon.

1ᵉʳ janvier 1793. La Révolution fait rage et Blaise est nommé Brigadier.  Son unité est incorporée au 25ᵉ Dragon. Il est responsable fourrier à partir du 4 germinal An 2 (24 mars 1794). Son rôle consiste à s'occuper du cantonnement et de la distribution des vivres. Blaise est de toutes les campagnes. Il participe aux batailles d'Italie du Nord. Il est blessé le 10 brumaire An 2 (31 octobre 1793) dans une escarmouche d'avant-poste lors du siège de Maubeuge sous la direction du Général Moreau. Son unité est composée seulement de 51 cavaliers. Fin 1794, un nouveau chef d'escadron est nommé. C'est le futur général et proche de Napoléon : MURAT. Puis le 21ᵉ de cavalerie participera à la campagne de Hollande sous le commandement du Général OSTEN.

En 1795, le régiment rentre en France et est désigné par Napoléon Bonaparte pour tenir garnison à Paris. En décembre 1798, le corps est transféré à l'armée de l'ouest et participe à la pacification de la Vendée. Le 17 nivôse An 3 (6 janvier 1795), Blaise est promu Maréchal des logis. C'est le premier grade de sous-officier dans la cavalerie équivalente à un sergent. Le 11 vendémiaire An 7 (2 octobre 1798) il monte au grade de Maréchal des logis-chef. Son unité est maintenant opérationnelle en Italie du Nord. Après un bref séjour à Dijon, il se déplace vers l'Italie en passant par la Suisse et le col du Saint-Bernard. L'unité prend part à la bataille de Marengo, illustre victoire napoléonienne.

Après la signature de paix avec l'Autriche, les cavaliers sont installés à Lyon puis à Montpellier. Un rapport d'inspection à Montpellier signale : « Sur les 24 officiers et 537 sous-officiers que compose l'unité, 14 officiers et 143 sous-officiers sont absents. Il manque du matériel utile, et surtout, 335 sabres, 126 paires de pistolets et 624 mousquetons ».

Le Régiment fait les campagnes de l'An 14 à 1808 au 5ᵉ corps de la Grande Armée, de 1809 à 1812 à l'armée d'Espagne, en 1813 à l'armée d'Espagne et au 3ᵉ corps de la Grande armée et finalement au 2ᵉ corps de cavalerie. En 1814, on prononça la dissolution des corps de chasseurs à cheval qui furent dispersés dans l'armée restante. 

Durant ce temps, Blaise participe à toutes les campagnes et est blessé le 4 Nivose de l'An 9 (25 décembre 1800). Il est atteint d'un coup de feu à la jambe droite en traversant la rivière Mincio lors de la bataille de Pozzolo au nord de l'Italie sous le commandement du général Brune. Cette bataille et victoire sur les troupes autrichiennes entraînera, deux jours plus tard, l'armistice de l'Autriche. Il fut victime d'une autre blessure causée par trois coups de lance à Ortelsbourg, petite ville en Prusse orientale, le 21 mars 1807. Le Général MASSENA y fit entrer la division de dragons du Général BECKER et les russes perdront 20 hommes. Pendant ce temps, dans la ville proche de Willenberg, deux mille Cosaques chargèrent les français, entraînant la mort de 200 soldats français. C'est le début de la fin pour l'armée de Napoléon.

Le 28 septembre 1808, Blaise DIEHLMANN est promu sous-lieutenant. Cette citation fit suite à sa nomination à la Légion d'honneur le 1ᵉʳ octobre 1807. Il reçoit le n° 20962.

Blaise DIEHLMANN prendra sa retraite militaire en 1810. Il aura servi 24 ans, 9 mois et 25 jours. À 44 ans, il se présente à l'hôpital militaire de Strasbourg où le chirurgien et médecin-chef lui remettra une attestation de blessé de guerre. Blaise se retirera à Strasbourg. Il disparaitra dans la brume de l'histoire en emmenant avec lui, les innombrables souvenirs de sa vie bien mouvementée… ?

Eh bien non ! Un nouveau versement de documents sur le site Leonore des archives nationales éclaire un peu plus sur la vie de quelques de ces militaires à la retraite du XIXe siècle.

La précarité

1830 

Blaise, comme nous l'avons compris, vit à Strasbourg. Nous apprendrons qu'il se trouve dans une précarité relative. Un mécène, Jacques FRITSCH est même obligé de lui avancer la somme de la prime de chevalier du montant de 245 francs. Diehlmann écrit au Grand Chancelier de l'Ordre à Paris pour qu'on rembourse Fritsch avec sa future pension. (Le salaire moyen d'un ouvrier vers 1830 était de l'ordre de 40 à 50 francs mensuels) (1)

DIEHLMANN a donc pour ami un certain FRITSCH Jacques. Il habite au 7, quai de la Bruche à Strasbourg. Le courrier est à adresser chez M. Jacques Pfister au 13 rue des livres, Strasbourg  (vu la signature hésitante de Dielmann et la qualité de rédaction, il est raisonnable de penser que c'est vraisemblablement Pfister qui aurait rédigé la lettre).

7, quai de la Bruche, Strasbourg,   photos Archi-wiki

1834

La situation financière de DIEHLMANN (Dielmann) ne s'arrête pas de se dégrader. Un nouveau courrier est envoyé au Grand Chancelier : la lettre parle " de situation gênante, de secours temporaire, de soulagement de position". On apprend dans la requête qu'il souffre de cécité (il a 67 ans) et qu'il est continuellement souffrant. Il explique : "je n'obtiens rien gratis" et qu'il habite chez Jacques PFISTER au 13 rue des Livres à Strasbourg. Il demande une fois de plus que l'on rembourse Pfister avec ses gages à venir.

1835

Nouveau changement de créancier. Un nouveau courrier indique que c'est le Sieur WEISLINGER Antoine au 109 Grand-rue qui est censé recevoir le remboursement de ses dettes avec sa pension de chevalier. Dielmann habite maintenant chez Weislinger. 

Balcon du n°109 Grand-rue à Strasbourg

1836

Dielmann a trouvé un 'frère d'armes" en la personne de WECKEL MICHEL. Il écrit (ou plutôt fait écrire) :

" Dielmann (Blaise) chevalier de la Légion d'honneur, A l'honneur de vous exposer très respectueusement sa malheureuse position comme se trouvant logé chez mon ami WECKEL (Michel) propriétaire rue Ste-Hélène n°6, me donnant table et logement et les avances de mes besoins, (c'est) mon devoir aussi de lui assurer le Payement dont j'ai l'honneur de prier Monsieur le Chancelier de vouloir bien lui adresser mes (piens) nécessaires pour toucher le payement de ma Légion pour l'exercice de 1836. J'ai eu l'honneur de former cette demande au mois de février sans obtenir votre consentement, mais je suis persuadé que Monsieur le Chancelier ne laissera pas soustraire un malheureux aveugle qu'il n'a pas d'autres ressources et de me priver de votre adoption de ma demande. 

J'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéissant serviteur ".

6 rue Ste-Hélène    photo Archi-wiki

 

1837

Encore une demande de transfert de payement ! On est maintenant (d'après la lettre) à l'auberge de Sieur MANN Jacques au 19 Grand-rue de la Grange à Strasbourg. L'administration, précautionneuse, demande une attestation de vie ! 

Rue de la Grange en allemand Klein Stadelgasse

Rue de la Grange en 1906, photo Archi-wiki

1911 Démolition du quartier de la rue de la Grange pour faire place à la Neustadt

1838 Certificat de vie. La chancellerie enverra un mandat suite à la confirmation de la procuration par écrit de Dielmann faite à Jacques MANN.

 

17 mars 1840 Blaise a encore changé de logis. Il est toujours entretenu par Jacques MANN, mais séjourne maintenant au n°23 rue du Fossé des Tanneurs, dans (la nouvelle auberge) tenue par MANN. 

21 Rue du fossé des Tanneurs

Photos Archi-wiki 

 

22 décembre 1840 Le sous-lieutenant des dragons, Blaise DIELMANN, rend les armes

 

Le 22 décembre de l'année 1840, Blaise Dielmann s'éteint. L'aubergiste Jacques MANN réclame les arriérés de dettes à la Chancellerie. Peine perdue, cette dernière avance qu'il n'a pas envoyé de procuration enregistrée officiellement et que ladite procuration abordée, n'avait été qu'écrite sur papier par Dielmann. La chancellerie conseille à Mann à se tourner vers les héritiers à Valff. 

Les héritiers

Le frère de Blaise, Florent, est sergent de police de la commune de VALFF, il hérite de la moitié des biens de son frère. 

— L'autre moitié revient aux neveux et nièces, à savoir : Martin, maçon, Florent, actuellement soldat au 8ᵉ régiment de ligne, Catherine, Anne-Marie de Valff et Richarde FRIEDRICH, domestique à Strasbourg.

 

Dernières informations

L'acte de décès dans les registres de Strasbourg nous renseignera encore de l'errance à travers Strasbourg des dernières années de DIELMANN. On y apprend qu'à 73 ans, son dernier pied à terre a été le 14, de la rue de l'Argile à Strasbourg et que le déclarant, Jacques Mann, était finalement... charron ! MANN aurait-il profité de la cécité de Dielmann pour le dépouiller ?

Cour du 24, rue de l'Argile à Strasbourg

La porte du 24 rue de l'Argile que Blaise DIELMANN a franchie pour la dernière fois avant de décéder.

La fin de vie de Blaise DIELMANN laisse une impression mitigée. Malgré une vie consacrée à la Nation, ses derniers jours, comme pour beaucoup de militaires, ont été laborieux. Quelques questions restent néanmoins sans réponses : pourquoi n'est-il pas revenu vivre à VALFF ? Etait-il en froid avec son frère ? S'était-il rapproché de sa nièce Richarde qui servait à Strasbourg ? ...                                                                     

 Bon repos, mon lieutenant !

(1) Pour information, en 1835 à Strasbourg, un abonnement de 3 mois au journal Courrier du Bas-Rhin coûtait 8 francs.

Une maison, 42 000 francs, la maison au 3, quai de la Bruche où a vécu Blaise, 9300 frs et la fameuse maison n°7 de FRITSCH Jacques dont nous apprenons quelle était une maison-boulangerie, vendue à 11 600 francs. 

Pour les distractions, la même année, notons que les billets pour 3 bals avec orchestre au théâtre de Strasbourg pour une contre-danse ou une valse, vous aurait coûté 15 francs pour un cavalier (homme) et 9 francs pour une dame. Un seul billet était de 6 frs pour l'homme et de 4 pour madame. 

Santé : Publicité 29 avril 1835. Vous allez vous marier et craignez des vices cachés chez votre future ? Pas de panique ! Achetez de l'extrait de salsepareille chez G. J. Kob, 21 rue des hallebardes à Strasbourg. Cela ne vous coûtera que 3 francs et la boite vous sera aimablement remis par nos deux gracieuses serveuses, les soeurs Chausséfine et Chosette Schtroumfette ! 🤢

 

Sources et photos : Archi-wiki, site Maisons de Strasbourg, site Leonore, gallica

 

 

 

 

 

 

 

Sources :

  • Gallica
  • Mémoire des hommes

Autres soldats de Valff ayant obtenu la Légion d'Honneur :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.