Edition du 7 juillet 1838
D'après le décret du 3 oût 1810 chaque département doit posséder son journal. D'abord très encadrée, la liberté de presse ne s'émancipe qu'à partir du milieu du XIXe siècle. Le Niederrheinischer Kurier ou aussi appelé Courrier du Bas-Rhin paraît tous les jours sauf de lundi. Sa spécialité : retranscrire les séances de la Cour d'Assise de Strasbourg. Imprimé à l'imprimerie Silbermann de Strasbourg, il est rédigé sur deux colonnes une en français et une en allemand. L'édition du samedi 7 juillet 1838 nous intéresse spécialement car elle relate le procès d'une ancienne habitante de Valff.
Extrait du procès de Victoire DUBLING
Rapport de l'audience du 28 juin 1838 de la Cour d'Assise du Bas-Rhin sous la Présidence de Monsieur MARANDE. « A l'issue de l'affaire précédente les gendarmes introduisent la nommée Victoire Dubling, âgée de vingt-neuf ans, couturière née à Valff, canton d'Obernai, demeurant à Souffelweyersheim [...] ».
Voici en quelles circonstances elle est amenée devant la cour d'assises. Le 20 avril dernier, vers huit heures du soir, Michel WINTZ suivait seul et à pied, la route de Schiltigheim à Reichstett. Au moment où il était encore éloigné d'environ deux cent cinquante pas du pont de la rivière Souffel qu'il avait à traverser, son attention fut frappée par les mouvements rapides et en sens divers d'une femme qui se tenait sur ce pont. Il la vit bientôt se diriger de son coté et prendre à pas précipités un chemin qui conduit à Souffelweyersheim. Jusqu'à ce moment, rien, ne pouvait lui faire penser qu'un crime venait d'être commis. Il en fut autrement peu d'instants après, quand vinrent à ses oreilles les cris de détresse d'un enfant qui paraissait se trouver dans la rivière. Il se hâta d'arriver au lieu d'où partaient les cris. Il y trouva un enfant figé de huit ans qui se tenait debout dans l'eau et cherchait à se cramponner à un pilier. L'enfant était complètement mouillé, il était transi de froid.
Cet enfant déclara de suite qu'il s'appelait Blaise DUBLING, qu'il était le fils de Victoire DUBLING et que sa mère l'avait jeté dans l'eau. Ces mêmes déclarations, il les a répétées devant le Maire de Reichstett, chez lequel WINTZ s'empressa de le conduire. Il ajoute qu'il était séparé depuis assez longtemps de sa mère qui était venue le chercher le jour même de l'attentat, à Strasbourg, où il avait été envoyé par sa grand-mère. Ils étaient partis de cette ville alors qu'il faisait encore jour. Après s'être arrêtés quelque temps en chemin, ils avaient pris la direction du pont, et arrivés là, sa mère lui dit qu'elle voulait le porter. Elle le souleva en effet et le plaça sur le parapet eu pierres de tailles, dans ce moment, elle voulut déjà le pousser dans l'eau ! Mais parvenant à arrêter son mauvais dessein en s'élançant à son cou et en s'accrochant à ses vêtements, il évita le pire.
La seconde fois, sa mère prit mieux ses mesures, elle le porta sur le garde-fou en bois du pont et lui asséna plusieurs coups à la poitrine à la suite desquels il tomba étourdi dans la rivière. L'enfant fut assez heureux pour être entraîné par le courant de l'autre côté du pont et pouvoir se retenir à un pilier. Il n'avait cessé d'appeler sa mère jusqu'au moment ou apparut son sauveur. Elle, elle est restée sourde à ses cris !
La fille DUBLING qui fut arrêtée le lendemain, donna une toute autre version : à l'entendre, l'enfant qu'elle aurait placé sur la rampe serait tombé faute d'avoir pu garder son équilibre. Elle n'aurait point cherché à le pousser parce qu'elle savait que l'eau était profonde et que tous ses efforts auraient été inutiles. Mais ces allégations tombèrent devant le récit bien circonstancié de l'enfant qui parait plein d'intelligence, qui n'a jamais varié dans ses dires et qui, sur le lieu même de l'attentat, a montré comment les choses s'étaient passées. Sa mère qui était présente, osa le démentir.
Les déclarations de l'enfant corroborent devant celles de WINTZ qui se trouve entièrement d'accord avec l'enfant. En ce qui concerne les mouvements de la mère qu'il avait vu faire alors qu'elle se trouvait sur le pont, ils ne concordent pas avec ses dires. L'accusée, à la vue de son enfant qui répète devant la cour d'un air bien triste tout ce qu'il a révélé dans l'information écrite, n'éprouve aucune émotion, et son impassibilité prouve qu'elle est dépouillée de tous les sentiments d'une mère. Interrogée par Monsieur le Président, elle reproduit son système de défense avec le plus grand sang-froid. Tous les efforts de Maître MAILARME, défenseur de l'accusée, n'ont pu lutter contre les charges accablantes relevées et développées avec énergie par le ministère public. Après le résumé rapide el impartial de Monsieur le Président, le jury est entré en délibération. Il a rapporté, au bout d'un quart d'heure, un verdict de culpabilité sans déclaration de circonstances atténuantes. Eu conséquence, Victoire DUBLIN a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité avec exposition sur la place publique de Strasbourg. Elle s'est pourvue en cassation.
Départ au bagne de Guyane
Qui est Victoire DUBLING ?
Marie Victoire est l'aînée de Philippe DUBLING, tailleur d'habit et d'Anastase SAAS. Elle voit le jour le 10 juillet 1807. Le grand-père est originaire de Morsbronn. La famille va rapidement s'agrandir : succède François Joseph, François Antoine, Philippe, Marie Françoise, Benoit Meinard puis Anastase. Puis la mère décède au n°127 en 1825 et Philippe se remarie l'année suivante avec Marie-Anne WALTER. Ils se marieront le même jour que Jean Baptiste, le frère de Philippe et tailleur d'habit comme lui. Naissent alors Marie Anne et Marie Françoise puis la famille disparait. Le petit Blaise DUBLING est né le 19 juillet 1829 de père inconnu au n°127. C'est la sage-femme Scholastique PFLEGER qui fera la déclaration à la mairie. Le 26 février 1837 meurt Philippe, le père, alors que toute la famille avait déjà quitté le village.
Le bagne de Guyane
Les femmes jeunes étaient destinées à se marier [en savoir plus] et avoir une descendance pour peupler la Guyane. En fut-il de même pour Victoire ? Si c'est le cas, il se trouve peut-être quelque part, des descendants de la fille de Valff, Victoire DUBLING. L'expression alsacienne « Konmch anne won der Pfaffer wachst » (tu finiras là où pousse le poivre de Cayenne) est restée dans le langage proverbial pour indiquer qu'une personne se trouve sur une voie mauvaise et dangereuse.
Sources :
- Gallica
- Archives de la commune
- Internet