Avril 1942. Pierre LUTZ, Rémy HIRTZ et Rémy JOST continuent leur escapade pour tenter de rejoindre la zone libre et se dérober à leur enrôlement dans la Wehrmacht. Après avoir pris contact avec un passeur à Belfort, ils se rendent en train à Dijon pour se rapprocher de la zone de démarcation et de la liberté tant désirée.
Dans le train qui nous emmène à Dijon, nous entamons la causette avec un voyageur alsacien qui se rend également dans cette ville. Surpris, il nous met en garde : « Attention les gars à Auxonne ! ». Il nous explique qu'à Auxonne se termine la zone interdite, il y a donc des contrôles dans les trains. « Pas toujours quand même, il se peut qu'aujourd'hui, vous y échappiez ». Nous voilà inquiets jusqu'à Auxonne. Arrivés en gare, nous scrutons la ligne des voyageurs rangés sur le quai. Pas d'uniformes verts ! Mais, subitement, des cris : « On va fouiller ! ». Deux Allemands en tenue de guerre s'approchent et en un clin d'œil sautent dans notre wagon. « Pièce d'identité, s.v.p. messieurs, dames ! ». « Voilà m'sieur ! ». L'allemand fixe longuement ma carte d'identité. C'était ma carte d'identité française d'avant-guerre. L'allemand ricane et me dit en allemand : « Ubersetzen ... (traduire) ». Comme je fais semblant de ne pas comprendre, il me dit en français : « Ça vient monsieur ? ». Je lui dis : « Je vous revois dans quelques instants, je vais vous expliquer... ».
Rémy JOST a été piégé de la même façon. Je descends du train en suivant l'allemand qui tient ma carte d'identité à la main tout en ruminant un plan de fuite. Je retrouve petit à petit mon sang-froid. J'observe les alentours. Impossible de filer à l'extérieur de la gare sans passer par la sortie officielle et cette porte est contrôlée. Profitant d'une seconde d'inattention de mon garde, je me faufile au milieu d'un groupe de voyageurs qui monte dans l'express. Je saute d'un bond dans le premier wagon et, par la fenêtre, aperçois l'allemand qui m'avait contrôlé, revenant avec ma carte d'identité. Je prie que le train démarre rapidement. Je remonte les wagons un à un pour reprendre mon ancienne place. Je retrouve avec une joie indicible Rémy HIRTZ qui me raconte qu'en apercevant que nous étions contrôlés, avait tout simplement contourné le wagon pour revenir ensuite dans le compartiment après la fouille. Et, surprise ! Voici que Rémy JOST apparait tout haletant. Il s'était éclipsé comme moi ! Enfin, le coup de sifflet retentit et le train démarre. Un large sourire illumine nos visages. Nous l'avons échappé belle ! Mais, la joie est de courte durée, la raison reprend ses droits. Qu'allons-nous devenir maintenant qu'ils ont notre signalement ? J'espère qu'ils ne vont pas nous cueillir à l'arrivée à Dijon.
Je m'arrange avec le cheminot de notre compartiment pour qu'il nous fasse sortir par la gare de marchandises de l'autre côté du quai si besoin était. Nous voici à Dijon. Personne ne nous attend. Nous allons en ville. Que d'allemands ! Notre passeur n'est pas fier. « Puisque c'est ainsi, nous dit-il, nous prendrons dès ce soir le train rapide pour Nice ». Son plan est le suivant : monter à Dijon le soir vers 23h45 dans le wagon réservé à l'armée allemande, une fois arrivés à Chalons-sur-Saône, attendre que les Allemands soient descendus, profiter des quelques secondes qui nous resteront avant l'arrivée des douaniers pour nous glisser chacun dans un compartiment sous une banquette jusqu'à ce que le train reparte. Tout cela me paraît un peu louche ! Nous avons faim et, chacun de son côté, va chercher quelque chose à manger. Dix minutes après, nous sommes installés dans un petit restaurant pour dévorer une maigre pitance. Pendant ce temps, notre passeur s'est éclipsé. Il nous a donné rendez-vous à la gare pour à 23 heures. Il y a beaucoup d'Allemands attablés autour de nous. Nous évitons de parler, notre accent pourrait nous trahir. Vers 22h, nous entrons dans le hall de la gare et achetons quatre billets pour Chalons-sur-Saône. Assis dans la salle d'attente, nous essayons de dormir un peu. Impossible. La peur est omniprésente. À tout instant, un Allemand peut nous demander nos papiers. Depuis notre aventure d'Auxonne nos chances de réussite nous semblent bien réduites et l'inquiétude est palpable. Je pense à ma mère et mes yeux s'embuent de larmes. Que va-t-il nous arriver ? La chance va-t-elle continuer à nous sourire ?
Hall de la gare de Dijon
A suivre ...
Sources :
- Mémoires de Pierre LUTZ
- Photos du fond Antoine MULLER
- Photos de Lucien JOST
Qui est Rémy JOST ?
Rémy JOST est né le 22 mai 1923 au sein d'une famille nombreuse. Il est le septième enfant de Louis, charpentier et agriculteur et de Louise GALLEREY de Reichsfeld. En 1928, ses parents reçoivent la médaille d'or Cognacq Jay, de la famille française remarquable, pour avoir élevé 14 enfants : 11 garçons et 3 filles. Ils habitaient au n°70 de la rue du Moulin à Valff. Robert décèdera en Russie pendant la guerre, la fille Maria sera enseignante religieuse, un des fils, Bernard, frère catholique, servira en tant que directeur dans un collège à Niamey (Haute-Volta actuellement Burkina Faso) Victor, pilote d'avion sera abattu près de Paris en 1940. Malgré une jambe cassée, il réussira néanmoins à rejoindre sa belle famille à Grenoble. Après la guerre, il partira en Indochine jusqu'à sa retraite. Louis avait orienté sa vie pour une carrière religieuse avant de rencontrer sa future femme. Il deviendra journaliste puis directeur du service des sports à Metz.
En 1935, le Président de la République Albert LEBRUN avait même fait savoir qu'il se proposait comme parrain pour les enfants de la famille JOST !
Extrait du journal « Unterländer Kurier » du 22 décembre 1935
Maison n°70 de la rue du Moulin
Rémy à l'école communale en sabots de bois
En juillet 1937, il obtient son certificat d'Étude avec la mention : Bien
Rémy en conscrit
Famille Louis JOST ; Rémy est le premier debout à gauche
Les parents de Rémy fêtèrent leur noces d'or puis les noces de diamant. Louis décèdera à 93 ans. Il chantait dans la chorale pendant 80 ans.
Louis JOST et Louise GALLEREY
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