- Écrit par : Yannick WETTERWALD
- Affichages : 2678
Prisonniers de guerre allemands travaillant dans les champs quelque part en France, été 1946, source : INA
Alors que la seconde guerre mondiale s'achève, les prisonniers allemands sont répartis, la France nation vainqueur, se voit attribuée la garde de 1 065 000 soldats prisonniers (essentiellement allemands), dont 765 000 qu'elle n'a pas capturé elle-même mais « reçue » (notamment par les américains). Ceux-ci servent de main d'oeuvre à partir de là.
« La France a un besoin immédiat de la contribution de son ancienne ennemie à la reconstruction de son économie » se justifie la Direction des Prisonniers de Guerre. Une main d'oeuvre asservie et gratuite ... Chose particulièrement méconnue, le sort des prisonniers de guerres allemands en France est peu enviable. La France était régulièrement accusée de violer la convention de Genève (notamment en particulier en employant les prisonniers pour des opérations de déminages très risquées), et n'a jamais répondu de ces crimes. Les historiens actuels estiment à 24 178 le nombre de prisonniers allemands décédés en France au cours de leur détention : au cours de travaux, mais aussi et surtout de maladies, de faim et des conditions d'hygiène déplorable dans de leur détention. Beaucoup de choses posent question quand ces prisonniers allemands : Les mauvais traitements qui leur sont infligés, la haine des français envers ces prisonniers, la mortalité élevée dans les camps, les nombreux engagements dans la Légion étrangère d'allemands volontaires ou forcés ?
En effet, dans une France ruinée et meurtrie par la guerre, difficile de nourrir ou même d'héberger 1 million de prisonniers en plus, mais la France a besoin de cette main d'oeuvre ! L'administration française propose aux entreprises et particuliers les services de prisonniers allemands ! Moyennant rémunération payée à l'État français, c'est une main d'oeuvre essentielle pour redresser le pays. Bien sûr, le prisonnier ne voyait pas cet argent. Le sort des prisonniers s'améliore courant 1946, et ce, sous la pression des Etats-Unis, qui demandent surtout la libération immédiate de tous les prisonniers détenus. Les conditions de détentions se détendent également, l'essentiel des camps est démantelé, les prisonniers répartis au sein des villages ou des entreprises industrielles où ils sont affectés pour travailler.
Finalement, l'essentiel des détenus est libéré début 1947. 137 987 anciens prisonniers allemands choisiront le statut de travailleur civil libre pour demeurer en France.
Prisonniers et cultivateurs
Près de 40% des prisonniers est attribué pour les travaux agricoles, et sont progressivement détachés et demeurent dans les villages. Nous en retrouvons donc logiquement à Valff, où l'agriculture est demandeuse de main d'oeuvre.
Réciproquement, les travaux agricoles sont des travaux demandés en priorité par les prisonniers de guerres volontaires: en effet, contrairement aux travaux dans les mines ou de déminages, il ne comportent pas de risques. En outre, beaucoup sont eux même agriculteurs et connaissent donc le métier (environ la moitié de la population en France et en Allemagne avant guerre est composée d'agriculteurs). Enfin, et surtout, les prisonniers doivent être nourris par les familles. Bien que les familles n'ont elles-mêmes pas grand choses (les tickets de rationnements seront en vigueur en France jusqu'en 1949), les prisonniers sont généralement bien mieux nourris que par l'administration ou dans les camps.
Le cas particulier de l'Alsace
Logiquement, les conditions de vies et de confort des prisonniers varient selon la commune ou la famille d'affectation en France. Bien qu'aucune enquête précise n'a pu être établie, il semblerait que l'accueil des prisonniers allemands en Alsace fût bien meilleur que dans le reste du pays :
-
L'Histoire de l'Alsace aidant, la population devait ressentir plus de compassion envers ces prisonniers que de vengeance.
-
Pas de barrière linguistique : la langue allemande partagée au quotidien facilitait les échanges entre les civils et les prisonniers
-
Enfin et surtout, des milliers d'alsaciens sont eux portés disparus, incorporés de force sous l'uniforme allemand, une bonne partie prisonniers en Union soviétique à des milliers de kilomètres de leurs familles [Voir notre article sur les Malgré Nous]
-
Une valffoise nous confie qu'ils traitent bien le prisonnier de guerre allemand qui leur avait été attribué car « On espérait que papa était aussi dans une gentille famille quelque part en Russie » [NDLR : il était incorporé de force dans le Wehrmacht et porté disparu, supposé fait prisonnier].
Curer la Kirneck !
Du 16 mai 1946 au 21 juin 1946, 20 prisonniers de guerre allemands arrivent à Valff. Ceux-ci sont employés par la commune, avec pour mission : curer la Kirneck ! Ceci représente une main d'oeuvre non négligeable. La commune devant payer forfaitairement à l'inspecteur subdivisionnaire du Bas-Rhin :
- 40 francs / prisonnier pour leur logement et nourriture
- 10 francs / prisonnier pour leur salaire
- 10 francs / prisonnier pour les frais de gardes
- Soit un total sur les 850 jours/hommes de 49.500 francs. Pour cela, la commune reçoit une subvention à hauteur de 50% !
Bien sûr, les prisonniers ne voient pas cet argent. Les travaux se déroulent sans encombre. Le principe est de déblayer le fond de la rivière, d'abaisser son lit où se sont accumulé durant des décennies terres, sables et déblais en provenance de l'amont. Les déblais de la cure sont distribués dans les champs proches de la Kirneck, pour les fertiliser.
A l'heure où nous écrivons cet article, nous pouvons noter que depuis 1946, la Kirneck n'a plus connu de cure d'une telle importance que celle menée par ces prisonniers de guerre. Cette main d'oeuvre à bas coût avait donc permis de rendre possible des travaux lourds, qui auraient sinon été très coûteux ; travaux dont nous profitons toujours aujourd'hui !
La vie de tous les jours des prisonniers de guerre allemands à Valff
La famille RIEGLER (198 et 199 de la rue principale) est par exemple une famille valffoise qui a accueilli un prisonnier à Valff. En effet, le père, blessé au pied, avait fait la demande, qui a été acceptée pour recevoir un prisonnier de guerre pour l'aider dans les travaux agricoles. Il versait donc mensuellement un somme d'argent à l'administration pour la « mise à disposition » de ce prisonnier.
Dans la famille, ces prisonniers s'entendaient très bien avec les plus jeunes et passaient des soirées à jouer et à boire ! En effet, certains étaient à peine plus âgés que les enfants de la famille, d'autres prisonniers étaient quand à eux également pères de familles. La chaleur d'un foyer d'accueil n'est pas anodine pour un prisonnier à des milliers de kilomètres de sa famille. Avec d'autres prisonniers, ils faisaient aussi parfois des soirées dans le village, le tout sans garde ... La journée, ils travaillaient comme tous les cultivateurs du village et leurs employés aux champs, et déjeunaient comme toute la famille et les employés à la maison.
Le soir, les prisonniers étaient (normalement ...) regroupés et gardés dans une maison près de l'actuel restaurant « Au Soleil ». Une note arriva même à la mairie précisant de renforcer la garde des prisonniers du fait d'évasions constatés dans d'autres villages. En effet, peu de village instaurent des gardes armées ou peuvent se permettre d'en payer une. Les prisonniers sont d'ailleurs au quotidien dans les familles, sans garde, toute évasion est finalement assez facile. Elles seront assez marginales.
L'histoire de l'un des prisonnier est bien connue localement : Certains de ces prisonniers avaient plus de 40 ans, étaient père de famille, et faisaient parties de dernières levées de l'Allemagne. Ils seront plus longtemps prisonniers qu'ils n'ont été sous l'uniforme. L'un de ces prisonnier allemand qui a travaillé à Valff, qualifié de bien sympathique, a vu sa libération arriver en étant à Valff. Une grande joie certes, qui a également réjouit des valffois pour cet homme bien sympathique.
Mais cette joie fût bien courte. Il était libre, mais n'avait rien ni nul part où aller. En effet, il était originaire d'un territoire à l'Est de l'Allemagne, dans un territoire occupé par l'Union soviétique. Il ne pouvait rentrer chez lui, il ne pouvait revoir sa famille. Il est parti errer. Qu'est-il devenu ? Encore un destin tragique dans cette guerre, d'un homme probablement bien sympathique, que le destin a mené vers Valff.
Bibliographie :
- Nous recommandons le visionnage de l'un des rare film portant sur le destin de prisonniers de guerres allemands d'après guerre. Titre original en danois : « Under sandet » , en allemand « Unter dem Sand » en français « Les oubliés », du réalisateur danois Martin ZANDVLIET
- Au lendemain de la guerre (partie 1, les dommages)
- Conclusion des articles sur la libération de Valff
- Feu d'artifice mortel dans la forêt de Westhouse
- La libération de Valff du point de vue américain
- Jean CRÉPIN
- Témoignage de René SIMANTOB
- Témoignage de Raymond FISCHER
- Témoignage d'un ancien du 40e RANA
- Témoignage de Jacques SALBAING
- Josef KNIES, lieutenant mort à Valff