« Paris a soif de vérité » tel est le titre du Strasburger Neueste Nachrichten de ce dernier jour d'août 1914. Il relève un article du journal La tribune dans laquelle des témoins auraient vu passer des wagons desquels dégoulinaient du sang et d'autres la multiplication de cimetières de fortune. Les allemands seraient des barbares et des lâches ! La mésinformation sévit des deux côtés de la frontière. Qu'en est-il en Alsace ? 

Semaine du 31 août au 6 septembre

Lundi 31 août

Strasbourg : Metzgerplatz (Place d'Austerlitz). Sur la place, en vestes bleues, circulent de nombreux soldats de la Landwehrkompagnie, dont le travail consiste à surveiller les ponts et les voies du tramway. Ils ont établi leur quartier général dans la grande salle de la brasserie « Stadt Wien ». Devant, un homme barbu aux cheveux roux clair, se soutient sur son fusil. Sa bague laisse entrevoir qu'il a dû laisser une épouse. À midi, il rejoindra, comme ses compagnons, la place de la Bourse où on lui servira une soupe. C'est en file indienne, ordonnée, que s'avancent d'abord les officiers, les sous-officiers, puis les hommes de troupe vers la marmite. Sur le côté, attendent, patiemment, sérieuses aux regards baissés, des filles, des jeunes et des femmes avant de pouvoir leur remettre leurs fabrications, coutures et habits. Tout est silencieux.

À gauche, la brasserie Stadt Wien

J.Koppel, « Au bon marché » : vente de drapeaux, mats et tissus

Sainte-Marie-aux-Mines : Les nouvelles de destructions complètes concernant les villages de Sainte-marie-aux-mines, Sainte-croix et Lièpvre sont fausses. Que de rares maisons, la gare et quelques fermes sont détruites. 

Sélestat : Mort sur le champ d'honneur. Le Reserve-Oberleutnant Wilhelm August REXIN, chef des postes à Barmen (Rhénanie) est décédé au Reserve-Lazarett (neues Gymnasium) de Sélestat à l'âge de 40 ans. Il avait été blessé par un tir au ventre à Thannenkirch. À 17 heures a eu lieu une cérémonie en compagnie de ses soldats, des membres de la municipalité, des militaires, du directeur de l'hôpital Docteur PIETRI et d'une innombrable foule locale. Après que les gardes ont tiré les trois salves de salut, le curé WEISS lui a transmis un dernier adieu. R.I.P, Repose en Paix ! Son corps a été transféré dans sa ville natale de Rassenhuben en Westpreussen où il retrouvera la crypte familiale.

Après la cérémonie d'enterrement, un éminent membre de notre communauté, Michel HIHN a eu un arrêt du cœur et est décédé. Il avait 73 ans. 

Mardi 1er septembre

Sarrebourg : Un immense cimetière. On a retrouvé près du champ de bataille du Haserfeld des soldats français qui s'étaient cachés dans un proche cimetière. Après avoir passé la nuit couchés sur les tombes, un de ces derniers a été retrouvé mort, couché en face d'un soldat allemand. Ils s'étaient embrochés l'un l'autre à la baïonnette, le français touché à la poitrine, l'allemand au ventre.  En ville, on a rassemblé environ 80 blessés français qui se déplaçaient avec des bouts de bois ou avec des planches. Dans leurs affaires, on a ramassé de belles chaussures cirées qui, il y a encore quelques jours, avaient foulé le beau bitume des boulevards parisiens. 

 

Envoyez à vos proches, des pastilles Kola-Dultz. Elles redonneront du tonus à vos soldats chéris

Strasbourg : En 1870, le pensionnaire des chemins de fer, BURGER, de Strasbourg, avait été fait prisonnier. Après avoir travaillé au-dehors des murailles, il a voulu retourner dans sa famille et fut arrêté comme espion par les soldats allemands qui avaient pris la ville. La semaine dernière, l'employé des chemins de fer, BURGER, de Sarrebourg, a aussi été fait prisonnier, cette fois-ci par les français. Ils l'ont soupçonné d'avoir donné des informations aux allemands. Le Burger de Sarrebourg est le fils du Burger de Strasbourg ! Quel histoire !

Deux prisonniers français ont, pendant leur transfert, coupé la gorge à leurs surveillants. On les a trouvés égorgé dans le wagon à la place des prisonniers. 3 septembre. Erratum : l'annonce du meurtre de deux soldats par des soldats français est une erreur. 

Le magasin « Louvre » de Strasbourg, a été rebaptisé. Il s'appelle maintenant « Kaufhaus Hoher Steg ». Une dame, parée de sa plus belle robe, s'est jetée dans l'Ill et s'est noyée.

Profanation : Des pilleurs de champ de bataille ont été arrêtés dans le val de Villé. Ils ont été transférés devant un tribunal militaire et le convoi est passé par Sélestat. Ce ne sont pas moins de 20 personnes, des deux sexes dont un jeune de 13 ans qui ont été pris. On leur reproche d'avoir coupé les doigts des morts pour récupérer leurs alliances. 

On a remarqué que sont organisées des excursions vers les champs de bataille. Les contrevenants risquent de se faire arrêter ou pire, se faire tuer en étant confondu avec des pilleurs. L'appropriation de tenues militaires, armes ou autres souvenirs abandonnées est strictement interdite.

Le transport ferroviaire Sélestat-Strasbourg est augmenté. Pour le Haut-Rhin, le convoi s'arrête à Colmar. En direction du val de Villé, le transport reste provisoirement suspendu.

À vendre : les restes des cuisines du restaurant « Zum Tiefen keller » ; une moto Peugeot 2,5 cv, fourche à ressort et magnéto 190 Mark (pour info : une nuit à Strasbourg en belle chambre double coûtait 5 Mark) ; voiture de course, vélo pour femme et ... une chaise percée, peu servie, prix réduit !

Mercredi 2 septembre

Strasbourg : Un grave accident de la route s'est déroulé à 18 heures devant la place de l'Hôpital. La femme HERZOG habitant dans la rue de Lauterbourg, debout sur le trottoir en face des archives de Strasbourg, voulait apercevoir un blessé lorsqu'elle a été renversée par une automobile militaire qui sortait de la porte de l'hôpital. Le conducteur qui s'est arrêté tout de suite n'a pu empêcher le véhicule de lui rouler sur la poitrine et sur la tête. Elle est décédée quelques minutes plus-tard. 

Le représentant du protocole de la société de carnaval de Strasbourg, le sergent DORRSCHUCK s'est porté volontaire pour le front. Il est le plus vieux sergent du 15ᵉ corps d'armée. Il a 67 ans. La plus jeune recrue est l'alsacien Karl ZINSZNER d'Eckbolsheim. Il a 16 ans et est intégré dans le corps d'artillerie à Kehl.

Colmar : L'ancien maire de Colmar, Daniel BLUMENTHAL, a fui en passant par la Suisse. Il a rejoint la France après avoir retiré 1000 Mark de sa banque. Il a maintenant commis sa plus grande trahison en soulevant les français contre l'Allemagne. Il a publié dans le journal « Le Matin » que l'Alsace-Lorraine souffre de l'occupation allemande et que la grande majorité des Alsaciens attend impatiemment sa libération. Il a conclu par un « Vive la France et vive l'Alsace et la Lorraine » !

Le Maire de Colmar Daniel BLUMENTHAL

Le Ortskommandant Oberleutnant D. von WELLETHIN fait savoir : le peintre Jean-Jacques WALTZ, dit Hansi, l'avocat Albert HELMER, le dentiste Karl HICK tous trois de Colmar et qui ont rejoint les troupes françaises, ils sont déclarés être des traîtres. Celui qui les assiste ou les cache sera fusillé. Le tailleur de pierre Alexandre KAUFLING de Logelbach a été fusillé pour avoir dénoncé un jeune scout aux français. Le jeune avait été blessé par deux balles.

Pendant dix jours, Colmar était coupé du monde. Les troupes françaises ont essayé en vain de prendre la ville. Une dizaine de maisons d'Ingersheim ont subi des dégâts. L'école est trouée comme une passoire. Une grenade a frappé le clocher et détruit l'orgue. À Logelbach l'usine de pâtes Scheurer était en flamme. Les français ont capturé et emmené les instituteurs WECK d'Ingersheim et Katzenthal, les Maires SALZMANN d'Ammerschwihr et THOMAS d'Urbey ainsi que le secrétaire SIEGEL à la place du maire malade. À Sigolsheim, ils ont embarqué la femme LENTZ, receveuse des impôts, veuve d'un gendarme. Ils possédaient des listes qu'ils ont certainement reçues des mains du traître WALTZ (Hansi). 

Ingersheim

Clergé : Le rédacteur catholique WETTERLÉ est un traitre. C'est ce qu'affirme l'Evêque de Strasbourg ADOLF dans « L'Alsacien ». Il sera puni par le droit canonique.

Tram : Une receveuse âgée de 53 ans est tombée du tram. Elle remplaçait un contrôleur parti à la guerre. Blessée au visage, elle a été emmenée à l'hôpital.

Jeudi 3 septembre

Bindernheim : Le père de famille, le boucher KRETZ, rentré pour une permission, n'a pu voir sa petite fille de deux ans et demi vivante. Elle était tombée quelques heures avant sa rentrée dans la rivière qui coule à côté de leur maison et s'était noyée.

Avion français abattu près de Colmar

Turckheim : Les troupes françaises de soldats de chasseurs alpins qui ont investi le village pendant quelques jours auraient poussé les commerçants à la ruine, dit-on ! Ils imposaient le litre de vin à 55 centimes ; 500 grs de beurre à 1 franc ; 1 œuf, 10 cts ; le kilo de viande de bœuf de 1,70 à 2,10 Frs ; le lard fumé, 2,10 Frs, non fumé à 1,70 Frs. Tout contrevenant se voyait puni par la fermeture et la confiscation des denrées. Le pain est ainsi devenu une rareté. après le départ des troupes, nos habitants ont poussé un ouf de soulagement ! Même l'horloge du clocher indique à nouveau l'heure allemande ! 

Zillisheim : Après le départ des soldats français, on a pu constater que l'abbaye de l'Ölberg est finalement peu endommagée. Seule la chambre à coucher du maître d'école a été touchée par une grenade. 1200 soldats français et allemands ont été secourus et soignés par les religieuses. 

Soldats français prisonniers à Saarbrücken

Banques : Les bonnes nouvelles de victoires ont redonné confiance dans nos banques. Pour la première fois, le nombre des dépôts dépasse celui les retraits, soit trois fois plus d'argent placé. 

Saverne : Une bombe installée sous un train a pu être désamorcée à temps. Suite à cet évènement, un couvre-feu a été imposé de 22 heures à 5 heures du matin. La gare est interdite à moins de 50 mètres et on tire sans sommation. Les bistrots et restaurants sont fermés après 22 heures.

Vendredi 4 septembre

Liste des village où les curés auront encore le droit de prêcher en français

Mulhouse : Le trafic ferroviaire vers Strasbourg est rétabli. Le pont de l'Ile Napoléon qui avait été dynamité est réparé. De nombreuses familles qui ont quitté la ville sont revenues.

Prisonniers : Les quelques 800 prisonniers civils et militaires de Thann et Mulhouse que les français ont emmené en France sont arrivés à Clermont-Ferrand dans le camp de Fontaine-du-Berger et installés dans des baraques « komfortable ».

Strasbourg : Un officier sauveur. Un homme s'est disputé avec sa femme et sa fille de 18 ans sur le pont du Canal à la porte des Bouchers. Pris d'une rage folle, il a soulevé sa fille et l'a jeté dans le canal. Un passant a sauté pour secourir la malheureuse, en vain. C'est un officier, passant par là, qui a plongé et ramené les deux victimes près du bord. 

Bossendorf (près Brumath) : Un revenant ! Le soldat et cantonnier Fr. HAAS était déclaré mort à sa famille depuis 4 jours lorsqu'il frappa hier à la porte de sa maison. Il avait été soigné à Lörach près de Bâle. 

Samedi 5 septembre

Guerre : Reims et Amiens sont à nous !

Les « Lazarette » de Sélestat : En dehors du « Garnizonlazarett », cinq autres lieux ont servis d'hôpital : celui du nouveau gymnase, dans l'école catholique des garçons, à l'hôpital civil, dans le séminaire des institutrices et dans la « Jägerkaserne ». Des personnes privées ont accueilli des blessés dans leurs locaux comme le curé WEISS, le directeur BRZOSKA de l'usine de filage, l'hôtelier BLEGER, la veuve FREY, mademoiselle ROTHWILL, le banquier FERCH ou la maison des orphelin à Ebersmunster, le tout supervisé par le Dr. von KNAPFF, assistant Dr. WOLFF. Les 40 pris en charges sont encadrés par 1 médecin militaire, 3 infirmiers, mademoiselle Martha von KAPFF, Else SCHMITZ, Berta FAHRNER et Marie MOHREL. Pour l'intendance nous pouvons citer le Oberinspecteur WITTICH, l'inspecteur KABLITZ et le professeur du séminaire REMLINGER. Le superviseur oeucuménique est le sergent STROHMANN. Dans le nouveau gymnase on trouve le Dr. SCHICKELÉ de Strasbourg et le Dr GUTHMANN. Les locaux de 166 lits ont été richement ornés de fleurs et de beaux tableaux et sont sous la responsabilité de Mme Oberleutnant GOETZE. Elle est assistée par les femmes Mme Prof. SCHICKELÉ, Mme LOUTERBACH, Mme KAISER, Mme KROPP et des demoiselles MEYER, SPIRGEL, RUFFRA, GÖTTELMANN, THIRIET, BURGER, STREITH, MANTELS, FRANK, OTT, WIEDERKEHR, KAPPLER, PITCHMANN, BECKER, KORUM, LÉON, LECHNER, ROOG, LAUBSER, FALLER, ULMER, BALDECK, SCHULTZ, DUTTER, WEIL, HIRTZ, MOSER et des hommes WILD, KUGEL, HOFMANN, SCHWOB, JÄGLER, STAHL, HURST, MÜLLER, DIETLE, les soeurs de Niederbronn Canisius, Eimhilde et Nabor et des seours de la Croix-rouge Louise WEGNER et deux soeurs de Ribeauvillé. L'Inspecteur général et la gestion est présidé par le Eichmeister KOCH assisté dans les bureaux par Mr l'instituteur SCHLEBER, le séminariste REMLINGER, les commerçants SRIBER et MEYER et les gymnastes BRZOSKA et BLOCH. En date du 1er septembre ont été soignés dans le Lazarett de garnison près de 300 personnes, au gymnase 275.

Pilleurs de cadavres : De nouveaux pilleurs ont été enfermés dans la prison de Sélestat. Il s'agit de 5 français de Lavelin (Vosges). Les cinq maraudeurs ont traversé la ville en provenance de la gare d'une manière assez indisciplinée. Leur gardiens ont du faire usage de leur bâton. Pour les faire marcher droit après leurs actions dédestables, il n'y a que ça !

Ce sont des vieux et des enfants en sabots et en hayons. Certains ont des griffures dans le visage et sur les mains. On pense qu'elles viennent des suites des corps à corps avec des mourrants. Deux sacs remplis de pièces à convictions de leur forféture les accompagnent. Dans le premier : des pièces en or et en argent, dans le deuxième, des montres en or et en argent, des colliers, des bagues, des alliances ... Un italien qui descendait des montagnes poussant un tombereau rempli de sabres, fusils, uniformes, képis, casques, gourdes, bottes etc, fait partie du cortège. Il refuse toutes explications. Son cheval, l'attelage et son chargement ont été confisqués ! Ils seront présentés à une cour martiale à Strasbourg.

Le lieutenant Hibbesen a survolé le premier Paris et a largué des bombes 

Caricature : voyons ? Qui va avoir le dernier mot maintenant ?

Dimanche 6 septembre

Le nouveau pape a pris le nom de Benedict XV

Suite, la semaine prochaine !

Autres épisodes :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.