La guerre est aux portes de l'Alsace. Que nous réserve cette semaine ? Suivez les nouvelles, jour après jour.

Semaine du 17 au 24 août 1914

Lundi 17 août

Des comités pour la Croix-Rouge sont formés pour coordonner les dons. Exemples :

  • Pour Stotzheim : le comte d'Andlau
  • Pour Barr : le Rabbin BLOCH, le tanneur Julius DEGERMANN, Dr KRIEG, Curé DIETZ, le Maire HECKER, Recteur LUX, l'inspecteur des finances NEUMANN, le garde-forestier SSENBOLD, l'adjoint TAUFFLIEB, le Curé UHLHORN et le Juge ZIESE

Quelle a été la situation dans la région de Barr ? Suivez-le guide complet.

Par centaines, les habitants de Strasbourg se sont déplacés pour voir les prisonniers français qui sont arrivés par train, près de à la gare, à la Porte de Kronenbourg. Les soldats de l'Infanterie-Regiment n°99 ont paradé fièrement, arborant les courts sabres français qu'ils ont planté sur leurs fusils. Il a fallu beaucoup de courage et de la ténacité à nos hommes pour retenir la foule survoltée et curieuse. Les 120 prisonniers ont été cantonnés dans un hangar. Quelques-uns acceptent, sans émotion, le café noir qu'on leur propose. D'autres sont affalés, l'esprit dans le vide, d'autres encore sont adossés contre un mur. Il règne un silence de mort comme après une catastrophe. Aucune parole réconfortante ne les encourage. Un chasseur, blessé à la tête, caresse son bandage gorgé de sang qui cache une blessure brûlante. Près de là, se tiennent quatre officiers et un médecin militaire. Leurs uniformes rayonnent dans le soleil de midi, ils sont silencieux. Et pendant que de bonnes âmes essaient de les consoler, nos soldats déchargent quatre canons français et cinq camions de munitions. Le regard fuyant, leurs yeux se portent vers les canons, près desquels, nombres de leurs camarades ont trouvé la mort. Un dernier ... « au revoir ».

Les nobles femmes de Strasbourg ont oublié leur dignité ! Lors du passage des prisonniers français, elles ont fait usage de leur « charme » et de « Koquetterie » inadaptée à l'égard de ces hommes. Elles ont même été excitées à l'idée de « französisch zu parlieren » (parler français). Rien que ça ! Si cela devait se reproduire, il faudra les conspuer et les chasser de la gare ! À Köln, un français, à qui une de ces « feine Damen » a présenté un verre de vin rouge, le lui a jeté au sol avec dédain. Cet homme avait plus de dignité qu'elle !

Médecine. Est-ce que les hommes peuvent supporter le stress des combats ? Il semblerait que non d'après l'éminent professeur de médecine français Dr H. NIMIER. Dans son rapport « Les nerfs dans la guerre » il explique que le soldat est confronté au combat, du bruit de son propre fusil, de celui de ses voisins, du sifflement des balles ennemies, des cris, des ordres, du bruit des détonations, des bombes, des hurlements des blessés, des bruits inconnus, l'angoisse de la mort. Le professeur pose cette question : est-ce que le système nerveux de l'homme est capable de gérer ce stress ? La réponse est non ! La preuve sont les constatations faites chez les Turques pendant la guerre des Balkans.

Le Général russe DRAGONIROW qui a suivi les conseils de son maître d'école SUWAROW en entraînant ses soldats sous le feu des balles réelles et de grenades, a bien compris le problème ! Il faut préparer le soldat aux nouvelles armes : avions, dirigeables et plus. Voici la solution !

Mardi 18 août

Cabane de sondage à Soultz-sous-forêt

Les entreprises de Pechelbronn confirment qu'ils seront à nouveau dans la capacité de livrer du pétrole en provenance de Soultz-sous-forêt dans la deuxième moitié du mois d'août. 

L'état-major de Sélestat est transféré à Strasbourg.

On nous signale qu'on a encore trouvé hier des soldats cachés dans une maison à Mulhouse. Les autorités précisent que tout individu qui cache, même un soldat français de sa famille, en uniforme ou en civil, sera fusillé. Six habitants de Bourtzwiller (quartier de Mulhouse) ont donc été fusillés. Nos troupes ont encore réussi à capture 300 soldats et trois officiers cachés dans la région de Mulhouse. Un habitant témoigne qu'un Hauptmann lui aurait confié : « Après la bataille, j'ai ordonné d'ouvrir les cantonnières abandonnées par les français. Dans 10 des 30 trouvées, on a sorti des habits civils. Ils avaient déjà prévu, dans le cas d'une déroutée, de se fondre dans la population ! ».

À Bouxwiller, deux maisons ont été détruites et de nombreux appartements endommagés durant les combats.

Une fosse commune a été creusée à Bourtzwiller par les habitants près de l'église. On y a enterré 48 soldats dont 4 allemands et 44 français. Des 300 blessés des 2 nations qui ont trouvé refuge à l'hôpital du Hasenrain à Mulhouse, plus de 20 sont décédés. 

Fosse commune à Rixheim près de la route d'Ottmarsheim

L'abbaye de l'Ölenberg a été durement touchée. Des combats ont eu lieu jusqu'à l'intérieur de la cour. Reiningen a été très endommagé par les bombardements. L'église et de nombreuses maisons ont subi des dégâts. La rumeur que le village ait été totalement détruit est fausse.

Mercredi 19 août 

Les rumeurs courent que le curé, le maire et le maître d'école de Rixheim aient été fusillés pour trahison, et le curé d'Huningue emprisonné sont archi-fausses !

Dans la nuit de samedi, le retour des troupes victorieuses à la gare de Colmar a fait l'objet d'une manifestation joyeuse. Les rues étaient bondées. Les gens dansaient sur les tables, offraient des boissons, de la nourriture et des cadeaux. Naturellement, tous les officiels étaient présents !

Le Strasburger Neueste Nachrichten rapporte la nouvelle effrayante tragédie suivante. Après la bataille de Sennheim (Cernay), de nuit, les aides de la Croix-Rouge parcourent le terrain des affrontements à la recherche de survivants. Les hospitaliers sont à l'écoute de chaque murmure, chaque soupir. Quand brusquement, on entend un bruissement. Tout le monde s'arrête ! Qu'est-ce ? Ce sont des profanateurs et pilleurs de cadavres ! Certains se sont fait arrêter. Ce sont souvent des jeunes désœuvrées de 15 ou 16 ans. S'ils sont attrapés, ils sont fusillés sur place ! Sur un des jeunes, on a trouvé 3000 Mark, l'argent que de pauvres parents ont confié à leur fils avant de partir à la guerre, des bagues, des lettres et des portefeuilles ! Ici un portefeuille, duquel on a sorti la photo d'un jeune sous-officier français, puis une autre photographie avec le jeune homme en compagnie d'une jolie jeune fille et deux enfants accrochés à leur père. Un autre étui renferme la photo d'une mignonne et frêle jeune fille avec ces mots : « À mon chéri. Margot » accompagné d'une boucle de cheveux bruns. Plus loin, une lettre d'adieu aux parents, perforée d'une balle. Émouvant est aussi la lettre d'une mère de Mayence à son fils : « Je prie Dieu qu'il veille sur mon unique enfant ! ». Les autorités promettent que tous ces objets seront envoyés à leurs familles pour, si c'est possible, adoucir quelque peu leurs douleurs. 

Avis : il est strictement interdit de s'approcher des postes fortifiés autour de Strasbourg avec le risque d'être abattu. 

La guerre à Mulhouse a poussé le propriétaire du cinéma « Weltkinema » de Fribourg, à envoyer ses opérateurs, au péril de leur vie, à filmer la bataille. Les bobines et leurs appareils ont été confisqués et prévenus qu'en cas de récidive, ils seraient fusillés. 

60 à 70 personnes de St Maurice sont arrivées à la gare de Sélestat. De Strasbourg, on les a transféré vers l'intérieur de l'Allemagne. Quarante-cinq soldats français en uniformes s'étaient cachés dans le village et ont tiré sur nos troupes. Ce que l'on reproche aux habitants, c'est de ne pas avoir prévenu nos soldats. Suite à cette altercation, le Maire du village aurait pris la fuite. 

Extrait du site officiel histoire du village de St-Maurice

Cette nuit, à 2 heures 10, est décédé le Pape Pius X.

Jeudi 20 août

Nos soldats ont repoussé une percée dans la vallée de Villé. Les envahisseurs ont subi de grandes pertes. On dénombre 29 morts et 102 prisonniers, essentiellement du 22ᵉ d'infanterie et quelques chasseurs alpins. Onze canons ont été capturés. Un hussard français a été capturé à Châtenois. 

Dans le désespoir que son mari a été enrôlé, une femme habitant dans la rue des écrevisses à Strasbourg a ouvert le robinet de gaz et s'est donnée la mort. C'est un voisin, ne voyant plus la femme, qui a ouvert la porte. Le corps était déjà dans un état de décomposition avancé. On pense qu'elle s'était suicidée tout de suite après le départ de son époux. 

Après le bombardement par l'artillerie française, notre beau village de Diebolshausen (le Bonhomme) a été partiellement détruit. Cinq membres de la famille de l'agriculteur BERTRAND ont été grièvement blessés. Alors qu'elles essayaient de fuir, la mère et la petite fille de cinq ans de la famille PIERRET ont été touchés par une grenade. La fille est morte sur le chemin de l'hôpital de Colmar. 

Arrivée massive de prisonniers et de blessés. Les prisonniers ont été enfermés dans la salle « Fruchhalle » de Sélestat (halle aux blés) puis transférés à Strasbourg. Un canon a aussi été exposé devant cette salle. Il portait l'annotation : 14ᵉ corps d'armée, 54ᵉ régiment, 4ᵉ batterie, 3ᵉ canon. Le canon de 8 cm a été capturé à Villé. Il a été fabriqué à la Manufacture de Tulle en 1898, système Puteaux. Une foule nombreuse est venue admirer l'évènement.

Avis : le président du Haut-Rhin a fait communiquer que si des habitants de villages sont pris à se ranger du côté de l'assaillant, eux et le maire seront fusillés, le village détruit. Toute personne, en dehors du maire et des sanitaires, qui se déplacent sur un champ de bataille sera fusillée sur le champ !

À St-Maurice dans le val de Villé, des soldats français se sont cachés dans les maisons et ont tiré dans le dos de nos officiers qui passaient. Après enquête, il est apparu qu'un habitant était mêlé à cette ignominie. Le village a été incendié et les 60 à 70 habitants déplacés à l'intérieur de l'Allemagne. 

Les croiseurs « Strassburg » et « Strasund » ont débusqué 2 sous-marins près de la côte anglaise. Après quelques salves du « Strassburg », un des sous-marin à sombré. Le « Strasund » est entré en conflit avec plusieurs destroyers lance-torpilles. Deux d'entre-eux ont subi des dégâts conséquents. C'est encore la preuve, comme la percée jusqu'à Skager Rack (passage au sud de la Norvège) d'un de nos dirigeables, que nos côtes sont sécurisées pour le passage des convois maritimes. Le maire de Strasbourg, Dr Schwander a envoyé les félicitations de la ville au commandant du "Strassburg" qui a répondu de ne désirer rien d'autre que de se rendre digne de la ville. (Le navire sera coulé dans un bombardement allié en 1944)

Vendredi 21 août

Avis : il est a signaler qu'il sera tiré sur le terrain de tir près de Sélestat et près des villages Kogenheim, Eichhoffen et St Hyppolite.

Le Ministre de la guerre français a envoyé le message suivant au Général JOFFRE : « L'entrée de nos troupes à Mulhouse au son des "hourra" et la liesse de la population nous prédit d'autres victoires glorieuses. Je suis heureux , au nom de tout le gouvernement de vous témoigner tous nos remerciements ».

On demande de décorer nos tristes « Lazaret » de belles photos et tableaux, de bouquets de fleurs et de fournir des livres et de la lecture à nos vaillants soldats blessés. Du chocolat est le bienvenu. 

Lu dans la liste des morts et disparus : Auguste WETTERWALD de Osthouse (disparu). Le sergent Robert FOHR de Schirrheim a embrassé la mort des héros (Heldentod) sur le champ d'honneur. Une balle mortelle l'a touché à la bataille de Lagarde en Lorraine.

Samedi 22 août

Grande victoire en Lorraine : 10 000 prisonniers et plus de 50 canons !

Télégramme du Kaiser à la duchesse de Braunschweig : « Dieu le Père a béni nos braves troupes et leur a consenti la victoire. Que tous les nôtres à la maison, le remercie sur les genoux. Qu'il soit encore, dans l'avenir avec nous et avec tout le peuple allemand. Ton filèle Père Wilhelm ».

A la nouvelle de la victoire, Strasbourg s'est parée de drapeaux. Sur la flèche de la cathédrale en ont été hissés plusieurs. Dans les rues les badauds échangeaient les dernières nouvelles. Pas de manifestations de haine ni de vengeance. Nous savons que cette guerre est le fruit de certains agitateurs. Les peuples ne sont pas responsables. Partout, on ne rêve que de ça : que notre pays soit nettoyé de nos ennemis ! Nos victoires ont encore conforté notre confiance en nos chefs militaires.

Les touristes alsaciens qui séjournaient à Tunis au début du conflit ont été emprisonnés. Quatre allemands ont essayé de fuir en s'embarquant sur un navire italien. Lorsque les soldats ont fouillé le bateau, deux ont été fait prisonnier, le troisième abattu et le quatrième introuvable. Il avait été caché par l'équipage sous un tas de cordages dans une cabine.

A Gertwiller, l'affaire des fusillés :

Les causes de la guerre, lettre d'une allemande habitant à Strasbourg : « J'habite à Strasbourg chez une simple famille alsacienne. C'est une brave famille. Pourtant, petit à petit, ils se sont aigris. Ils recevaient des lettres de membres de leur famille de France dans lesquelles ils ont appris que la guerre entre la France et l'Allemagne était inévitable. La France savait depuis longtemps que l'Allemagne allait déclarer la guerre. Pour éviter cette situation, le noble Poincaré a proposé au Kaiser 3 milliards de Francs. Mais notre Kaiser aurait répondu : "Je veux six milliards et la victoire !". Voilà ! Maintenant nous connaissons la raison de cette situation ... à la française ! ».

Dimanche 23 août

Lettre d'un capitaine à sa famille en Allemagne : « Lors des premiers affrontements, il y a eu de nombreuses pertes des deux côtés. Les français se sont cachés dans les maisons, nous avons fait de nombreux prisonniers. Lorsque les français constatent qu'ils sont perdus, ils se mettent debout et lèvent leurs bras. S'ils arrivent à se replier, ils abandonnent tout sur place pour mieux courir. Le premier jour, j'ai capturé 20 français avec 3 remorques de pain et de viande. Il y avait un français blessé au milieu des vignes et pourtant il continuait de tirer sur nous. Nos blessés sont exécutés sur place par les noirs et ces lâches leurs marchent sur le visage. Je pense que nous sommes trop bon avec eux !

Un village a été ravagé parce que les habitants cachaient les ennemis. C'est de leur faute ! Avec nous, ils étaient pourtant sympathiques ! Quand nous traversons un village, ils nous accueillent avec du vin, du pain, du café. Partout nous avons été accueilli avec des "Hourra !". Pourvu que tout cela cesse rapidement, pour moi et pour vous !" ».

Et pendant ce temps en France ...

La guerre se durcit. L'engrenage des massacres et des haines s'amplifie. Vivez la suite des évènements en Alsace dans le prochain article.

A suivre, la semaine prochaine ...

Autres épisodes :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.