Dans les deux premiers volets de la série des arbitrages juridiques de 1793 dans le canton de Barr, nous avons pris connaissance du fonctionnement administratif de médiation entre habitants. Dans la majorité des affaires, le litige concerne des citoyens de villages voisins ou de litiges commerciaux, mais que se passe-t-il si le litige concerne deux parties d'un même village, celui de Valff en l'occurrence ?

 

3 juin 1793. Le tribunal du canton de Barr se réunit à Valff après une bonne rasade de vin, c'est normal ! Il est 15 heures à l'auberge Zum grünen Baum (à l'arbre vert). Sont présents : Jean Jacob SCHEFFER, juge de paix de Barr et ses assesseurs Jean VÖGEL le jeune, Antoni JORDAN, George Michel ROSFELDER et George WERCK. La séance pour une nouvelle affaire est ouverte !

Restaurant à la couronne en 1908

La porte s'ouvre et se présente le citoyen Blaise ROSFELDER, agent municipal et porte une accusation grave contre George Michel ANDLAUER également de Valff. Ce dernier n'est pas présent ! Malgré une convocation, ANDLAUER poste aux abonnés absents. Malgré tout, on demande à ROSFELDER d'énoncer son grief :  « Le 20 mai 1793, je me trouvais à 21 heures à l'auberge Zur Krone (à la couronne) chez Antoni RICH avec mes amis, le célibataire Jean LUTZ le vieux, Joseph ROSFELDER et André LUTZ pour profiter d'une petite "récréation" quand ANDLAUER, sans raison, a commencé à me faire toute une série de reproches puis s'est jeté sur moi, et m'a frappé violemment. Dans la fureur de ses coups de poings, il m'a poché les deux yeux jusqu'au sang et m'a laissé de nombreuses contusions et bleus. Les séquelles m'ont empêché de travailler pendant plusieurs jours. Je demande une indemnité de 40 livres en dommages et intérêts et la mise au pilori. J'attends avec confiance une condamnation juste ». Le restaurant à la Couronne se trouvait alors au n°201 de la rue principale.

Ancien restaurant « A la couronne » avec l'enseigne encore vaguement visible

Le tribunal décide d'attendre l'arrivée d'ANDLAUER pour se défendre. Le tribunal statue de 10 à 16 heures, il reste une heure, peut-être va-t-il encore apparaître.

Compte rendu du procureur communal de Valff, Xavier KORMANN

Finalement, le prévenu n'étant pas arrivé, le tribunal condamne George Michel ANDLAUER, à contumace, à la peine de 24 livres de dommages et intérêts. La somme est à encaisser par le procurateur communal KORMANN avec, en sus, les frais d'audience de 1 florin, 3 Schilling et 9 Pfennig. Curieusement, ANDLAUER échappe à la sentence du pilori. Aurait-il eu de bonnes raisons d'agir de la sorte qui aurait conduit le jury à lui attribuer des circonstances atténuantes ?

Convocation de la part du juge de paix SCHAEFFER adressée à George Michel ANDLAUER à paraître pour 10 heures du matin à l'auberge de la Couronne pour jugement

Notification de convocation de la part de la « Munnicibalitet » (municipalité) déposée le 15 juillet par Joseph WEBER au domicile du prévenu

La bonne nouvelle ? Le jury a bu à l'œil ! 🤐

Elle n'est même pas marrante ta blague, Rémy !

Affaire suivante ! 

Toujours le 3 juin à l'auberge A la couronne, nos juges doivent maintenant à trancher entre Anna Maria WEISSWEYL, la veuve d'Andreas PFLEGER de Valff contre François Joseph STUMPF également de Valff. La dame WEISSWEYL se plaint que STUMPF ne lui a pas payé son salaire de 1789 que son feu mari, gardien de mouton communal avait travaillé pour 11 Messel (un Messel, Mess, Mosse (minot en français) correspondait à un volume d'un peu moins de 80 litres de grains. Expression ancienne alsacienne : « Er nemmt a Sester fer a Massel » (Il prend un setier pour un minot) se dit d'une personne qui escroque en quantité) moitié grain, moitié orge selon le registre des corvées. 

Berger (crédit image Généanet)

L'accusé rétorque qu'à l'époque, il serait resté sur une dette de 1 livre 5 Schilling au sujet d'un accord concernant un cheval, ce qu'il a compensé avec le dû à son mari. Vu que STUMPF ne peut prouver par un document officiel la soi-disant dette que le feu mari de la demanderesse aurait contractée, décide de suivre la requête d'Anna Marie WEISSWEYL et de le condamner à nouveau s'il lui venait à l'idée de prélever une quelconque quantité des 85 litres de céréales. Lustitia est locutus ! (justice a été prononcée)

Setier

Hopla ! Au suivant !

À 18 heures se présente Mathis SIMON, tailleur d'habit à Valff et se plaint de l'aubergiste Joseph MEYLE qui exploite son auberge au fond de sa cour. Il se plaint que les clients qui vont à son bistrot traversent son jardin. Il demande donc que MEYLE, qui ne s'est pas présenté à l'audience en passant, fasse construire, au plus tard dans les quatre jours, une palissade en bois qui séparera les deux propriétés. 

Le tribunal décide que vu que le concerné aubergiste ne s'est pas présenté malgré la convocation, est condamné « par déffaut » à verser 6 Schilling et 3 Pfennig de frais de tribunal et de faire construire ladite palissade à ses frais dans les huit jours. Si le jugement n'était pas exécuté dans les temps, il serait rejugé par un nouveau tribunal impartial ce qui pourra engendrer pour lui de nouveaux frais.

Au suivant, hips !

Toujours à l'auberge de l'arbre vert, se succèdent les justiciables de Valff. C'est au tour de François Joseph MÜNCH d'ester la justice. Il en a contre Jeysel BARACH le juif de Valff. À la fête d'"Epissoti" de la St-Martin (11 novembre, marché de bestiaux, lieu inconnu, appelé dans le texte « Haupt marché »), il a acheté une vache de couleur jaune pour 26 Schilling au dit BARACH. Alors qu'il a voulu payer son dû, le dit juif a refusé (dans un autre arbitrage, on retrouve le même procédé suspicieux de BARACH). MÜNCH demande de pouvoir solder son achat.   

BARACH explique qu'il s'était mis d'accord avec l'acheteur de payement de non pas 26, mais 52 Schilling en assignats ce que peuvent certifier des témoins. Le tribunal demande à BARACH de présenter prochainement les fameux témoins et à MÜNCH de produire les siens. Hips ! Oh la vache ! Il est tard ! Toujours à l'auberge à l'arbre vert de Valff, le tribunal n'a plus soif !  Et comme Jeysel BARACH est déjà présent, il peut rester pour se présenter et répondre devant son accusateur suivant ! Hips !

Nous, nous allons nous reposer et attendre tranquillement le prochain épisode des affaires du tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle, hips !

Sources :

  • Archives départementales du Bas-Rhin
  • Gallica

Autres épisodes :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.