- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Une petite balade à vélo en direction de Zellwiller par le chemin appelé « Hagelweg » traverse la rivière Andlau au Sud du village et vous fait passer à côté du lieu-dit « Bruchmühl ». Saviez-vous qu'il se trouvait là un ancien moulin ? Quelle est son histoire et que pouvons-nous apprendre sur ses meuniers ?
Plan du cours de l'Andlau. Indication du Bruchmühl au-dessus de l'indication "Andlau K" - 1755
Images Google Earth
Croix avec l'emblème de la corporation des meuniers
Dans le livre De Valva à Valff, l'auteur André VOEGEL, né au début du XXe siècle, donne ces informations : « Un autre moulin se trouvait en bordure de l'Andlau, dans le prolongement du Hagelweg "Bruchmühle". Son nom provient du moulin situé dans le Bruch de Zellwiller. Bien que l'exploitation fut arrêtée vers la fin du siècle dernier, le moulin fut habité jusqu'en avril 1948 par une famille nombreuse (Hermann) qu'on a toujours appelé les "Bruch-Müllers". Administrativement, le moulin se situait sur le ban de Zellwiller, mais les enfants fréquentaient l'école de Valff, le chemin étant plus court sur Valff que sur Zellwiller. Entretemps, tous les bâtiments sont tombés en ruines et seuls quelques vestiges demeurent encore en place parmi lesquels une partie d'une belle croix rurale frappée des emblèmes de la corporation des meuniers. Ce moulin avait déjà été cité dans un document du XVIIe siècle, lorsque la commune de Zellwiller porta plainte contre celle de Valff au sujet de l'entretien de la rivière Andlau ».
Dans nos archives, nous retrouvons une photo de la famille nombreuse HERRMANN devant la maison d'habitation de la Bruchmühl. Aloïse, le père de Robert (sur la photo) était « Fuhrmann » (conducteur d'attelage) à Barr. Robert a épousé Marie Caroline PONTON à Barr. Il poursuivra le métier de son père. La famille HERRMANN n'avait donc aucun lien avec la minoterie, ni avec la famille de meuniers HERMANN, cité plus bas. Il est fort peu probable qu'ils aient encore fait tourner le moulin au début du XXe siècle.
Histoire
Extraits du livre de George SCHLOSSER sur l'histoire de Zellwiller : « Le moulin de la Bruchmühl fut le dernier des trois moulins de Zellwiller à cesser toute activité en 1921. Un bail emphytéotique passé et signé le 11 janvier 1723 entre les représentants de la communauté de Zellwiller et André HOLTZ son constructeur et premier occupant au lieu-dit Fährenbruechel. le moulin fonctionna sans interruptions pendant deux siècles. L'acte a été trouvé dans le grenier d'un villageois. Chaque année à la St Martin, le meunier devait fournir sept quartauts de méteils à la commune.
Cette redevance sera contestée au moment de la révolution. La redevance seigneuriale pour "droit de chute d'eau" (Wasserjalizmns), elle s'élevait à 5 sous pour chaque mouture et imposait :
- défense d'ériger des ponts, passerelles ou tous autres ouvrages, sans accord et autorisation préalables de la commune ;
- obligation de veiller à la propreté de la rivière ;
- possibilité doit être laissée aux villageois de pratiquer le rouissage du chanvre dans le fossé et dans la rivière proches ;
- défense au meunier d'élever des pigeons (il s'agit de pigeons voyageurs car c'était là un privilège réservé au seul seigneur) ;
- enfin, défense au meunier de laisser paître en toute liberté ses propres bêtes comme celles de ses clients, que ce soit vaches, bœufs, moutons ou cheval.
C'était là une protection des pâturages communaux tout proches. Le moulin fut construit sur un terrain en friche. Le plan de 1760 dit "Vor dem Bruch" à un kilomètre et demi de Zellwiller et presque autant de Valff. Le choix peut surprendre, cependant c'était un point de passage important en amont du gué que traversaient les troupeaux venant de Bourgheim. Il paraît même que là se trouvait jadis un Ladhof utilisé par les gens de Valff. Ce n'était nullement un endroit désert : si les hivers laissaient les pâturages proches souvent inondés, vides de bétail et seulement visités par des bûcherons, la belle saison voyait affluer les troupeaux qui, les soirs d'été, dormaient à la belle étoile. L'Andlau paressait par méandres multiples et attirait les pêcheurs. Le moulin fut occupé par des meuniers travailleurs et entreprenants, d'abord la famille DUSCHLER (XVIIIe siècle), puis la HERRMANN (XIXe siècle). Des difficultés apparurent après. La mort de François Joseph RIEHL en 1850 et sans successeurs, c'est Ignace GSELL qui racheta les bâtiments en 1877. Le lieu fut repris par un habitant de Bourgheim Ervin DÜRR. Après la disparition des bâtiments l'endroit fut vendu en 1973 et cédé à un locataire de chasse qui y construisit un pavillon ».
Intéressons-nous aux meuniers qui ont exploité le moulin.
Zellwiller en 1936 (Fond BLUMER, archives de Strasbourg)
Début XXᵉ siècle. Le moulin tombe en ruines et cesse toute activité. Il est la propriété d'Ervine DÜRR. La maison d'habitation est en location. Un jour d'orage, la foudre détruit la grange en feu. Pour la reconstruire le propriétaire décide de démolir une partie du moulin pour récupérer les poutres manquantes. La maison d'habitation sert aléatoirement d'auberge. Les locataires changent après les années 30.
C'est une famille nombreuse, les HERRMANN (photo plus haut) qui habitera plus tard les lieux. Le père est agriculteur et transporteur de bois et la mère s'occupe de desservir quand cela se présente, quelques boissons et limonades pour les passants et pêcheurs. Certains enfants naîtrons au vieux moulin.
Un peu plus tôt, le dénombrement de la population de 1885 nous apporte d'autres réponses. Administrativement, en 1885, les bâtiments au lieu-dit Bruchmühl portaient le n°246. La propriété apartenait à la famille GSELL : le père, Ignace, est meunier. Son épouse Catherine BREISACH élève Joseph Ignace et Joséphine. Le couple était assisté par la sœur de Catherine, Elisabeth. Le 28 décembre 1920, décède à Zellwiller, Joséphine, fille d'Ignace GSELL journalier de Matzenheim. Sa mère s'appelait Anne-Marie REIBEL. Il semble que cet Ignace n'ait aucun rapport avec le Ignace GSELL, meunier, sauf le même nom et prénom. La date de naissance potentielle varie également.
Le 2 août 1908 meurt, cette fois-ci, au Bruchmuhl, Ignace, l'ancien meunier de son bel âge de 82 ans. Dans l'acte il n'est plus qualifié de meunier mais d'agriculteur. La déclaration est faite par l'agriculteur Joseph Ignace, son fils. On apprend dans l'acte qu'Ignace, père, était originaire de Matzenheim. Son père était pêcheur. Le fait que le métier indiqué est agriculteur (pour les deux) laisse à penser, qu'à cette époque, le moulin avait déjà cessé toute activité.
Remontons encore un peu le temps :
- 1880 : le meunier s'appelle déjà Ignace GSELL et sa femme, Catherine BREISACH. Pour les enfants, on note : Ignace, Auguste et Joséphine (voir le paragraphe Ignace GSELL)
- 1866 : la maison porte le n°234. Le meunier s'appelle maintenant : Joseph ZUBER, 30 ans, et son épouse BIENNER (BRONNER) Claire, plus le frère de Joseph, Henri, 16 ans
- 1861 : le numéro a encore changé et est maintenant le 233. Les habitants sont : Marie-Anne HERMANN, 70 ans, meunière, veuve de RIEHL. Une annotation curieuse précise « française d'origine ». Elle est assistée par Jean MEISNER, 40 ans, garçon domestique, Arbogast KREMEL, ouvrier et Madeleine DRICK, servante, allemande d'origine
- 1856 : la veuve HERMANN s'est attribuée l'aide du fidèle Jean MEISNER, de Mathias MEYER, 18 ans, domestique, de Madeleine WEISZ, 21 ans, servante et de Charles RISCH, 18 ans, ouvrier (Vous vous demandez, peut-être, s'il n'y a pas eu mariage avec une Madeleine de 21 ans entourée de ses deux jeunes coqs ? Eh ! bien, non ! désolé 💔)
- 1851 : Marie-Anne HERMANN est veuve. Elle a 61 ans. Son activité : agricultrice ! Le numéro de la ferme est le 1. Le (valet) Jean MEISNER, 30 ans, est déjà là, aidé de la servante Marie-Anne ANDLAUER, 26 ans
- 1846 : Enfin, on recense le meunier Joseph RIEHL, époux de Marie-Anne HERMANN qui était veuve plus haut. MEISNER, 25 ans, est le valet et Marguerite WINOM, 17 ans, servante.
- 1841 : Meunier Joseph RIEHL, épouse Marie-Anne HERMANN, Jean MEISNER, domestique ainsi que Julie SCHUR
- 1836 : André HERMANN est meunier et habite au 126 de la rue Principale de Zellwiller (voir encadré plus bas). Joseph RIEHL et sa femme Marie-Anne HERMANN sont meuniers dans le Bruchmühl au n°148. Notre bon Jean MEISNER est domestique. Il a 16 ans. Joséphine HUSON aide au ménage
Que savons-nous des meuniers RIEHL et HERMANN ?
François Joseph RIEHL est né le 30 janvier 1796 à Kuttolsheim, il est mort le 14 décembre 1850. Les RIEHL et son père Florent était déjà une famille de meuniers à Kuttolsheim. Son grand-père était prévôt. Marie-Anne HERMANN est née à Zellwiller le 2 avril 1796. Son père, André, était meunier en 1822 à l'occasion de son mariage au dit Bruchmühl. Marie-Anne est morte à 85 ans, le 7 mars 1877. Le couple a eu un fils, François-Joseph. Il est mort à l'âge de 10 ans.
Nous apprenons, par l'acte de mariage, que le moulin du Bruchmühl était desservi auparavant par la famille HERMANN à Zellwiller. Le père d'Anne-Marie, André, est né à Obernai. Il a épousé Anne-Marie ANDLAUER de Valff. Lors de leur mariage à Valff, le 21 mars 1788, André est appelé « molitor molendini tosquam vulgo dicti Bruchmühl » que l'on peut traduire par « meunier du moulin communément appelé Bruchmühl ». À noter que l'acte a été soussigné par un certain André HERMANN, meunier à « Naaswiller » (Natzwiller ?).
Le 17 septembre 1827, décède André HERMANN à Zellwiller, meunier, né à Obernai, habitant au Bruchmühl, fils d'André, meunier, et de Marie-Madeleine MOSER.
Pour l'autre André, le fils, c'est une autre histoire ! C'était un sacré coco ! Il est condamné le 14 août 1823 au bagne de Toulon à cinq ans d'emprisonnement pour avoir porté des coups sur la personne de son père ! Il est libéré le 20 août 1828. En 1829, il récidive pour vol, et reprend cinq ans [En savoir plus].
La famille GSELL
Ignace était originaire de Matzenheim. Il est décédé à Zellwiller en 1908. Il était marié en deuxième noce avec Catherine BREYSACH originaire d'Osthouse. Cette dernière l'a suivi l'année suivante (c'est ce couple que nous avons recensé exploitant le Bruchmühl). Ignace était uni en première noce avec Marie-Anne REIBEL. Ils ont eu cinq enfants et ce sont trois d'entre eux qui sont recensés en 1880 avec le couple Ignace et Catherine BREYSACH : ce sont Ignace, Auguste et Joséphine. Catherine BREYSACH était déjà mariée en deuxième noce avec George PETER de Zellwiller, qui était marié en première noce avec Elisabeth GENZEHIRT. Catherine BREYSACH n'a jamais eu d'enfants.
Le meunier Joseph ZUBER
La famille ZUBER est une famille de meuniers. Joseph (Antoine), le meunier de Zellwiller, a épousé Claire BRONNER en 1865 à Obernai et s'est installé peu après au Bruchmühl. Il est décédé à Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis en 1908. Son père Félix, meunier, est décédé à Obernai, ainsi que son frère Joseph qui a épousé Catherine, la sœur de Claire. Les BRONNER étaient également des meuniers.
Les bâtiments et le moulin
XVIIIᵉ siècle, Plan de Cassini (en bas de l'image, Moulin de Bruche Müll)
- 1789 : travaux d'élévation d'un fossé
- 1792 : procès entre la commune et les barons de Landsberg au sujet du droit de Wasserfall (droit de décider du cours et débit de l'eau).
- 1814 : le Bruchmühl est à louer ou à vendre. On apprend qu'il possède deux râpes et d'un émouloir (ancienne meule à aiguiser), d'un four à pain et d'une superficie d'environ un hectare de terre propre et de 2,5 ha de prés et de champs et même d'un lopin de vigne
Le courrier du Bas-Rhin, 16 juin 1814
- 1869 : le moulin est à vendre ! Nous apprenons qu'il est à deux tournants (un tournant est l'ensemble formé par une meule tournante sur une meule gisante) et un foulon à chanvre [à lire : La Hanflach et la culture du chanvre]
Les bâtiments étaient composés de la maison d'habitation, d'une cour, d'une grange, d'une écurie et d'un jardin.
Le courrier du Bas-Rhin, 5 septembre 1869. C'est vraisemblablement Joseph ZUBER qui vend et l'acquéreur est Ignace GSELL
Plusieurs plans anciens nous donnent une idée de l'emplacement des bâtiments et des lits de l'Andlau. Particulièrement, le plan de la fin du XIXe siècle trace l'ancien lit de la rivière. Spécifié « Alte Andlau » l'ancien bras se situe en bas à gauche du plan. Saurez-vous le retrouver lors de votre prochaine promenade ?
Plan de fin XIXe siècle. En pointillés, projet d'alignement du lit de l'Andlau (cours actuel)
Implantation du moulin : en dessous des bâtiments, on distingue l'étranglement muré avec indication de la roue à aube. Le moulin possédait dans la cour un puits à chaîne.
Le moulin appartenait à Ignace GSELL mentionné sur la carte. Alors que l'actuel lit de l'Andlau est au bas de la carte, celui qui faisait tourner le moulin se trouve au-dessus et est appelé Mühlgraben. Le moulin est entouré des bans de Barr (en bas au centre) de Mittelbergheim (en bas à gauche) de Stotzheim (en bas à droite) et Zellwiller (à gauche, en haut et en haut à droite) et le ban de Valff (encore plus haut) Un vrai sac à nœud !
Les lieux étaient desservis par le chemin dit Bruchweg. Le Bruch appartient à la commune de Valff, mais cela est une autre histoire que nous vous raconterons une autre fois !
Bulletin de la Société pour la préservation des monuments historiques, 1ᵉʳ janvier 1863
Plan du cours de l'Andlau en 1659. Le pont du Bruchmühl est noté C (West Steeg uber die Andlau und die Werb durch Falve Holtz). Pont Ouest sur l'Andlau et la rive surélevée à travers le bois de Valff)
Le terrain actuel
Vestiges de constructions
Pont actuel sur l'Andlau
Dénivelé de l'ancien lit de l'Andlau qui alimentait le moulin
Ancien bras d'alimentation du moulin de l'Andlau
Fossé de l'ancien lit de l'Andlau avec en face la rivière actuelle
Pour plus d'informations sur l'histoire de la rivière l'Andlau et pour une petite histoire croustillante de fesses à l'air : Pêcheurs naturistes à Valff !
Remerciements à l'équipe de la mairie de Zellwiller pour leur collaboration.
Sources :
- Adeloch et Ellenbach
- Archives d'Alsace
- Archives départementales du Bas-Rhin
- La stèle de l'aire de repos de Niedernai
- La fondation du vicariat de la chapelle Sainte Marguerite
- Histoire des cimetières de Valff
- Visite de la synagogue
- Petite histoire de la synagogue
- La maison des soeurs garde-malades
- Dîme et cour dimîère
- Le cimetière de Valff
- Trésor historique dans le grenier du presbytère
- Les bancs publics « Napoléon »