Le nouveau tribunal de l'ère révolutionnaire se réunit. Les limites de l'ensemble des départements français sont fixées par un décret final, pris le 26 février 1790. À sa création, le département du Bas-Rhin est partagé en 4 districts (Benfeld, Haguenau, Strasbourg et Wissembourg), eux-mêmes divisés en 30 cantons juridiques. Valff est intégré au canton de Barr.
Liberté Égalité Fraternité, Département du Bas-Rhin, District et canton de Barr: municipalité de Valff
Ce qui nous intéresse, ce sont les jugements et sentences proclamées durant cette période. Voici quatre exemples impliquant des habitants de Valff ... et c'est chaud !
Premier jugement
14 mars 1793. Dans la deuxième année de la République française à 14 heures, devant nous Jean Jacob SCHÄFFER, juge de paix du canton de Barr, dans sa maison à Andlau et les citoyens Martin GALLEREY de Reichsfeld, Jean-George DENNEFELD de Zellweiller (Zellwiller) et George Antoine SPITZ de Stotzenheim (Stotzheim), a comparu Diebold BEYER, citoyen de Saint-Pierre qui a porté à notre jugement de trancher entre lui et Samuel MEYER, le juif de Valff.
L'accusateur BEYER présente des documents d'achat d'un cheval pour 42 livres et deux setiers de céréales (1 setier est égal à environ 19,4 litres) à Samuel MEYER de Valff. Le plaignant demande de pouvoir se rétracter de son achat, ce que refuse le vendeur. Le vendeur prétend que la somme devait être réglée en argent sonnant et trébuchant à la fin des récoltes de 1792 avec les profits, mais que l'acheteur avait voulu le payer en assignats, ce qui n'avait pas été convenu.
BEYER propose de payer les 42 livres en 3 assignats de 10 livres, 4 de 5 livres, 4 de 15 sols et 2 de 10 sols avec en plus les 2 Sester (setiers) de céréales dont un setier en grain et le deuxième en orge.
Après délibération, le tribunal décide que les assignats papier sont de l'argent bien valable et que l'acheteur peut payer selon ses possibilités et volonté. C'est ainsi que c'est Samuel Meyer qui sera condamné. Il devra, en sus, payer les frais de tribunal de 6 Schilling et 3 deniers. Money is money, même en papier !
Deuxième affaire
En 1836, l'aubergiste de la maison (n° 77 de l'époque) de la rue du moulin avait pour nom Blaise JORDAN. L'auberge de Materne NEFF se trouvait soit au n°82 actuel ou au n°80, la maison dîmière.
14 mars 1793. Encore un habitant de Valff devant le tribunal ! Il s'agit, cette fois, de Materne NEFF, l'aubergiste de la ferme dîmière. Il est opposé au procurator (1) Xavier KORMANN de Valff. KORMANN accuse l'aubergiste de n'avoir pas tenu compte de l'arrêté municipal de fermer son bui-bui après minuit. Les policiers municipaux Joseph MOKHER et Simon MATHIS ont observé le 17 Hornung (février) que plusieurs clients se trouvaient encore attablés après minuit et que le Wirt leur servait encore à boire. Ils l'on condamné à payer 1 florin d'amende, mais il refusa de payer. La commune représentée par KORMANN impose que la somme soit majorée à 1 florin 5 sous. NEFF reconnait sa faute, mais avance qu'il acceptera de payer que quand les autres aubergistes du village qui commettent le même délit, le seront aussi !
Le tribunal décide, vu que la commune a décrété que plus personne n'avait le droit de fréquenter un lieu de débit de boissons après 22 heures et qu'il soit fermé après 23 heures, que l'aubergiste NEFF soit condamné à payer 1 florin 5 sous au profit de la caisse communale plus 1 florin 6 1/2 sous pour les frais de tribunal et le risque d'une juteuse majoration dans le cas d'un refus de payement.
Troisième affaire
Et on enchaîne les procès ! Toujours et encore des habitants de Valff ! Peut-être pour optimiser le transport des bienheureux accusés ? Sur la sellette sont maintenant assis l'aubergiste Blaise LUTZ et Antoni REIBEL. C'est encore le procurator de Valff, Xaveri (Xavier) KORMANN qui les traîne devant le tribunal. LUTZ exploite l'auberge Zum Ochsen (au bœuf). La guinguette se trouve au n°103 de la rue Principale.
Maisons n°101 et 103 de la rue Principale
Décidément ! Ce mois de février (Hornung) a été le mois des excès ! Le 24, les deux accusés en sont venus aux mains. Ils se sont d'abord "drichtig gescholten" (copieusement injuriés) puis "abgeschlagen" (défoncés, descendus). C'est le REIBEL qui a commencé. Il a "blutig geschlagen" (frappé jusqu'au sang) le pauvre Lutz. La police communale demande 3 florins de dédommagement et huit jours de "Türenstrafe" (litt. peine de porte, exposition au pilori). Mais vu qu'il a également été frappé, la demande de sentence de LUTZ est réduite à 1 denier 5 sous et 24 heures de carcan. Ce dernier reconnait avoir été blessé "blutige Narbe" (cicatrice sanguinolente) mais objecte que ce n'était pas lui qui avait commencé et espère être gracié de la peine du pilori.
REIBEL, quant à lui, reconnait sa faute, mais demande la clémence du tribunal parce que lorsqu'il a vu le sang, il a tendu à LUTZ un tissu imbibé d'eau pour arrêter l'hémorragie. Le tribunal déclare un non-lieu pour LUTZ, mais condamne Antoni REIBEL a une amende d'un denier pour la caisse communale plus 8 deniers 9 sous pour les frais du tribunal. Il sera en outre exposé une heure dans le pilori de Valff. Ce dernier était installé à côté de la maison communale, qui servait également d'auberge où se sont statués les jugements ci-contres, aujourd'hui à l'endroi probable de la cour et de l'école des filles.
Montignac-Lascaux, exposition du syndicat d'initiative (images : Gallica)
Sentence numéro quatre
Le quatrième procès du jour est encore initié par le (procurateur) communal Xavier KORMANN à l'encontre de François Joseph HIRTZ. Ce dernier est accusé de ne pas respecter un accord qu'il aurait conclu avec la commune le 27 février 1791, après enchères au moins demandant, de mener les taureaux communaux dans les prés de la municipalité. KORMANN demande une peine au pilori, l'acquisition de deux (véritables) taureaux aux frais de HIRTZ pour frais de pertes et l'acquittement du contrat.
Frais remboursés par la commune à Xavier KORMANN, agent national, pour avoir accompagné des citoyens (au tribunal) en 1793
HIRTZ répond que l'ancien Conseil municipal lui doit encore entre 15 à 18 deniers, ce que la nouvelle ne veut honorer. Pour ce motif, il considère que le contrat est nul et non avenu. KORMANN réfute que cela ne concerne en aucune façon le nouveau conseil et que HIRTZ n'a qu'à s'adresser aux membres de l'ancien (Le nouveau conseil est administré par des amis de la cause révolutionnaire, à la tête, le Maire Jean-Michel JORDAN qui, pour le fun s'est fait, tout à coup, appeler JOURDAIN. S'était-il inspiré du célèbre révolutionnaire Mathieu JOUVE dit : JOURDAN coupe-tête ? Pas de chance pour lui, on lui a coupé la sienne en 1794).
Signature du Maire JOURDAIN
Le tribunal condamne HIRTZ à 5 deniers 3 sous et au pilori s'il ne remplit pas son contrat envers la commune. Par contre, cette dernière a l'obligation de lui payer les arriérés de 1792.
Compte de la commune de l'exercice de 1793 avec la mention « Payé à Joseph HIRTZ pour indemnité qu'il avait payé l'année 1792 au pâtre, dont le montant n'a pas été porté au paragraphe de son compte, 15 deniers 60 sous »
Nous naviguons en pleine période révolutionnaire. Quels autres procès peuvent bien avoir eu à trancher nos sages juges du canton de Barr et secoué certains autres citoyens de Valff ? Vous en saurez davantage dans la deuxième partie de notre série.
Le pilori de Valff
Nous n'avons que peu d'éléments au sujet de ce fameux pilori. Des documents attestent que cette peine était administrée soit à Andlau, soit à Valff. Ce fut le cas pour l'affaire François Michel KRIEG qui a été exposé deux heures devant la maison communale de Valff en 1738 [en savoir plus : Les années studieuses].
Dans les textes ci-dessus, l'expression employée pour désigner le pilori ou carcan est "in die Thüren und in die Kästen condemniert" (litt : condamné dans les portes et dans les caisses). Les Kästen font références à l'amende à payer à la caisse communale, die Thüren, au pilori. Il s'agissait vraisemblablement d'une construction rudimentaire, mais tellement dégradante. Imaginez être enfermé dans une position humiliante, ne serait-ce qu'une heure, sur la place de l'école actuelle (où se trouvait la maison communale) à la vue des passants et voisins, avec un écriteau relatant vos faits glorieux ! 😨 Vaccination efficace pour toute envie de récidive !
(1) La loi du 14 décembre 1789 supprime les anciennes communes et les remplace par des municipalités élues. Désormais, toutes les assemblées d’habitants, quelle que soit leur importance, ont la même organisation municipale, avec un maire et des conseillers élus à leur tête. On leur donne le nom de commune." Cette nouvelle législation consacre la démocratisation des nouvelles municipalités, certes limitée par les règles étroites du régime censitaire, mais qui rompt avec les deux principes majeurs de l’absolutisme : l’élitisme et la soumission".
Le procureur communal est un officier public, dont la fonction est de comparaître en jugement pour les parties, d'instruire leurs causes, instances et procès, et de défendre leurs intérêts. Ni dans la Constitution du 3 septembre 1791, ni dans celle du 24 juin 1793, le terme de "procureur de la commune" n'apparaît.
La loi du 14 décembre 1789, régissant l'organisation des administrations communales, met en place le titre et la fonction de ce représentant du roi et des habitants auprès de l'administration municipale. Déjà supprimé de fait par le décret du 14 frimaire an II-4 décembre 1793, par l'institution des agents nationaux, le "procureur de la commune" est remplacé, dans la Constitution du 5 fructidor an III-22 août 1795, par le Commissaire du Directoire exécutif près la municipalité de canton.
Sources :
- Archives départementales du Bas-Rhin
- Gallica
Autres épisodes :
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (première partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (deuxième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (troisième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (quatrième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (cinquième partie)