
- Écrit par : Jacques FENOUILLERE
- Affichages : 18
Savoureuse anecdote de Jacques FENOUILLERE, du QG 97 du Régiment d'artillerie Nord Africain (RAMA), sur les « espions » du Mont Sainte-Odile. Souvenirs, nous sommes en janvier 1945.
Le 19 janvier 1945, la 2e DB était revenue en Alsace depuis la Lorraine pour défendre Strasbourg qui était menacée par la contre-attaque allemande de l'opération Norwind. Le QG 97 de la Division s'était installé, par sécurité, un peu en arrière du front, à Obernai. Il faisait très froid (-20°) et une épaisse couche de neige recouvrait la plaine d'Alsace et la montagne vosgienne très proche. L'aspirant CORTADELLAS était officier de liaison moto sur Harley-Davidson baptisée « Où est Rommel ? », sous les ordres du colonel BARBOTEU. J'étais le conducteur habituel du commandcar du colonel mais utilisé plus souvent comme agent de liaison avec les unités en opérations sur le front avec la Jeep « Toi et Moi 2 ». Cette Jeep était une Willys-Overland pratiquement neuve, moteur de 60 CV, les 4 roues équipées de chaînes pour la neige.
Dans la nuit du 21 janvier, des signaux lumineux émanant d'une maison d'Obernai, en direction de l'Allemagne, avaient été repérés par nos camarades d'une batterie des FTA protégeant le PC du Général. Ces derniers avaient tiré sur le toit de la maison pour la situer dans la ville et la neutraliser au matin. Le lendemain, dans la nuit, des signaux lumineux plus soutenus étaient apparus à nouveau depuis la montagne vosgienne au-dessus d'Obernai. Le G2, le 2e Bureau de notre Division, alerté aussitôt par les FTA, avait situé l'origine des signaux au Mont Sainte-Odile, à 7/800 m d'altitude. Le Général LECLERC, tenu au courant de la situation, avait décidé d'envoyer immédiatement une Jeep armée en reconnaissance dans la montagne.
L'aspirant CORTADELLAS fut chargé par le colonel BARBOTEU d'organiser l'opération avec ma Jeep. Après une vérification soutenue de mon véhicule sur le plan technique et armement complet, nous partîmes le matin du 22 janvier en direction de la montagne, par Ottrott. Au dernier moment, nous avions chargé dans la Jeep une douzaine de rations K US. En effet, des habitants d'Obernai pensaient que les signaux, aperçus dans la nuit, étaient des signaux de détresse, ces derniers ayant aperçu de nombreux réfugiés se dirigeant vers la montagne qui fuyaient devant l'avance allemande.
Après Klingenthal, sur la D426, la situation devint difficile devant l'épaisse couche de neige tombée encore dans la nuit. La Jeep peinait dans la dure montée vers Sainte-Odile. Une première congère nous bloqua, après 3 km, dans un virage. Heureusement, nous avions emprunté deux grandes pelles aux cantonniers d'Obernai avant de partir. Après une bonne heure d'efforts, la Jeep passa la congère et nous continuâmes difficilement notre chemin, très lentement, car l'embrayage commençait à sentir le chaud. Nous aperçûmes enfin, au loin, dans la brume, les bâtiments du couvent Il nous restait environ 300 à 400 mètres et deux virages à négocier pour atteindre le sommet et la couche de neige faisait un épais tapis blanc nous empêchant de situer la route correctement, d'autant plus que la neige recommençait à tomber.
Je stoppai alors la Jeep en disant : « Mon lieutenant, nous ne sommes plus sur la route, je descends voir ! ». A ce moment précis, en posant mes deux pieds sur la neige, je fus aspiré par la congère et je disparus dans le ravin, avec un coup de chance, car mes deux bras étaient en l'air. La cheminée faite par mon corps en tombant me permettait de respirer presque normalement mais je pensais que j'étais foutu.
Quelques minutes après, j'entendis mon lieutenant me crier : « Surtout, ne bouge pas et plie les doigts de tes mains ! ». Alors, je sentis des doigts accrocher les miens et le miracle se produisit, je remontais doucement vers le haut. Ma tête étant à l'air libre, j'aperçus mon lieutenant accroché par les pieds aux branches du volant de ma Jeep et pendant complètement sur le côté ; cette dernière commençait à bouger sérieusement. J'avais réussi à me tourner doucement vers mon véhicule en me tenant à son avant-bras et à accrocher une main à l'échancrure de la caisse, devant mon siège, pour soulager mon sauveteur. La Jeep avait seulement 3 roues sur la route et continuait de remuer fortement. Je criai alors à mon lieutenant : « Passez vile à droite, je vais m'en sortir seul, la Jeep va basculer dans le ravin, faites vite ! ». Je fis un dernier rétablissement sur le ventre et me retrouvai devant mon volant en soufflant comme un phoque.
Je repris mes esprits complètement, je remis en route le moteur, avec le réducteur, en marche arrière dans mes traces. La Jeep accrocha et nous revînmes sur le milieu de la route. Nous étions silencieux tous les deux. Je remerciai alors chaleureusement mon lieutenant de ce sauvetage inespéré. Nous décidâmes de reculer dans nos traces et d'abandonner l'opération de secours. J'avais du schnaps dans ma gourde et chacun but une gorgée pour se réconforter.
Le lieutenant JACQUOT (avec le calot), le Colonel BERGER et André MALRAUX, hiver 1944 au Mont Sainte-Odile
Nous entendîmes alors des cris en provenance du couvent, des gens descendaient de la montagne dans le brouillard. Bientôt, nous étions entourés par un groupe d'Alsaciens qui criaient : « Deux Leclerc, c'est formidable ! ». Ils avaient remarqué l'insigne de notre Division sur le bandeau de notre Jeep, ils nous congratulaient, nous embrassaient en nous remerciant d'être venus à leur secours. Ils avaient entendu le bruit de notre moteur et senti que nous étions en difficulté. Nous laissâmes la Jeep sur la route. Les grosses boîtes de rations K chargées à Obernai, qui nous avaient certainement sauvé la vie en lestant la panière de la Jeep, furent prises en charge rapidement par nos amis du couvent. Nous partîmes, avec eux, avec de la neige souvent jusqu'au ventre, et nous apprîmes qu'une centaine d'Alsaciens, habitant pour la plupart Strasbourg, s'étaient réfugiés au couvent et que les vivres étaient épuisés depuis 48 heures.
Arrivés au couvent devant le grand portail, assez fourbus, éreintés, la Mère Supérieure, entourée de ses soeurs et de nombreux réfugiés, nous remercia chaleureusement, nous fit servir des boissons chaudes puis nous donna une médaille bénie de sainte Odile en souvenir. Nous étions très émus par cet accueil. Après une pause pour récupérer, le ciel devenant très sombre et laissant présager de nouvelles chutes de neige, nous entreprîmes la descente du retour accompagnés par quatre jeunes réfugiés venus nous aider, car nous étions montés au couvent avec nos mitraillettes, nos chargeurs de secours, nos grenades que mon lieutenant n'avait pas voulu laisser dans cette Jeep isolée dans la neige. Nous retrouvâmes alors notre valeureux véhicule laissé sur place. La descente en marche arrière sur plusieurs kilomètres s'opéra très lentement, avec prudence, toujours dans nos traces qui commençaient d'ailleurs à s'effacer par la neige. Je fis demi-tour, après un sondage de la route, dans un recoin de sablage.
Notre retour à Obernai fut salué avec soulagement par notre Colonel qui commençait à se faire du souci pour nous, car nous étions déjà en fin d'après-midi. Mon lieutenant fit son rapport au Colonel sur notre expédition de la journée. Le Général LECLERC décida de faire parvenir au couvent, dès le lendemain, un GMC plein de vivres avec une escorte de soutien pour l'ouverture de la route. Je pense, avec le recul des aimées, que mon lieutenant, du fait de sa force peu commune, de sa formation Commando, de son esprit de sportif accompli avait réussi ce sauvetage inespéré. Le destin a voulu que je puisse lui payer ma dette de reconnaissance pendant la campagne d'Allemagne, en mai 1945, sur le lac Ammersee, à Diessen, en Bavière, en le tirant par les pieds à deux reprises afin qu'il ne soit pas aspiré par l'hélice babord de notre grosse vedette de sauvetage. C'est une autre histoire. Cette tempête provoqua la mort de 18 soldats de la 2e DB. Voilà pourquoi nous étions des frères d'armes, mais aussi presque des frères, par le sang évité.
Sources :
- Extrait de « La Lettre du 40e RAMA » n°50, 15 Juin 2007
- Photo : www.67400.free.fr
- L' hiver glacial de 1684
- L'hiver rigoureux et la comète de Newton dans le ciel d'Alsace en 1680
- L'appel au secours du soldat Valentin SCHAHL
- Il y a 110 ans : l'aviation
- Il y a 110 ans : les attractions
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 14 au 20 septembre 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 7 au 13 septembre 1914
- Il y a 110 ans débutait la Première Guerre Mondiale : semaine du 31 août au 6 septembre 1914
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 8)
- Les Dernières Nouvelles d'Alsace 1942-1952 (Partie 7)