Dans la première partie de notre série des jugements post-révolutionnaires, nous avons fait la connaissance avec le pilori de Valff. Voyons maintenant la suite d'autres jugements qui ont provoqué sûrement quelques crampes intestinales des concernés !
Récapitulons. Le 14 mars 1793 est le jour des audiences à Andlau. À huit heures du matin, le nouveau tribunal post-révolutionnaire s'est assemblé pour trancher les affaires litigieuses et pénales des citoyens du canton de Barr. Représentent le tribunal : Jean-Jacob SCHAEFFER, juge de paix du canton de Barr, les citoyens Martin GALLEREY de Reichsfeld, Geog DENNEFELD de Zellwiller et George-Antoine SPITZ de Stotzheim.
Se présente Xavier KORMANN, procurateur de la commune de Valff (voir dans la première partie) qui accuse Blaise HIRTZ, Blaise CHRIST, Franz Antoni ILLER et Mathéus DOTTER, quatre jeunes hommes célibataires du dit Valff de ne pas avoir tenu comptent de l'interdiction des représentants de police communaux de ne plus fréquenter l'auberge de Materne NEFF, le Meyerwürth (auberge de la ferme dîmière). Ils auraient non seulement trinqué jusqu'après minuit le 17 février, mais, en plus, auraient refusé de payer l'amende chacun, de 5 deniers 6 sous. KORMANN invoque et demande la "solidarité" du tribunal. Les quatre jeunes, sans doute impressionnés et effarouchés, reconnaissent les faits et implorent la clémence du tribunal.
Jugement : amende de 1 denier chacun payable à la caisse communale, plus les frais du tribunal de 1 denier et 8 sous et 7 1/2 pfennig (cela fait un paquet de verres de vin qu'ils ne pourront pas boire !)
Affaire Jesel BARACH de Valff contre Auguste PFLEGER de Bourgheim
L'accusateur avance que le 29 Herbstmonat (septembre) 1790 avoir vendu au PFLEGER, un veau brun d'un an au prix de 5 deniers et 1 setier de grains. La première échéance de payement en argent était convenue au jour de carnaval 1791 et le payement en grain à la St-Michel. Le règlement n'ayant pas été effectué dans les temps et formes pour une vague histoire d'allaitement à la vache mère, BARACH demande un arbitrage. Son vœu sera suivi par le tribunal.
Affaire François Mathis KLIPFELL contre Samuel MAUCHEL
13 mai 1793. Le tribunal s'est déplacé cette-fois dans la maison communale de Stotzheim. Se présentent François Mathis KLIPFELL contre Samuel MAUCHEL, le juif de Valff. KLIPFEL déclare qu'il y a environ un an, il a vendu à MAUCHEL un cheval hongre (châtré) noir pour 54 deniers. Le payement de 24 deniers et 3 setiers de grains ont déjà été effectués, mais pour ce qui est du reste des 30 deniers, MAUCHEL traînerait des pieds. MAUCHEL de Valff affirme qu'il est prêt à solder le payement, mais objecte qu'il s'est heurté au barrage des langues. L'accord ayant donc été officialisé, il est écrit que KLIPFEL a signé en allemand et MAUCHEL, le juif, en hébreu.
Affaire : François Joseph MEISTRATZHEIM de Valff contre Jeysel BARACH de Valff
31 mai 1793. En présence de juge de paix Jean-François Schaeffer et de Dominique BARTHEL et Philipp WINDHOLTZ d'Eichhoffen a comparu François Joseph MEISTRATZHEIM de Valff et a demandé jugement contre Jeysel BARACH le juif, du dit Valff. MEISTRATZHEIM déclare qu'il a contracté à BARACH le 30 août 1780, un emprunt de 36 Gulden pour 7 ans, valeur de Strasbourg, avec des intérêts à 5 % d'un total de 12 Gulden 6 Schilling, soit un total général de 48 Gulden 6 Schilling restants. Il a de nombreuses fois voulu rembourser, mais s'est heurté à la volonté de BARACH qui menaçait de porter l'affaire devant les tribunaux avec l'espoir de gagner encore des frais supplémentaires. Le problème, c'est qu'il envisage de rembourser en titres d'assignats, ce que refuserait BARACH. Ce dernier se défend avec des explications comme quoi ce ne serait pas 7, mais 10 ans et qu'il y aurait un acte enregistré auprès du notaire d'Obernai.
Acte notarial auprès du notaire KOENIG d'Obernai du 31 août 1780 que BARACH a prêté la somme de 36 Gulden avec 12 Gulden d'intérêts, le tout remboursable dans 1 an
Après consultation réciproque, les deux protagonistes sont arrivés à l'accord : BARACH va accepter le remboursement, que le remboursement sera officialisé par une quittance inscrite chez le notaire et que si éventuellement le Christ (chrétien) avait trop payé d'intérêts au Jud (juif), il devra rembourser le surplus. Voilà que tout est bien et fini bien ! Les bons comptes font les bons amis ... ou pas !
Passons à une affaire non chevaleresque
Valff est un village rural, ce n'est donc pas surprenant que des ventes d'animaux soient la cause de quelques litiges. Les marchants juifs s'étant spécialisés dans le commerce d'animaux, ce n'est pas un hasard si nous avons à faire, aujourd'hui, avec un autre marchand : HEUMANN WEYL, fils de Lazarus HEUMANN de Muttersholtz. Il est en litige avec deux agriculteurs célibataires de Valff.
3 juin 1793. Sont appelés à la barre (ou plutôt au bistrot) les deux frères, Franz Michel et Franz Joseph SAAS. Surprise ! L'audience se déroule cette fois ... à Valff au Gasthaus zum Grünen Baum (restaurant à l'arbre vert, nouveau nom d'une enseigne inconnue à ce jour !) Les assesseurs du tribunal sont Jean VÖGEL le jeune, Antoni JORDAN, Georg et Michel ROSFELDER et Georg WERCK, tous des citoyens de Valff ! Voyons si le jugement va se dérouler équitablement ...
L'accusateur HEUMANN prétend que le mercredi 22 mai 1793, il aurait proposé aux frères SAAS de leur acheter leur cheval brun congre (cheval castré) qui souffrait d'une plaque éruptive pour la somme de 75 Gulden valeur de Strasbourg. Pour entériner le marché, il leur a payé en acompte de 7 Schilling, 6 Pfennig ce qu'ils auraient accepté. Lorsqu'il a voulu chercher l'animal, les intéressés sont revenus sur la vente et ont refusé de lui remettre le canasson et encore moins un payement en assignats. Il demande dédommagement !
Franz Michel SAAS dit, en son nom, mais aussi au nom de son frère Franz Joseph, qu'il n'a jamais discuté, ni marchandé personnellement avec le juif Heumann qui a mauvaise réputation, en passant ! Son frère étant encore mineur, il ne peut être entendu par le jury. Il a entendu que c'était ce dernier qui aurait discuté avec le juif. Le cheval appartient en communauté avec son gendre qui n'a pas été consulté. L'acompte ne lui a pas été remis en main propre, mais le juif l'aurait jeté sur la table de leur maison et se serait tiré !
Pour prouver qu'il n'est pas d'accord avec la vente, c'est qu'il a remis l'acompte au maire du village avec demande de le restituer. Il a requête au tribunal d'annuler la plainte et les indemnités.
Puis c'est au tour de HEUMANN de se défendre. Lui, affirme qu'il a négocié avec les deux frères, qu'il leur a remis un reçu et qu'ils l'auraient signé.
Le tribunal décide après consultation : « Après avoir encouragé les deux parties à résoudre leur litige à l'amiable, ce qu'ils ont refusé, nous les avons conseillés de porter le jugement devant les tribunaux compétents ». Un jugement sage et impartial, bravo Messieurs ! 👋
Vous avez trouvé les histoires passionnantes ? Alors ne manquez pas le prochain épisode du tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle.
Sources : archives départementales du Bas-Rhin
Autres épisodes :
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (première partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (deuxième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (troisième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (quatrième partie)
- Le tribunal du canton de Barr au XVIIIe siècle (cinquième partie)