
- Écrit par : André VOEGEL
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La tradition est la transmission, par voie orale ou écrite, de connaissances, de souvenirs, de croyances, de coutumes et de pratiques perpétrées de générations en générations. Les traditions relatives à la religion sont des témoignages différents, mais complémentaires à ceux transmis par les textes sacrés et les écritures saintes. J'ai pensé qu'il serait intéressant de transmettre aux générations futures l'ensemble de ces connaissances, afin de sauvegarder le patrimoine culturel régional. Les témoignages qui suivent ne se veulent pas exhaustifs pour toute la province d'Alsace, chaque village ayant ses propres spécificités, mais ils reflètent assez fidèlement l'ensemble des traditions régionales. Souvenez-vous des fêtes qui suivent celles de Pâques ...
Le Premier Mai
C'est la fête du travail, la journée du muguet où l'on vénère également Saint Joseph l'artisan, et cela fait longtemps que c'est un jour chômé. Par contre ce n'était pas le cas avant la guerre, bien au contraire. Ce jour-là à Strasbourg, les organisations syndicales manifestaient, drapeaux rouges en tête. L'église voyait ces manifestations d'un très mauvais œil. Ce qui l'irritait par-dessus tout c'était les drapeaux rouges, symboles du communisme et de l'anticléricalisme. H n'était donc pas question de célébrer la journée des communistes ! Pendant de longues années, l'église a fortement imprégné de sa doctrine la population chrétienne, surtout en milieu rural. Après la guerre lorsque tout l'occident commémorait le ler mai comme journée de la Fête du travail, l'église a trouvé la parade, en instaurant ce jour la fête de St Joseph, artisan et époux de la Ste Vierge Marie (alors que St Joseph est normalement fêté le 19 mars).
Les Rogations
Les lundi, mardi et mercredi du 5e dimanche après Pâques, c'est à dire les trois jours avant l'Ascension, on célébrait les rogations. C'est à Saint Mamert, évêque de Vienne dans le Dauphiné, que l'on attribue l'institution des rogations, ou Litanies Mineures, vers 470. Mais ce n'est qu'en 816 que l'église adopta cet usage qui dés lors, se généralisa jusqu'à retomber en complète désuétude à Valff, vers 1965. La coutume voulait que chaque matin de ces trois jours, vers 6 heures, une procession partait de l'église avec croix et bannières, pour se rendre dans les champs en chantant la litanie des Saints et leurs invocations et en priant le chapelet. En fonction de la date de Pâques, les rogations se situaient en principe, au mois de mai, lorsque les cultures étaient déjà bien développées. Le principe des rogations consistait à invoquer les saints pour préserver les hommes des fléaux menaçant les récoltes et pour les protéger contre les tremblements de terre, la peste, la famine, la guerre, la foudre, la grêle et les tempêtes. Chaque matin, on se dirigeait vers une autre partie des champs, de sorte qu'à l'issue du 3e jour on avait visité tous les principaux « lieux dits ». La ferveur chrétienne n'était pas toujours de mise, chez tous les participants. Cette procession donnait souvent l'occasion de critiquer certains agriculteurs, dont les parcelles n'étaient pas au "top niveau". Au retour de la procession, la vraie messe commençait, pour se terminer à 8h, l'heure de la rentrée des classes des enfants qui participaient massivement à ce culte.
Les Dimanche et Lundi de Pentecôte
La Pentecôte est célébrée le 7e dimanche après Pâques. Pour les juifs, la Pentecôte est une fête d'action de grâce pour les moissons. Pour les chrétiens, elle célèbre la descente de l'Esprit-Saint sur les disciples de Jésus, au Cénacle. Comme pour le lundi de Pâques, le lundi de Pentecôte était la journée traditionnelle des randonnées en vélo. J'ai en mémoire, alors que j'étais enfant, une promenade jusqu'au Holzbad (entre Valff et Westhouse) en compagnie de mes parents. Je me souviens que nous nous étions restaurés à l'auberge du Holzbad où j'avais été gratifié d'une friandise vraiment spéciale, "du miel en rayons", c.à.d. du miel non extrait du gâteau de cire des abeilles. Le miel servi en rayons était une spécialité du Holzbad et beaucoup de gens venaient en, vélo pour la goûter.
Le Dimanche de la Trinité
La liturgie de la Trinité remonte au XIVe Siècle. On célèbre ce jour la gloire du Dieu, "un en nature", et "trois en personnes". Pas facile à comprendre ! Toujours est-il que ce jour, premier dimanche après Pentecôte, l'église procède à la bénédiction du sel, qui a probablement été le premier condiment de l'homme. A travers les siècles, il a conservé le rang d'épice la plus importante car l'homme comme l'animal a besoin d'un apport régulier en sel. Chaque famille apporte donc à la messe de ce dimanche, un verre ou une tasse rempli de sel. Le récipient contenant le condiment porte une petite décoration florale composée soit de roses, soit de pensées. Après sa bénédiction, le sel sacré fait l'objet d'une conservation particulière dans les maisons. On n'en use que modérément et ce n'est qu'aux occasions graves, maladies dangereuses pour l'homme ou les bêtes, qu'on en administre une petite quantité destinée à une guérison rapide.
La Fête Dieu
La fête Dieu, ou du très saint Sacrement, fut instituée, au XIIIe Siècle à Liège et célébrée le jeudi après le dimanche de la Trinité. Depuis le concordat de 1802 sous Napoléon Ter, la solennité a été transférée au dimanche suivant.
Après la grande messe, la procession du Saint Sacrement traverse le village. Toute la population y participe, les pompiers en uniformes, la chorale et la musique municipale interprétant des airs sacrés. Sous le baldaquin porté par quatre membres du conseil municipal, le prêtre en grand apparat, porte l'ostensoir avec le saint Sacrement. Pendant la procession, les fidèles chantent des hymnes, des cantiques et des psaumes à la gloire du Saint Sacrement. Sur le parcours de la procession à travers tout le village, soit plus de deux km aller et retour, le prêtre s'arrête devant les quatre autels prévus. Pour rehausser la fête, chaque maison est pavoisée de toutes sortes de drapeaux, aux couleurs pontificales, jaune et blanc, et de drapeaux tricolores ainsi que d'une décoration florale aux fenêtres. Autrefois, sur l'ensemble de l'itinéraire, la route était bordée de chaque coté, de branches vertes espacées de 3 à 5 m, la route elle-même étant recouverte d'une couche d'herbe et de fleurs coupées. (Plus tard en 1967, lorsque les canalisations et la station d'épuration furent mises en place, le déploiement d'herbe sur la chaussée fut interdit par la municipalité, pour éviter tous risques de bouchage des tuyaux). Marchant devant le prêtre portant l'ostensoir, deux servants de messe éparpillaient à rythme régulier, des fleurs de toutes variétés. La consommation en fleurs était très importante (vu l'importance du parcours), et pendant toute la semaine précédant la fête, les servants s'employaient à les collecter. Cette procession perturbait fortement la circulation routière, et il serait impensable de la réaliser de nos jours dans les mêmes circonstances. Les 4 autels répartis sur le parcours devaient rappeler les quatre évangélistes - Matthieu - Marc - Luc - et Jean.
Le célébrant déposait l'ostensoir sur chacun des autels et lisait un évangile dont l'auteur était l'évangéliste à qui l'autel était dédié. A l'issue des prières, le célébrant donnait la bénédiction avec l'ostensoir. Au coin de la rue du moulin et de la route principale, juste devant l'entrée de la propriété de la maison n°91, s'élevait un des quatre autels que plusieurs familles avaient en charge d'édifier. Notre famille en faisait partie et dès mon jeune âge, je pris part à cette édification. Quelques jours avant la fête, le propriétaire de la maison n°91, Charles RIEGLER acheminait une dizaine de sapins pour la décoration latérale. A partir de 6h du matin, les hommes bénévoles se retrouvaient sur le chantier pour planter les sapins et monter l'autel. Il fallait enfoncer des trous dans la chaussée pour planter les arbres, ce qui était assez pénible. Comme la tradition le voulait encore à cette époque, une ou deux bouteilles de schnaps assuraient la force et le moral des exécutants. Au courant de l'après-midi nous les enfants, nous ramassions l'herbe séchée et les branches décoratives de la route, pour fabriquer des huttes d'indiens. La procession était précédée par deux grandes filles vêtues de robes blanches, tenant chacune dans la main une houlette magnifiquement décorée et qu'on appelait les bergères. D'ailleurs pour cette circonstance, toutes les filles portaient des robes blanches et une couronne sur la tête ainsi qu'une petite corbeille en bandoulière, dans laquelle se trouvait l'agneau pascal, un petit agneau de fabrication artisanale. Cet agneau doux, inoffensif; innocent, mystique et immaculé était le symbole de Jésus-Christ. La Fête-Dieu continuait d'ailleurs le dimanche suivant avec une procession plus courte et sans autel.
La Bénédiction des couronnes
Une tradition complètement tombée en désuétude est la bénédiction des petites couronnes aux offices des jeudi, vendredi et samedi précédents le deuxième dimanche de la Fête-Dieu. Ces couronnes, d'un diamètre approximatif de 8 à 10 cm étaient, soit achetées dans le commerce ambulant, soit fabriquées manuellement en papier multicolore ou en petites branches de buis. Elles étaient accrochées dans la maison, les écuries et étables pour préserver les hommes et les animaux de la maladie et surtout des maléfices. Beaucoup de ces coutumes et traditions d'influence religieuse, nous ont été transmises par nos ancêtres. Ils étaient très superstitieux et s'étaient fait de fausses idées de certaines pratiques de religion auxquelles ils s'étaient attachés avec trop de crainte, trop de confiance ou trop de minutie.
La Fête du village ou Massti
Le massti ou messti était, avant la dernière guerre, le point culminant des réjouissances de la communauté villageoise. Le massti de Valff s'étend sur deux dimanches et est lié à un fait religieux, notamment la Saint Arbogast, fêtée le 21 juillet. St Arbogast est le patron de l'église de Bourgheim rattachée à la paroisse de Valff. L'église de Bourgheim étant une église dite de "Simultaneum" sert de ce fait aux deux cultes, protestant et catholique. D'ailleurs mes parents ne disaient jamais le massti de Valff, mais le Burigmer massti autrement dit le massti de Bourgheim. Le dimanche après St Arbogast, le prêtre de Valff disait et dit encore actuellement la seule messe annuelle à l'église de Bourgheim. Avant 1940, le village comptait 5 auberges, dont 4 organisaient le jour du massti un bal gratuit avec un orchestre constitué d'un accordéoniste et d'un batteur. Les stands de sucreries et de jouets, le carrousel et les balançoires s'étendaient à partir de la mairie, sur la moitié du village.
Les orgues de barbarie résonnent encore aujourd'hui dans ma mémoire avec leurs cartons à musique perforés et pliés en accordéon. Je me rappelle nettement lorsque le carrousel était encore actionné par un cheval et l'orgue de barbarie mu par bras d'homme. A cette époque toute la population prenait part à cette fête et passait d'une auberge à l'autre. Dans la rue, il y avait un va et vient continuel jusque tard dans la nuit. Après la guerre, les associations du village prirent en main l'organisation du massti et installèrent des orchestres de grande renommée sous un immense chapiteau. Très vite on constata que cette forme d'organisation était inadaptée et amenait des désordres considérables, surtout à cause de bandes de voyous venues de l'extérieur. Plus tard, lorsque la fête fut organisée dans la salle polyvalente avec service d'ordre à l'appui, on ne put empêcher les frictions entre les bandes. Cela occasionna même la mort d'un président d'association locale qui avait voulu s'interposer lors d'une rixe [en savoir plus : Drame à l'association de pêche]. Dans les années 90, le massti n'attirait plus beaucoup de monde, ni venant de l'extérieur ni parmi la population villageoise.
Autres us et coutumes :
- Histoire de l'artisanat des chapeaux de paille en Alsace, de Strasbourg à l'exposition universelle de 1867
- Chapeau, monsieur le curé !
- Fête de la Saint-Martin
- Les mariages d'antan
- La photo ratée
- La gabelle, l'impôt salé du Roi
- Les sobriquets des villages du Centre Alsace
- La première femme alsacienne pilote de course automobile sur route
- Les ateliers de photographies
- A l'école primaire dans les années 30 (épisode 2)