Que pouvait bien réjouir les filles de Valff en 1915 : Un bal ? Des fleurs ? ou ... peut-être un cantonnement de soldats ?
C'est ce que pensait un jeune appelé du nom de Joseph qui écrivit une carte postale expédiée de sa caserne de Neusals an der Oder à son copain Florent VÖGEL rentré à Valff en permission.
Le texte
Neusals, le 5 juin 1915
Cher camarade
Je ne peux oublier notre amitié. C'est pourquoi je t'envoie cette photographie pas trop réussie. Je n'avais pas encore trouvé le temps de t'écrire, je ferais cela plus-tard. J'espère que vous pourrez rester à la maison (après la permission). Je ne serais pas envieux. Il paraît que vous hébergez de nouveau des soldats ? Si c'est le cas cela fera sûrement le bonheur des filles du village. Je ne peux t'écrire davantage c'est pourquoi j'espère de joyeuses retrouvailles. Meilleures salutations du camarade Joseph.
La carte postale a été tamponné par la Feldpost de la région du fleuve l'Oder. La région faisait partie à l'époque du territoire de Silésie du Royaume de Prusse, aujourd'hui située en Pologne. nous ne connaissons rien de ce Joseph. Par contre son ami Florent habitait au 254, rue principale à Valff. La carte postale indique : n°1, rue Meyer. Florent est né en 1895 et avait donc 20 ans en 1915, l'âge de la conscription. Il est fort probable qu'il se retrouva au 7e Régiment d'infanterie dont le 1er bataillon était cantonné à Neusals.
Vue de Neusals an der Oder vers le début du XXe siècle. A droite, le charme et la convivialité des femmes du cru ...
Mais revenons à nos chères demoiselles de Valff. Le cantonnement de jeunes soldats en bel uniforme était-il une aubaine pour papillonner ? Il faut rappeler que ces braves bougres étaient logés chez l'habitant. A Valff il s'agissait surtout de Hongrois. Quatre d'entre-eux vont d'ailleurs griller dans l'incendie de leur maison d'accueil (voir l'article úgy döntött, egy jászolban). Comment dit-on « Cholie Matemoicelle » en hongrois ? Csinos làny ! Pas très clair tout ça pour une alsacienne, même partisane pour la fraternisation entre les peuples.
Quoi qu'il en soit, en 1918, un pilote d'aéroplane allemand stationné à Stotzheim, voulant atterrir sur la Hagelmatt en vue d'un rendez-vous galant avec la fille du receveur fiscal, écrasera fissa deux soldats hongrois qui participaient à une manoeuvre. Il reprit promptement les airs pour ne pas se faire lyncher par les autres hongrois furax ! L'amour donne des ailes dit-on ...
Cas isolé ? Pensez-vous ! Valff a eu le privilège d'héberger un jeune capitaine au 60 rue Thomas chez la famille LUTZ. Son nom ? Erwin ROMMEL, le futur Generalfeldmarschall connu pour ses prouesses avec l'Africacorps durant la Seconde Guerre. Après sa visite à Valff, son aide de camps épousera une fille de Valff (en savoir plus : Il s'appelle comment l'officier qui loge chez toi ?). Liebe auf den ersten Blick ! Il faut dire que les plus belles filles d'Alsace sont de ... ? Bon, n'abusons quand-même pas !
Photo prise devant le 254 rue Principale où habitait Florent Voegel (c'est peut-être lui devant le portail s'il a oublié de rentrer à la caserne en 1915)
L'enquête
Y-a-t-il eu des naissances suspectes pendant la guerre ? Laissons parler les statistiques :
Années | Nombre de naissances | Filles mères | Epouses accouchant / Mari à la guerre | Mariage avec un soldat |
1913 | 34 | 0 | - | - |
1914 | 31 | 0 | 7 | 0 |
1915 | 23 | 3 | 5 | 0 |
1916 | 13 | 2 | 3 | 0 |
1917 | 11 | 1 | 3 | 0 |
1918 | 12 | 0 | 4 | 0 |
1919 | 25 | 4 | - | 0 |
1920 | 19 | 1 | - | - |
1921 | 20 | 4 | - | - |
Synthèse
- 1913 et 1914 : aucune naissance illégitime. Les naissances dépassent chaque année la trentaine avant 1915 et tombent à une dizaine durant cette année malgré le cantonnement de 14000 bavarois dans la région. Rebond normal en 1919 sans atteindre le pic d'avant guerre
- 1915 : la sage-femme Philomène BIERO née LUTZ, déclare en février la naissance illégitime de la petite Aloisia Magdeleine. Le père originaire du Nord de l'Alsace épousera la mère et reconnaîtra l'enfant en juin 1915. La même année, en juillet, c'est encore une fille prénommée Louisa qui voit le jour. Le père épousera la mère en 1916 et reconnaîtra l'enfant
- 1915 : décembre, naissance de Stefania. Pas de père
- 1916 : Naissance de Ernst dans l'appartement du père de la mère. Naissance de Emile Paul. Le futur mari de la mère donnera son nom à l'enfant en 1922
- 1917 : le 31 août, naissance de Huberus, fils illégitime de la servante Helena. C'est sa maîtresse et employeuse qui déclare la naissance
- 1918 : RAS
- 1919 : Germania est le frère du petit Ernst né en 1916. Et de 2 ! Marcel est le fils de Mathilde sans profession. Marie Florentine sera reconnu par son père en 1920. Ernestine est la fille illégitime d'Emilia
- 1920 : mai, naissance de Marie Joséphine. Le père reconnaît l'enfant en août
- 1921 : c'est une année à fille-mères, les joies de la fin de la guerre sans doute, les années folles ! Antoine Ernst sera reconnu par son père trois mois après sa naissance. François Joseph sera reconnu en 1923. George André sera reconnu en 1924. Marie Barbe Joséphine sera aussi seulement reconnue en 1924
Il faudra attendre 1925 pour voir le premier mariage avec un ressortissant allemand puis 1926. Un vieil amour légitimé ?
Conclusion
Soit les soldats cantonnés dans notre village savaient se tenir, soit nos belles étaient sages. Il est fort à penser que les parents responsables de la pureté de leurs filles menaient bonne garde. Les seuls ratés sont le fruit de pauvrettes comme cela a été le cas tout au long des siècles passés. Chez les plus aisés, il y avait le vieux truc : refiler vite fait le cadeau à un futur mari inexpérimenté et partager la surprenante joie avec un prématuré, n'est pas toujours « fils de » qui croit ou encore accoucher loin des regards inquisitoires ou bien avec les moyens morals, financiers et affectifs, passer entre les mains d'une faiseuse d'anges.
« L'amour est comme la rosée, il tombe sur les roses tout comme sur les bouses de vaches ! ». Proverbe allemand
Sources :
- Archives communales
- Fond personnel