- Écrit par : Rémy VOEGEL
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Revivre les années marquantes de la révolution française vécue à Valff nous permet d'imaginer les angoisses, les incertitudes et les interrogations de nos concitoyens d'alors.
La propagande alliée à l'intimidation et la perspective utopique d'un monde plus juste divisera la population. Les repères d'autrefois s’effondreront ... les espoirs aussi ! Les événements révolutionnaires ont eu de fortes répercutions sur la vie religieuse.
Chronologie
Ci-après la chronologie des dates qui ont marqué la population par la peur, l'inquiétude et la frayeur.
26 décembre 1790
Serment à la Constitution civile du clergé. La Constitution prescrit à tout évêque et curé de prêter serment en présence des officiers municipaux et du peuple. « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse (ou de la paroisse) qui m'est confié, d'être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution civile du clergé, décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi ». Les ecclésiastiques devaient prêter ce serment dans le délai d'un mois sous peine d'être réputés démissionnaires et remplacés d'office. Un ordre du pape PIE VI, en date du 13 avril 1791, défendit de prêter ce serment et ordonna à ceux qui s'y étaient soumis de se rétracter dans un délai de quarante jours sous peine de radiation. Celui qui s'immisçait dans ses anciennes fonctions, était poursuivi comme perturbateur du repos public. La loi du 26 août 1792 monta d'un cran et condamna à la déportation tous les religieux qui n'avaient pas prêté serment.
29 janvier 1793
Les élus prennent note de la demande de la citoyenneté Barbara KAST, 54 ans, ancienne religieuse du couvent Sainte Barbe dissous de Strasbourg a être inscrite citoyenne de Valff. Elle habite chez François Joseph SAAS dans la rue Haute. Elle signe d'une croix ne sachant ni lire ni écrire.
22 mars 1793
Les élus attestent, après enquête auprès de la population, qu'il n'y a plus de religieux non jureur cachés à Valff. L'ancien curé André SCHECK ayant fuit Valff pour le pays de Bade (Allemagne). Toute personne coupable d'hospitalité envers un religieux non jureur est passible d'une amende de 500 schilling.
28 juin 1793
Le 28 juin 1793, Sébastien LASSIAT est nommé prêtre jureur à Valff. Ancien vicaire de Dambach, il remplace le curé André SCHECK réfractaire et en fuite (pour d'autres détails sur Sébastien LASSIAT, je vous invite à voir le livre de Valva à Valff, pages 76 à 78).
23 septembre 1793
Les cloches des édifices religieux sont démontées et envoyées à Gertwiller pour être fondues. La commune emprunte pour l'achat de 4 chevaux destinés à l'armée.
12 novembre 1793
Le juge de paix d'Epfig visite la commune pour y mettre de l'ordre. Depuis ce jour, mise en place du calendrier républicain dans les registres. Démontage des croix dans les champs et au cimetière. Collecte des habits liturgiques et ustensiles religieux en or, argent et cuivre qui sont envoyés à Strasbourg : 1 ostensoir avec ses pierres précieuses : poids 7 livres 19 loths soit 3,800 kg, 2 calices de 1,096 kg, 2 bols avec soucoupe de 1,160 kg, 1 encensoir et sa coupelle de 1,496 kg. Dans les 24 heures, chaque citoyen doit offrir deux chemises, son manteau, les riches d'avantage.
Sébastien LASSIAT
Le lendemain de la venue de l'accusateur public Eulogue SCHNEIDER à Barr, Sébastien LASSIAT est nommé par ce dernier commissaire au bureau du district de Barr. Pour marquer l'événement, vexé par le manque de zèle révolutionnaire des habitants, il rassemble un quart des habitants et organise un feux de joie au milieu du cimetière avec l'autel de la chapelle Sainte Marguerite. Dans un discours pathétique, il informe son retrait en tant que prêtre, fait l'apologie de l'esprit révolutionnaire puis demande a être considéré maintenant comme un humble citoyen. Après avoir rejoint les rangs de SCHNEIDER qui avait déjà tranché maintes têtes, la terreur a dut s'emparer de certains habitants anti-révolutionnaires. La guillotine allait-t-elle être installée à Valff après avoir rougi les pavés de la place de l'hôtel de ville de Barr et d'Epfig ?
15 décembre 1793
Collecte de vieilles chaussures pour l'armée, la commune doit livrer 5 paires neuves. Une lettre doit être lue aux citoyens. Elle sera d'abord retranscrite par le secrétaire de mairie sur le registre des délibérations du conseil municipal et se compose comme suit : « Frères et amis républicains, vous avez apprécié hier la victoire de la raison sur l'erreur et constatés ses bienfaits. Un honorable jeune homme, un ancien religieux a, par amour pour la république française, quitté sa maison familiale et son héritage, a résisté à la furie des voix fanatiques et suivi le son de la raison. Il a demandé la main d'une ravissante jeune fille et démontré son éclatante lucidité par un choix judicieux parmi toutes les filles de la ville de Barr. Il a offert son cœur à une pauvre mais courageuse enfant, fille d'un père exemplaire qui a également offert sa vie pour la liberté et l'égalité. Amis, que ressentez-vous, quand ... ».
Le texte s'arrête net au milieu d'une phrase non achevée comme si le secrétaire avait compris tout à coup la futilité du rédigé. A t-il appris la nouvelle ? Et pour cause ! Il est question ici d'un discours dithyrambique à la gloire de l'accusateur publique Eulogue SCHNEIDER, qui, la veille, avait épousé une fille de Barr : Sarah STAMM, âgée de 22 ans, fille de Jean Frédéric STAMM, chef du bureau d'imposition de Barr (la biographie d'Eulogue SCHNEIDER est relatée plus bas).
Marié à Barr le 12 décembre, il fit une entrée fracassante le jour même à Strasbourg flanqué de la Garde Nationale barroise. Les soldats tirant sabre au clair célébrèrent les mariés installés confortablement dans un carrosse richement décoré et tiré par six vaillants chevaux. Les joyeux tourtereaux étaient loin de s'imaginer les événements imminents qui allaient refroidir leur ardeur romantique. Arrêté le lendemain de sa nuit de noces, on attacha le galant Eulogue de 10 heures du matin à 14 heures de l'après midi sur l'échafaud installé sur de la place d'Armes (place Kléber) pour lui faire ... « expier l'insulte faite à la République naissante ». Il sera finalement décapité à Paris le 10 avril 1794. Ses derniers mots soulignent toute sa hargne révolutionnaire : « On ne saurait être plus complaisant avec les ennemis de la République qu'en me faisant mourir ! ». L'ancien curé LASSIAT aurait-il fait les frais de cette purge intestine ? Lui aussi sera arrêté en juillet 1794 et déporté (voir de Valva à Valff, pages 76 à 78) puis s'évadera.
3 novembre 1794
Le 3 novembre 1794, la commune portera plainte pour non remboursement d'un prêt de 400 livres qu'elle lui avait octroyé en octobre 1793. LASSIAT, pointant aux abonnés absents, l'affaire tomba à l'eau. Le 16 septembre 1797 il prête serment à Strasbourg par cette déclaration : « Je jure de haïr la royauté et l'anarchie et de vouer un attachement et une fidélité exclusive à la République et la Constitution de l'An 3 ». Il réapparaîtra à Strasbourg le 21 septembre 1798 convolant mariage avec mademoiselle Sophie Dorothée BEX, fille d'un riche courtier en marchandises. Dans l'acte, il affirme vivre à Strasbourg depuis 15 ans ... et se déclare secrétaire du commissaire de police de Strasbourg. Son père, simple maître d'école à Schwobsheim devient du coup : homme de lettres. Le 18 décembre 1801 il atteste sur l'honneur n'avoir rétracté aucun serment exigé par la loi et se fait établir une attestation de résidence permanente et sans interruption en tant que pensionné ecclésiastique depuis mai 1792 à Strasbourg chez un certain SCHMITT, serrurier, au 25 rue Saint Thomas. Naturellement, il omet son séjour à Valff ... une amnésie peut-être ! On y apprend qu'il mesure 1m 67, porte des cheveux châtains, le visage ovale, les yeux bruns, menton rond et le front dégagé.
Le 17 avril 1811 décède Sophie Dorothée à Wolfisheim. Dans l'acte, il se déclare maintenant ... notaire impérial du canton d'Oberhausbergen. Un mois et demi plus tard, un remariage éclair à 43 ans l'unira avec la fille d'un professeur de musique, Henriette DORN, 23 ans, et ... 8 mois après naissait Sophie Henriette ... prénommée Sophie, sûrement en mémoire de feu Dorothée tant pleurée. Il décédera à l'âge de 66 ans à Strasbourg. LASSIAT, maître opportuniste !
Pendant ce temps, le curé André SCHECK écrira après son retour d'exil dans le registre des sépultures de Valff : « Cette même année 1795, après le jeûne de la Saint Jean Baptiste, j'ai rompu les liens de l'exil et quitté le Brisgau qui m'avait accueilli lorsque je fuyais l'Alsace et hébergé pendant trois années de bannissement, me permettant ainsi de profiter de tous les bienfaits de la Providence et de l'Ordre Divin. Les habitants de Valff ne purent garantir ma sécurité, car des fauteurs de troubles impies et persécuteurs, poursuivaient la classe des honnêtes gens, surtout des catholiques, les molestant avec un zèle effronté. Certains avaient trahis des parents qui ont subis d'odieux tourments. Balançant entre la peur et l'espoir, entre les menaces et les troubles, cheminant entre les dangers à ma vie et les condamnations à mort, j'ai osé revenir vers ma patrie, à pied, titubant, tremblant et avançant en longeant des piques hérissées de têtes décapitées. Cela, ma pauvre plume stérile et pointue ne peut le narrer ici, et la place me manque. Ce qui, dans le futur, sera raconté dans les pages d'une chronique, nettoiera la honte du scandale par la candeur de la vérité. Les faits suivants, je me suis efforcé, autant que j'ai pu, à les récolter avec diligence et à les mettre par écrit en les ordonnant. Si, ici ou ailleurs, quelque erreur d'époque ou d'autre genre s'est glissée quant à son authenticité, j'espère que la charité et la bonté chrétienne du lecteur le pardonnera. En des temps plus favorables les faits seraient retranscrits avec plus de justesse, mais à cause de la fragilité humaine la clémence me sera accordée, je n'en doute pas ». Texte avec aimable traduction du latin par Christian VERDIER du site Généanet.
Malheureusement, ces mémoires d'un grand intérêt historique dont parle le curé SCHECK sont à ce jour introuvables et ont vraisemblablement disparus avec d'autres vieux papiers que quelqu'un jugea peut-être un jour être « alder grembel ». Selon la volonté du curé SCHECK, cette période est aujourd'hui relatée dans les pages de cette chronique. Les réfractaires nobles ou religieux qui s'étaient cachés ainsi que leurs hébergeurs se virent tous leurs biens confisqués et bannis. C'est ainsi que le 7 août 1801, les possessions à Valff de Guillaume Jacques Maximilien Antoine REINACH de Werde, émigré, furent estimés et versés au bénéfice des héritiers de Reinach. Il perdit terres et son château à Matzenheim (photo). Etienne Kiessel, ancien Schultheis (maire seigneurial) disparu dès les premiers mois de la Révolution en abandonnant femme et enfants. Ses biens furent transcrit au profit de son épouse en 1801. Elle profita des nouvelles lois républicaines et demanda le divorce.
A suivre ...