Les rubriques actuelles de fait-divers sont pleines, quotidiennement, d'histoires sordides. Les articles des journaux du début du XXe siècle n'étaient pourtant pas en reste. Imaginez ! Vous décidez d'organiser une petite virée ludique en bicyclette avec votre ami et voilà que le soir même votre père reçoit un télégramme pour l'informer que son fils se trouve entre la vie et la mort ...

Retraçons les évènements de ce dimanche, 18 mars 1906.

Les faits

Le jeune instituteur à Huttenheim, Emile HASSELMANN, en compagnie de son ami, le jeune maréchal ferrant Joseph FELTZ également de Huttenheim, décide d'organiser une petite balade à vélo et profiter de cette merveilleuse journée printanière et rendre visite au parent d'Emile à Bischoffsheim. Sur le chemin du retour, ils rendent une petite visite à l'abbé Louis SPEHNER de la cure de VALFF. Cela fait deux ans que le religieux exerce dans la commune. Une petite halte réparatrice est la bienvenue.

« Soyez prudent ! Et bon retour ! » leur conseille l'abbé au moment de les quitter. Tout en les suivant du regard, ils disparaissaient, peu-à peu, au loin dans la rue Principale. Le religieux est confiant. Que pourrait-il bien leur arriver, hors une crevaison ? 

 

Les deux jeunes gens pédalent allègrement via Westhouse  pour rejoindre Huttenheim. En route, ils dépassent un petit groupe d'autres cyclistes. Ce sont les frères Ernst, Félix, Cyril et Victor ZELLER de Kogenheim. Ils sont lâchés. HASSELMANN, fougueux, prend une avance de 300 mètres, suivi de près par FELTZ.

À la hauteur du pont de l'Andlau, une rencontre désagréable les attend. Deux énergumènes, le journalier Lucas GEIGER, 23 ans, et son comparse, le vannier Joseph SPECHT, 28 ans, tous deux travaillant à Valff, ont décidé d'en découdre et de les racketter. L'instituteur HASSELMANN ne veut pas d'histoires, il tente de poursuivre sa route. D'un coup, et sans raison, GEIGER se jette sur lui et lui assène un coup avec son couteau de vannier dans la nuque. Pris d'une rage folle, GEIGER se jette maintenant, les deux bras levés, sur le pauvre Joseph FELTZ qui ne comprend pas ce qui lui arrive, et le fait tomber du vélo. Il est poignardé à huit reprises, particulièrement au ventre. Un coup frôle de peu les poumons. Une autre entaille au bras gauche est également profonde. 

Appelant au secours de toutes leurs forces, HASSELMANN et FELTZ pensent leur dernière heure arrivée. Les quatre autres cyclistes de Kogenheim rejoignent rapidement le lieu de l'incident. Félix arrive en premier suivi par Cyril, Ernst et Victor. Pour toute explication, Ernst, reçoit un coup de couteau dans la jambe. Le médecin constatera une entaille large de 7 cm et profonde de 8 cm. Submergé par le nombre, GEIGER est projeté dans le fossé pendant que SPECHT prend la fuite dans la forêt. Brandissant son couteau, GEIGER réussi à prendre la fuite.

Lors de l'agression, Joseph SPECHT, a généreusement distribué, à l'aide d'une bûche qu'il venait de couper dans la forêt, des salves de rossées. GEIGER et SPECHT revenaient d'une journée passée chez le beau-frère de GEIGER à Kertzfeld où ils avaient bien arrosé leur visite. La préméditation ne fait aucun doute. HASSELMANN se vide de son sang. Une plaie de 9 cm de long laisse entrevoir le pire. Des flaques de sang rougissent le sol. Provisoirement intransportable, il est recueilli au Restaurant Hlotzbad. 

Un télégramme alarmant est transmis à son père à Bischoffsheim. On craint une issue fatale. Lucas GEIGER est appréhendé au matin du 19 mars par la gendarmerie de Benfeld. Son acolyte SPECHT s'est caché. Il est capturé le lendemain. 

Le procès

Le 25 mai, les deux voleurs de grands chemins sont jugés devant le tribunal de Saverne. Joseph FELTZ a pu reprendre ses activités, quant à l'instituteur HASSELMANN, deux mois plus-tard, il est toujours en convalescence. Pour les faits avérés, GEIGER écopera de trois ans et six mois de prison. Son acolyte SPECHT à un an. Lors du procès, le procureur soulignera le mépris de Geiger qui, après sa cavale, a encore eu l'outrecuidance de parader fièrement avec son couteau pour se rendre intéressant.

Acte d'emprisonnement de Lucas GEIGER en date du 12 juin 1906

Les antécédents

Lucas GEIGER

Lucas GEIGER, originaire de Krautergersheim, n'était pas à sa première condamnation. En décembre 1902, il est condamné pour vol à 6 mois et, en juillet 1903, pour vol aggravé pour six mois de plus.

Joseph SPECHT, originaire de Zellwiller, a été, lui aussi, à la bonne école. Son père avait déjà fait de la prison en 1894, toujours pour vol. 

Acte d'emprisonnement de Joseph SPECHT

Emile HASSELMANN 

Charles Emile est né le 6 décembre 1884 à Bischoffsheim. En 1911, il se mariera à Metz. Ils auront six enfants. Lors de l'agression, il avait 22 ans. En 1885, son père, Joseph, était instituteur à Bischoffsheim. Sa mère Joséphine est occupée à élever ses frères et sœurs qui ont pour prénoms : l'ainée Antonia, Alphonse, puis notre Emile, Karl, Eugénia.  Mickael Raugel et Gérardot Albert, tous deux aide-instituteurs, habitaient également dans l'appartement de l'école. 

Joseph FELTZ

Originaire de Huttenheim est né en 1880. Il avait donc 26 ans lors de l'agression. Son père, Laurent, est serrurier d'usine à Huttenheim. Sa mère Franziska est décédée lors de son mariage. Joseph, maréchal-ferrant et serrurier comme son père, a deux frères et deux sœurs. Joseph se marie avec Marie Joséphine, la fille d'un collègue de son père en 1907, seulement 10 mois après l'agression. Ils auront deux enfants. 

Sources :

  • Archives de la commune
  • Gallica
  • Généanet

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.