Il était une fois dans un beau pays paisible, des habitants de deux villages limitrophes, Valffheimdorf et Niederehnwillersheim, qui s'interpellaient allègrement et copieusement avec des sobriquets made in Alsace incendiaires : « Er Bohnebich !!! » de la part des Valffheimdorfois et des « Er Fladermis !!! » de la part de la gent paysanne adverse (afin de garder la paix du voisinage et pour que vous ne puissiez pas les reconnaitre, nous avons volontairement crypté les noms des villages).😘
Explication
En 1423, un différend opposait les communes de Valff et de Niedernai, différend relatif à une vague histoire d'irrigation de prés…
Les faits
Dans le but d'améliorer le rendement des prés du Bruch à Valff, les habitants du village ont eu la bonne idée de creuser, à partir de la Kirneck, en aval du village, un fossé d'irrigation qui couvrait la Breitmatt, L'Oberbruch, le Mittelbruch et le Kleinbrüchel. Ce fossé s'appelle encore actuellement le Bruchgraben. Il se jette en fin de parcours dans le Flussgraben qui, lui, délimite le Bruch de Valff et celui de Niedernai. La commune de Niedernai prétendant que l'aménagement de ce fossé causerait un préjudice à ses cultures en période d'irrigation, mis le feu au lac... ou si vous voulez, au pré... ( il semblerait d'après ce document que le Bruch de Niedernai ait été cultivé à l'époque, ne serait-ce que partiellement).
Plan de la rivière ANDLAU de 1659 Limite du ban de Valff (Valve Bann) et de celui de Niedernai (Nider Ehenheimer Bann)
Il fallut donc organiser un arbitrage pour régler ce différend. Les deux parties en présence nommèrent donc une juridiction composée de 11 membres (un nombre impair pour le vote final) de la façon suivante : le seigneur d'Andlau représentant les sujets de son fief, Valff, nomma quatre membres (le Schultheiss et un bourgeois de Westhouse, ainsi que deux bourgeois de Kerzfeld). Le seigneur de Lansberg représentant les sujets de Niedernai, de son côté, nomma également quatre membres (le Schultheiss et un bourgeois d'Ergersheim, le Schultheiss et un bourgeois d'Innenheim). D'un commun accord, ces huit sages firent appel à trois autres cocos neutres, à savoir un bourgeois d'Altdorf, un bourgeois de Mutzig et un viticulteur de Molsheim.
Sur les accusations de Niedernai, Valff rétorqua que ce fossé existe depuis très, très très, longtemps… qu'il se situe exclusivement sur le ban de Valff, et que personne n'aurait pensé que l'aménagement de ce fossé pourrait un jour faire tout un plat (ce n'est pas nous…! c'est eux les méchants ! na !). Après avoir inspecté les lieux et avoir écouté les sages et avisés arguments des uns et des autres, les membres de la juridiction prononcèrent à l'unanimité la sentence suivante :
« La commune de Valff doit mettre en place à l'embouchure de ce fossé, côté Kirneck, ainsi qu'à l'extrémité du Flussgaben, un barrage, pour éviter d'éventuelles inondations du côté de Niedernai. Le barrage devra être constitué de pieux enfoncés dans la terre et de planches clouées solidement à ces pieux, de telle sorte qu'aucun passage d'eau ne soit possible. La population de Valff devra être informée par le Heimburger, par son de cloche, que dorénavant l'irrigation est réglementée et que les barrages en place ne devront subir aucun endommagement ni transformation. Tout contrevenant sera puni d'une amende de 5 Schilling monnaie de Strasbourg. L'irrigation est autorisée en cas de besoin réel, les barrages peuvent être enlevés, mais doivent être remis en place sitôt l'irrigation terminée. La période la plus propice pour l'irrigation et la moins dangereuse pour les gens de Niedernai se situerait après les moissons. Aux habitants de Niedernai, la juridiction conseille de mettre en place des digues entre le ban de Niedernai et de Valff, afin de prévenir des inondations éventuelles de leurs cultures ».
Plan vers 1900, vue de la Kirneck qui se jette dans l'Andlau au lieu-dit Niederstrasse le tracé du fossé est marqué au crayon et noté : Gruben, ist wieder einspühlbar (fossé, est à nouveau irrigable)
Arbitrage conclu en présence de Beger OBRECHT, chevalier, qui a scellé les deux exemplaires de l'accord et qui y a attaché son sceau samedi après la Saint-Mathis de l'année qu'on comptait après la naissance de Jésus-Christ mil quatre cent vingt-trois.
Un siècle plus tard... en 1526, les sujets de Valff se plaignent auprès de leurs seigneurs Jorge et Eberhardt d'Andlau que le niveau d'eau du fossé qui traverse le « Unterbruch » avait été considérablement relevé par les gens de Niedernai ayant remblayé et obstrué ce fossé qui débouche sur leur ban ; celui-ci provoque maintenant des dégâts considérables dans... le Bruch de Valff !🤢 Les seigneurs d'Andlau informent leurs confrères, les seigneurs de Landsberg, que depuis des temps immémoriaux, ce fossé avait toujours libre cours du côté de Niedernai et demandent un rendez-vous sur place afin de régler encore une fois ce différend... à l'amiable.
1529, nouveau règlement signé entre les deux communautés. Mais en 1543, nouveau litige, le règlement de 1529 n'ayant pas été respecté à la lettre par ceux de Valff... on annule l'ancien par arrachage des sceaux du document et on le remplaça par un nouveau qui prévoit que :
- les sujets de Niedernai devront enlever à leurs frais les rondins encastrés qui font barrage à l'entrée du ban de Niedernai
- le cours d'eau ne sera plus jamais perturbé et jusqu'à la Hagelbach, comme cela a été le cas depuis des temps immémoriaux
- que ceux de Valff respecteront la largeur maximum de cinq pieds (environ 1,50 m) pour le fossé en question
- l'irrigation du Bruch de Valff sera toujours autorisé, mais seulement en cas de nécessité absolue
L'accord est conclu par les seigneurs d'Andlau et de Landsberg et, depuis ce jour, dans notre beau pays paisible, les gens de Valffheimdorf et de Niederehnwillerheim, pleurent à chaudes larmes de s'être si bêtement crêpés le chignon et ont décidé d'une seule âme, de ne plus se chamailler pour une vulgaire histoire d'eau, mais de boire ensemble… plus que... du vin ! S' gelt ! Nonrber !
Pour sceller cette nouvelle amitié indéfectible, de nombreux échanges intervillage virent le jour en souvenir du vieux marais et Fiona et Shrecki et Shrecka et Fioni se marièrent et eurent beaucoup, beaucoup… mais si je vous le dis... beaucoup... de petits Fladermis avec des Bohnebich ! (1)
(1) Anciens surnoms et sobriquets des villes et villages par Hans LIENHART
Source : Archives départementales du Bas-Rhin