Terre de foi profonde, l'Alsace avait manifesté durant tout le Moyen-âge une vie religieuse intense empreinte d'un mysticisme souvent plus ardente qu'orthodoxe. Ainsi s'expliquent ses glissements assez fréquents dans l'hérésie ou le relâchement que favorisait d'ailleurs le morcellement infini du territoire ou l'impuissance du pouvoir central. En vain, vers la fin du XVe siècle, Geiler de Kaysersberg, après beaucoup d'autres, avait-il, d'une voix éloquente, prêché le retour à la discipline et le relèvement des moeurs. L'espoir d'un changement pacifique et général diminuait graduellement chaque année et finit par s'éteindre entièrement. Alors éclata la révolte.

Las d'attendre inutilement une amélioration bénévole de leur triste existence, les paysans se décidèrent les premiers à formuler leurs revendications sociales et à les faire triompher par la force. Après deux tentatives durement réprimées, en 1493 et en 1513, ils se soulevèrent de nouveau en 1525, enthousiasmés par les manifestes de Luther où ils retrouvaient, comme un écho, leurs doléances et leurs vieilles rancunes. Dans les Douze articles dressés en Souabe, ils réclamèrent le droit de vivre sans maîtres, revendiquent leur part dans les biens des nobles et des bourgeois, et se dressèrent surtout contre le haut clergé, les moines et les couvents.  Les seigneurs et les bourgeois ont, avec les tensions présentes, repris âprement leurs rivalités, leurs antipathies, leurs querelles de jadis, que les dissidences religieuses ne firent qu'exaspérer davantage encore.

Ossements exposés dans le « Garnert » à côté de la chapelle Ste Marguerite à Valff

Pendant que la Maison d'Autriche, gardienne jalouse et vigilante de la foi catholique et du principe d'autorité réussissait à étouffer presque partout dans la Haute-Alsace les germes de la doctrine nouvelle, les villes y adhéraient pour la plupart, tout comme la noblesse immédiate afin de conquérir une plus grande indépendance et  autonomie. Dorénavant nobles et bourgeois choisiraient leur religion à eux et leurs prêtres, comme déjà ils avaient leurs lois et leurs Magistrats, leurs impôts et leurs revenus, leurs soldats et leurs forteresses. Une après l'autre, les abbayes d'Alsace se rebellèrent. Parmis une des seules, l'abbaye d'Andlau, fut préservée sous le gouvernance tutélaire de Cunégonde de Reinach et resta fidèlement attachée à la foi catholique. Mais, épuisée par l'effort, elle était tombée dans une décadence profonde et il fallait maintenant arrêter à tout prix l'hémorragie. L'urgence était de repeupler les bâtiments déserts et, à défaut des chanoinesses qui étaient rentrées dans leurs familles ou avaient cherché asile dans d'autres couvents. Il fallait protéger efficacement la ville et le monastère contre les entreprises des protestants. Il fallait enfin, défendre énergiquement les biens et la fortune de l'Abbaye contre les empiètements et les dilapidations de tout sorte.

Chapelle Ste Marguerite Valff. Les écussons ont été martelés pendant la Révolution par le prêtre jureur de Valff, Sébastien Lassiat

C'est sous l'influence de l'abbesse Cordula de KROTZINGEN que fut reconstruite la chapelle Ste Marguerite délabrée. La sculpture au dessus de la porte d'entrée représente un ange qui tient deux écussons. Il est fort à penser qu'il pouvait représenter les armoiries de l'abbesse. Celui de la famille von Krotzingen est représenté par un cercle solaire qui pourrait avoir été celui de gauche. Les écussons ont été martelés pendant la Révolution, probablement par le curé jureur Sébastien LASSIAT qui a également, en signe de protestation, allumé dans le cimetière l'autel de la chapelle pour se venger du boycott des habitants à ses messes et martelé les écussons sur la porte d'entrée du presbytère.  La date 1568, construction de la chapelle, précédait d'un an l'introduction de la Réforme protestante à Valff.

Mais revenons au contexte historique. Dans l'urgence, on alla chercher au-delà du Rhin, dans un monastère resté fidèle à la vieille foi et à l'observance des règles canoniques, une abbesse ferme et dévouée. Le village de Krotzingen se situe à 16 km au sud ce Fribourg. C'est ainsi que Cordula de KROTZINGEN entra dans l'histoire d'Andlau et par extension à Valff dont la paroisse dépendait de l'abbaye.

Il est urgent de mettre de l'ordre dans l'abbaye : la chamoinesse qui est soupçonnée d'un manquement à la règle, doit être tout d'abord admonestée, mais après deux ou trois admonitions infructueuses, elle sera mise au cachot ou recevra une autre punition. Pour les manquements graves, la peine est le cachot sans sursis. Comme du reste un grand nombre de monastères féminins, l'abbaye s'était transformée en une sorte d'asile, où les jeunes filles nobles et pauvres trouvaient un abri, sans renoncer en rien à leurs relations mondaines et à leurs habitudes d'indépendance. L'anarchie grandit de jour en jour et finit par triompher. Bien misérable aussi était la situation matérielle de l'abbaye. Les mauvaises récoltes, les maladies épidémiques, la guerre des paysans avaient appauvri le pays, les troubles religieux mirent le comble à la misère en favorisant partout les usurpations et le gaspillage. Pire encore, un receveur converti depuis peu au protestantisme, détourna la plus grande partie des anciens titres de l'abbaye et consomma de la sorte des pertes irréparables. La vraie foi et le culte pur, d'après les catholiques, n'était à cette époque qu'un détail et une exception. Comme souvent, c'est l'envie et le désir de pouvoir qui motiva les concernés.

Registre des comptes de la dîmes de l'abbaye d'Andlau  1686

A Valff

La famille d'Andlau possédait le fief de Valff. Sous l'influence d'un gentilhomme réformé nommé Erasme GRENSING qui s'était retiré à Andlau et dont Alexandre d'Andlau s'était lié d'amitié, les seigneurs d'Andlau embrassèrent le culte protestant. Par extension Alexandre introduisit la réforme à VALFF en 1569. C'était l'abbaye d'Andlau qui avait le droit de nommer les curés. Mais en septembre 1570, le curé de Valff Martin RUPRECHT s'était mis à baptiser les enfants à la manière luthérienne, c'est à dire par immersion. Il avait supprimé la liturgie catholique et chantait des psaumes en allemand au lieu du latin en refoulant même des habitants d'Epfig qui étaient venus, comme de coutume, en procession jusqu'à VALFF pour célébrer la St Blaise à la chapelle du Blasiusfeld (voir http://histoiredevalff.fr/patrimoine/l-eglise-saint-blaise/541-la-farandole-de-saint-blaise

Pire encore : on l'accuse d'avoir un enfant et de le cacher dans un village très éloigné de Valff. Le curé d'Andlau Jean MEYER est également accusé de tous les maux: il vivrait en concubinage et aurait plusieurs enfants. Marie-Madeleine de REBSTOCK qui succédera à Cordula de KROTZINGEN devra congédier plusieurs curés pour cause d'adultère. La maison cato est en feu !

Blason de la famille de REBSTOCK

Lorsque Alexandre d'Andlau s'est converti au protestantisme, il a fait venir à Andlau le prédicateur Gaspar WEISSMANN. Il l'introduisit en grande pompe dans l'église abbatiale d'Andlau où une foule considérable l'attendait. WEISSMANN monta en chaire et commença à exposer les principes novateurs avec éloquence et passion. L'abbesse indignée, écouta néanmoins patiemment le pasteur du haut de la tribune. Puis, comme transportée, elle descendit en furie l'escalier, retira d'un trait la grosse clé de la porte principale et d'un pas ferme et assuré, grimpa en haut de la chaire tout en sommant le pasteur de descendre. Refusant d'obtempérer, ce dernier se pris, d'un coup ferme, la grosse clé sur la tête ! Sonné, l'abbesse le poussa de la chaire à la grande joie et sous les applaudissements de la foule, heureuse de ce spectacle divertissant. Pour commémorer ce haut-fait, la chaire a plus-tard été décorée d'une statue représentant l'abbesse en costume, s'appuyant sur la crosse d'une main et brandissant de l'autre une énorme clé !

En 1583 dans les statuts du synode de BARR figure le nom de Johann KAUFMANN comme pasteur à VALFF. Friedrich d'Andlau imposa un prédicateur protestant dans la commune, alors que seulement quelques familles avaient embrassé le nouveau culte. L'abbesse était impuissante. A la mort du pasteur, elle réagit et demanda à la Régence épiscopale de Saverne d'envoyer des jésuites de Molsheim afin, citation : « Que le ciel ne reste pas éternellement fermé aux sujets de Valff ». Elle insista pour faire assurer la sécurité des religieux par plusieurs soldats armés. La gouvernance de Saverne informa les seigneurs d'Andlau que leur nouveau prédicateur protestant devait rester à l'écart de l'église paroissiale St Blaise et d'en informer leurs sujets à Valff, sous peine de châtiments. Ils se virent contraint à reconnaître seulement le prêtre envoyé par l'Evêché. Le Shultheiss communiqua publiquement les ordonnances à la grande satisfaction de la population.

Lorsque l'Amtmann épiscopal Hans Adam von Reinach envoya le nouveau prêtre de BENFELD et qu'il demanda à la veuve d'Andlau, qui vivait au château à côté de l'église, de lui remettre la clé, cette dernière argumenta qu'elle était introuvable ! La porte fut donc enfoncée ... et toute la commune ou presque, assista enfin à une cérémonie religieuse catholique si désirée. La réaction des seigneurs d'Andlau ne se fit pas attendre: ils interdirent formellement à leurs sujets de fréquenter l'église et d'assister à la messe. Le bras de fer religieux continua: la veuve du pasteur décédé refusa de quitter la cure. Lors d'une réunion dans la "Stub" de Valff, avec l'Amtmann catholique de Benfeld, le Shultheiss, les membres du tribunal et les anciens du village, ces derniers expliquèrent qu'ils accepteraient en sujets obéissants, et le prêtre catholique et le prédicateur luthérien. Au choix des pratiquants ! Après réflexion, l'Amtmann fit sortir le Schultheiss. Les Valffois, sans la présence du Shultheiss, nommé à ce poste par le seigneur et qui les avait traité de fripons pour avoir eu seulement l'audace de renier leurs maîtres, affirmèrent fermement leur soutient au culte catholique. Ils n'avaient osé s'affirmer sous peine de représailles. Conséquence: les seigneurs d'Andlau porteront plainte pour désobéissance et résistance délibérée à l'autorité.

Lettre de l'abbesse madeleine de Rebstock au Cardinal Evêque de Strasbourg  1599

Le curé catholique de Valff Conrad KOCH écrira : « Dimanche après dimanche, je m'efforce de faire comprendre combien la doctrine luthérienne est néfaste pour leur âme ». Il soumet les propositions et changements suivants :

  1. L'église St Blaise doit être restituée au culte catholique étant donné que les objets lithurgiques pour les saints sacrements et les fonds baptismaux s'y trouvent encore
  2. La restitution des revenus de chaque autel de la chapelle Ste Marguerite et St Blaise
  3. Récupérer l'argent des terres vendues et louées appartenant à l'église
  4. La restitution de la croix en argent, de l'huile de noyer, le calice et la cloche qui se trouve entre les mains de certains habitants et de Friedrich d'Andlau
  5. D'abroger l'interdiction de ne se marier que selon le rite réformé sous peine d'une amende
  6. D'interdire, sous peine d'amende, de manger de la viande le vendredi et le samedi, de travailler les dimanches et jours fériés, de quitter l'église pendant le sermon, de chanter des psaumes luthériens pendant la messe, d'abolir les corvées les dimanches et jours fériés
  7. D'interdire au personnel de l'écuyer de le calomnier en l'appelant "Koch" et non monsieur le curé et de traiter sa soeur de "Pfaffen-Hur" (pute du curé)

Chapelle Ste marguerite en 1935

En 1600, la communauté, épaulée par des catholiques des villages voisins, organisa une procession qui traversa outrageusement le village protestant de Bourgheim. Les représailles ne se firent pas attendre. Les femmes du château déclarèrent : « Le Pfaff (l'écclésiaste) devra être tribulé aussi longtemps, jusqu'à ce qu'il déguerpisse par lui-même, par dégoût ». On attira adultères et canailles au village. Les écuyers installèrent dans l'auberge un cabaretier protestant. Ils poussèrent leurs provocations en tirant au fusil à plomb sur le presbytère et se soulagèrent devant la porte. Le village se trouva divisé. En mars 1603, la garde de Benfeld ouvrit de force la porte de l'église barricadée, on célébra une messe, organisa une procession dans l'enceinte du château avec de nombreux prêtres, les maîtres d'école et des enfants d'Obernai et de Krautergersheim. On peut le constater, les préceptes chrétiens prônées et enseignés par les Evangiles sont, de part et d'autre, largement bafouillés. Le soi-disant culte pur prôné par les deux côtés n'aura été qu'un paravent et du vernis. 

Les choses se calmèrent peu à peu sans toutefois se régler. Les protestants de Bourgheim installèrent un péage pour taxer les sujets et les marchands de Valff et de Zellwiller sur la route menant à Barr protestante. Ce sont les juifs, étrangers au litige qui en feront les frais. On les taxera même pour passer leurs morts pour les inhumer au cimetière de Rosenwiller. voir http://histoiredevalff.fr/histoire/xviieme-siecle/258-peage-obligatoire-pour-venir-a-valff

Alexandre d'ANDLAU le protestant, mourut en 1573. Selon la tradition, les seigneurs étaient enterrés à droite de l'église paroissiale. Madame de REBSTOCK refusa d'accueillir dans son église la dépouille de ce "rénégat" et on l'enterra à JEBSHEIM dans le fief de son cousin réformé. On peu lire dans le registre de l'église de ce village : « Habitait à Valff et y a réformé l'église de la Papauté. Il a aussi fait instaurer à Andlau la pure doctrine protestante ».

Si aujourd'hui, les paroissiens de Valff sont en majorité de confession catholique, c'est le passé et les personnes au pouvoir à l'époque qui en a décidé ainsi. C'est également le cas pour les habitants des villages protestants de Bourgheim ou de Barr. La religion est  héritée selon le lieu où vivaient nos ancêtres. Il a penché d'un coté ou de l'autre selon le choix d'un Seigneur ou ...  la clé en fer d'une abbesse !

Sources :

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.