Le salpêtrier s'occupait de fabriquer, de collecter, de réquisitionner du salpêtre, récolté sur les murs des étables et des écuries. Le salpêtre ou nitrate de potassium servait à fabriquer la poudre noire ou poudre à canon, une des rares matières explosives connues depuis la fin du Moyen Âge en Europe. Et ce métier était également présent à Valff au XVIIIème siècle. Non sans quelques histoires ...
Les salpêtriers de Valff
La famille TRÖSTLER est originaire de Rosheim. Le père, Xavier, agriculteur, né en 1740, apprend le métier de salpêtrier dès la Révolution en 1789. Il a deux fils, Ambroise et Jean. Ce dernier, conscrit de la première classe, effectuera son service militaire à la salpêtrière de Geispolsheim, puis, à partir du 20 septembre 1793 à celle de Stotzheim. La production annuelle de salpêtre y était estimée à 600 kg annuellement.
Le 7 messidor de l'An 4 (25 juin 1796) un procès verbal révèle que Jean, susceptible de produire du nitre, y coule des jours heureux ... comme meunier. Il est emprisonné à Barr et de peu renvoyé en premières lignes de bataille. Grâce à l'intervention d'un parent haut placé et aux besoins urgents de poudre à canon, il sera libéré. Le commissaire du pouvoir exécutif de Barr parlera de « l'affaire éternelle de TRÖSTLER le disant salpêtrier, à laquelle on pourrait attribuer autant d'importance qu'a la prise de Mayence ! ». On retrouvera la famille au complet en 1805 à la salpêtrière de Valff.
Le bâtiment qui servait de salpêtrière appartenait à la commune. Les Sieurs Grégoire DUCHMANN, Michel JACOB et Joseph ABERT exerçaient déjà ce métier explosif à Valff au 18ème siècle. L'emplacement exact du bâtiment est inconnu, mais la transmission populaire le situerait quelque part dans le haut-village. Les archives mentionnent une baraque en bois construite entre des maisons d'habitations. Un état de 1781 indique que la salpêtrière de Valff était exploitée par l'atelier de la veuve de Jean NOBLE d'Erstein et avait produit de février 1778 à septembre 1779 pour 2757 livres de salpêtre brut. Auparavant, Blaise JORDAN produisait en 1794 pour 282 livres.
Jean TROESTLER épousa une fille de Valff : Dorothée KORNMAN, jeune veuve de Bechler REINHARDT. La nouvelle union donnera vie à François Joseph à Valff en la maison de Léopold, beau frère de Dorothée en mars 1811. Suivront Charles en 1813, Jean en 1816, Laurent en 1817, Elisabeth en 1820 décédée en 1821, Aloïse en 1823 et Xavier qui deviendra meunier à Rosheim.
En 1807, un vaudeville sordide opposera la famille TRÖSTLER au maire de Valff, Chrétien BURGSTAHLER, maire depuis le 11 décembre 1804. L'animosité entre les deux parties atteindra son paroxysme avec l'incendie criminel de la salpêtrière dans la nuit du 27 au 28 septembre 1807. L'origine du conflit était-il familial ? Le maire avait également épousé une fille KORNMAN, Marguerite, et sa fille, Marie Françoise, avait épousé un KORNMAN prénommé Florent.
Une première divergence opposera le maire avec son conseil municipal en date du 31 octobre 1806. Une demande de révocation de certains des membres du conseil est déposée par l'élu pour cause ... d'ivrognerie, faillite personnelle, divorce ou encore opposition aux représentants de l'administration.
Le 19 octobre 1807, le salpêtrier Jean TRÖSTLER porte plainte contre les agissements du maire. Voici les griefs :
- Dès sa prise de fonction de salpêtrier patenté, le maire a ordonné a tout habitant de refuser le logement à la famille TRÖSTLER.
- Il fustige le conseil municipal de lui rendre la vie impossible.
- Trois mois après son arrivée, un individu malveillant a troué le chaudron.
- Le toit est abîmé et quelqu'un a creusé des trous sur les côtés pour voler le salpêtre.
- Le maire a confisqué les terres salpêtrées pour son usage personnel.
Le 27 septembre, à 22h30, la salpêtrière est en feu. Le maire accuse le salpêtrier d'avoir allumé l'incendie tandis que l'autre crie au scandale : la chaudière était éteinte depuis 3 jours ! La nuit même, le maire poste des gaillards devant la salpêtrière. Accès interdit, surtout aux TRÖSTLER, Jean a refusé de remettre les clefs du bâtiment lors de l'incendie, il faut donc protéger les biens qui sont à l'intérieur !
Le Maire prétend qu'Ambroise aurait promis 12 Louis d'or à Florent MARTZ si celui-ci dénonçait un certain juif, Abraham LEHMAN de Zellwiller d'être l'auteur du feu. On crie à la diffamation ! On raconte tout et n'importe quoi ! Les adjoints voulant enquêter sur l'origine du feu sont chassés et menacés d'emprisonnement par BURGSTAHLER. Le lendemain, le maire traite Jean TRÖSTLER de fripon, de coquin, de faquin et de voleur, plus ... des mots qu'il n'est pas permis de nommer ! » (dixit). TROESTLER veut des explications, pour toute réponse il reçoit des coups de pied.
Des jeunes du village, soudoyés par le maire au dire du salpêtrier, chantent devant sa maison : « La salpêtrière, la salpêtrière est en feu, court pour l'éteindre ! ». Le rapport démontrera qu'il y avait 2 mètres de cendres de combustion que les salpêtriers auraient laissé s'amonceler à l'intérieur. Après l'enquête préfectorale les coups volent bas. Xavier TRÖSTLER, le père, dénonce l'attitude du maire qui a fait proclamer une fausse loi pour se payer la tête de son gendre Henri qui est, il le reconnaît : « ce que l'on pourrait appeler une espèce de simplet » (sic). En effet, le maire lui aurait fait croire que la loi oblige les hommes qui n'ont pas d'enfants et qui ne peuvent prouver d'avoir deux charrues aux champs, de partir à l'armée.
Henri supplie le maire de lui remettre le certificat qu'il possède bel et bien deux charrues. Le maire refuse cruel, même contre payement. Il n'est pas un homme que l'on corrompt prétend-t-il . Narquois, il le convainc d'aller chercher cette fameuse attestation à l'auberge Maison Rouge de Sélestat , sa dernière issue pour échapper à l'armée....
Après ce coup d'esbroufe, notre Henri traîne sa misère en direction de Sélestat, découragé et le cœur dans les chaussettes. Arrivé à l'auberge Maison Rouge il passe pour un demeuré ! Pauvre Henri ! BURGSTAHLER doit se bidonner !
Sélestat
Le 3 avril 1808, Ambroise, le frère de Jean, décèdera subitement dans d'obscures circonstances à 31 ans. En janvier 1811, c'est au tour de Xavier, le père, de voir pour la dernière fois la lumière du jour. Après de nombreuses plaintes concernant des malversations de livraisons de tabac à Obernai, les habitants, le conseil municipal et même le curé SCHECK (qui affirme que le maire Chrétien BURGSTAHLER est à l'origine de la mort prématurée de 3 ou 4 personnes) n'en peuvent plus. Le maire sera finalement démis de ses fonctions en mars 1812 (pour d'autres détails voir le livre De Valva à Valff, page 314).
Chrétien BURGSTAHLER décédera trois jours après sa sœur Madeleine le 8 mars 1840 à l'âge de 78 ans. Jean TRÖSTLER retournera à Rosheim où il travaillera comme salpêtrier puis farinier et mercier. Il décédera deux ans après sa femme le 5 janvier 1847 à l'âge de 75 ans. Le 12 juin 1813, le nouveau maire Antoine LUTZ, demande l'autorisation à l'administration de pouvoir reconstruire la salpêtrière en ruine. En 1816, le maire demande de pouvoir transférer la cuve à salpêtre à l'extérieur du village suite aux risques d'incendies.
Histoire de l'exploitation du salpêtre
Sous l’Ancien régime la charge de salpêtrier du roi permettait de vivre très confortablement en étant payé par la ferme générale des salpêtres. Le monopole d'État du salpêtre ne prit fin qu'en 1819. Avant la révolution, le salpêtrier du Roi passait dans toutes les communautés tous les deux ans et demi, entrant d'autorité dans toutes les maisons en disant « Au nom du Roi ! ». Il fouillait et raclait tous les murs recouverts de salpêtre. Il était craint et respecté.
A la naissance de la République, les frontières sont menacées par les armées coalisées royalistes. Une production d'armes est lancée. La production de la Régie des poudres et salpêtres se révèle insuffisante, d'autant que par suite d'un blocus maritime, les anglais en empêchent l'importation. Le 4 décembre 1793, le Comité de salut public décrète l'extraction révolutionnaire du salpêtre. « On nous donnera de la terre salpêtrée, et, trois jours après nous en chargerons les canons ! ». L'optimisme révolutionnaire bat son plein ! La réalité est toute autre. Une lettre de l'agent national de salut public reconnait « que l'amour de la Patrie n'est qu'un mot vain et illusoire » pour les habitants du canton de Barr, dont Valff faisait partie, à cause du manque de zèle à produire du nytre.
Chaque district de la République est prié d'envoyer deux jeunes gens plus ou moins instruits pour être formés. Le but étant qu'ils retournent chez eux et forment à leur tour d'autres personnes à la récolte et à la purification du salpêtre. Des explosions accidentelles seront courantes. Les énormes besoins de poudre de guerre, conduisit à une véritable chasse au salpêtre avec réquisition, parfois musclée chez les particuliers qui furent ainsi dépossédés de leur terre. Ces véritables commandos étaient équipés pour réaliser sur place un lessivage et une concentration du salpêtre, dirigé ensuite, dans l'urgence, vers les poudrières.
Utilisation
D'autres utilisations comme la salaison des aliments saumurés ou des applications médicinales complétaient l'intérêt pour le produit. Des chimistes concocteront des dérivés aussi divers que des engrais, des solvants de teintures végétales et minérales, de l'antirouille etc ... Une vertu aphrodisiaque lui était également attribuée depuis l'Antiquité.
Le nitrate de potassium est l'un des trois composants de la poudre noire combiné au charbon de bois en poudre et du soufre. Il peut également être brûlé par lui-même (bien qu'il a un point d'inflammabilité élevé) produisant une flamme rose-orange chaude (fumigène).
La formation du salpêtre
La salpêtre a tiré son nom de son origine naturelle. Au VIIIe siècle, les savants l'appelaient, pour rappeler qu'il est extrait des pierres, sel petrae, c'est-à-dire sel de pierre. On l'extrait, en effet, de certaines pierres, à la surface desquelles il se produit naturellement. Le salpêtre, à l'époque de la nomenclature chimique, fut placé parmi les sels et nommé plus tard nitrate de potasse ou azotate de potasse. L'acide azotique prend naissance aux dépens des éléments de l'air par suite de la combinaison de l'oxygène avec l'azote. Sous l'influence de la décharge électrique des orages, l'oxygène et l'azote qui existent dans l'air, se combinent et forment de l'acide azotique. Cet acide azotique tombe, dissous par l'eau de pluie.
Le salpêtre se forme naturellement dans tous les lieux humides où existent des matières animales riches en azote, c'est-à-dire les caves, les étables, les fosses à fumier, ainsi que sur les murs des habitations. L'urine a également été utilisée dans la fabrication du salpêtre. Dans ce processus, de l'urine est placée dans un récipient contenant de la paille et laissé à mariner plusieurs mois, après quoi de l'eau est utilisée pour laver les sels chimiques de la paille. Le processus est complété par un filtrage au cendres de bois, ainsi qu'un séchage à l'air libre.
La fabrication
La première opération consiste à lessiver avec de l'eau froide les plâtras pour leur enlever les azotates de chaux, de magnésie et de potasse qu'ils contiennent. On place les matériaux salpêtrés dans des cuves de bois ou dans des tonneaux. On laisse digérer l'eau pendant un ou deux jours ; puis, plaçant à l'orifice, un bouchon de paille, on soutire le liquide. Ce liquide [eaux faibles] est versé sur de nouveaux matériaux. Lorsqu'il s'est ainsi chargé d'une plus grande quantité de sels, il porte le nom d'eaux fortes. Quand elles ont servi à opérer un troisième lessivage d'autres matériaux, ces eaux [eaux de cuite] sont assez riches pour être traitées chimiquement.
Puis on verse le liquide dans de grandes bassines de cuivre, nommées cristallisoirs. On y ajoute, pour le clarifier, un peu de sang de bœuf. Les matières terreuses en suspension sont emprisonnées dans l'albumine du sang de bœuf, qui se coagule dans le liquide bouillant, et la liqueur est ainsi clarifiée. On agite le liquide, pendant son refroidissement, pour obtenir le nitre en petits cristaux
Chaudière à concentration pour l'extraction du salpêtre
L’esprit de nitre dans la médecine (livres de médecine du XVIIIème siècle)
Prenez six onces de l’esprit rouge de nitre, douze onces d’eau de mélisse & deux onces d’esprit de fleurs de muguet, & les placez au bain vaporeux dans de la paille d’avoine ou paille hachée, & les digérez à une chaleur extrêmement douce & humaine durant sept jours continuels, c’est un admirable remède contre l’apoplexie & contre l’épilepsie, contre les coliques, & généralement contre toutes sortes d’obstructions, il est aussi très bon contre les fièvres & contre la peste. Mettre la dose ajouté à du vitriol ou de l'ammoniaque dans du vin, dans des bouillons, dans quelque décoction ou dans quelque eau distillée, qui soit appropriée à la maladie.
On le donne aux malades qui sont travaillés de la pleurésie, des fièvres ardentes & putrides, contre la gravelle des reins & de la vessie, et dans les chaudes pisses. Son usage est aussi fort recommandable en gargarisme contre les inflammations de la gorge & contre la squinancie (angines). On l’applique avec beaucoup de succès extérieurement en fomentation, avec des compresses pour ôter la chaleur & la douleur des brûlures, & des autres inflammations qui proviennent de quelque effervescence du sang.
De nos jours on fait la guerre aux traces de salpêtre sur les murs de nos maisons, jadis, on faisait la guerre avec le salpêtre de ces mêmes murs ... autres époques, autres coutumes !
« Les gars, mettez votre confiance en Dieu ... et conservez votre poudre bien sèche ! »
Olivier Cromwell avant une bataille (1599-1658)