La mémoire collective honore les noms des héros de la Grande Guerre 14-18. Des rues, des places et autres sites nous rappellent la gloire de certains artisans de ce carnage. Il en est tout autrement pour tous ces anonymes sacrifiés. Joseph Georg MULLER en fait partie. Enfant de Valff, il repose quelque part en terre Lettone, entre collines verdoyantes et villages isolés.
Qui était Joseph Georg MULLER ? Dans les registres de décès de l'année 1915, on peut lire en date du 3 mars 1916 : « L'administration de justice de l'État à Meiningen nous a informé que le réserviste de la 1ʳᵉ Compagnie d'Infanterie de la 2ᵉ Compagnie de Türingen, Georg MULLER, agriculteur, catholique, 23 ans est décédé durant la bataille près de Wajlovae (Warkljana aujourd'hui Varaklani) le 12 octobre 1915 à 16 h 30 ».
Joseph est né le 25 août 1892 dans la maison située au n°236 de la rue Meyer. Il est le fils de George et de Thérèse HIRTZ. Il est le troisième enfant entouré uniquement de sœurs : Thérèse Félicitat, Marie Anne, Marie Madeleine, Marie Joséphine et Marie Franziska. Contrairement à Joseph, elles lui survivront jusque dans les années 1970. Les MULLER ne sont pas riches. Petits exploitants agricoles, ils peinent à joindre les deux bouts. Leur tante Wahlburge avait eu un enfant hors mariage, ce n'est pas catholique ! Son oncle voit passer les huissiers. La famille bénéficiera même de l'aide sociale de la commune en 1883, soit 1 franc 95 pour pauvreté extrême. La grand-mère Marie Anna LEDIG, 75 ans, est paralysée.
Le grand-père de Joseph était cantonnier. Lui aussi s'appelait George. Leur dernier enfant, Georg, le père de Joseph donc, naîtra alors que sa mère Marie-Anne LEDIG allait sur ses 42 ans. Quant à l'arrière-grand-père, il officiait comme gardien de nuit de la commune. Son travail consistait à sillonner les rues de Valff durant les heures nocturne et donner l'alerte pour tout départ de feu. Ils habitaient au 32 (numéro de l'époque puis n°40 en 1880) de la rue Haute.
1912. Joseph est joyeux. Il fête en compagnie de ses camarades conscrits, l'entrée dans la cour des grands. Mais est-il si joyeux que ça ? Son visage pensif et sombre sur la photo de souvenir prise devant le restaurant au Canon, laisse-t-il présager ce qui l'attendra trois ans plus-tard ? La jeune et jolie serveuse qui pose tendrement sa main sur son épaule ne se doutait sûrement pas que ce seraient leurs derniers jours de bonheur ?
Joseph est incorporé au 2 Thüringisches Infanterie-Regiment n°32. La caserne se trouve à Meiningen, ville de garnison avec ses deux casernes d'état-major et trois bataillons de 3000 hommes. Il y fait ses classes avec toute la finesse et la douceur que l'on connaît sur la discipline « Prussienne ». Tir, marches sans fin, chants militaires à la gloire de la patrie ainsi que des brimades gratuites en bonus pour ces « Franzosenköpfe » (tronches de français).
Comme beaucoup de ses camarades, il immortalise un souvenir. Sapé dans son costume militaire, il se laisse fièrement photographier dans l'atelier d'Adolph JACOBI à Meiningen.
Il se trouve vraisemblablement à Meiningen lorsque éclate la Première Guerre. Son Régiment est successivement envoyé au front de l'Ouest puis à l'Est. En août 1914, son unité participe au siège de Namur en Belgique. À partir du 22 août, certaines troupes de la 22ᵉ Division sont transférées à l'Est.
- Septembre 1914 : Bataille contre l'armée Russe aux Lacs Mazures Goldap Augerburg : Prusse orientale
- Fin septembre transfert de la Prusse orientale à Kracovie : Pologne
- Octobre 1914 : combats près d'Opatow et Radom ainsi que sur la rivière Rawka en Pologne et à Iwangorod en Russie
- Novembre 1914 : charge de cavalerie sur la Warta, rivière en pologne et Kutno et Lodz villes de Pologne
- Décembre 1914 : bataille sur la Rawka et Bzura, rivières en Pologne
Le 19 janvier 1915. Joseph est blessé.
Son parcours : Meiningen (C), Namur (B) et Riga (D)
Que de chemin parcouru pour aller mourir ! C'est proche de la ville de Riga aujourd'hui en Lettonie, près du petit hameau appelé Warkljana sur les plans d'Etat-Major de 1914 que finira sa trop courte vie.
Un article de 1915 dans un journal français « La guerre Mondiale 1914-1919 » retrace jour après jour les faits militaires. L'auteur écrit :
Mais ce qui donnera une touche humaine à cette histoire, trop banale durant cette guerre mangeuse de fils, de pères, de maris est cette dernière lettre touchante que Joseph écrira à sa famille peu avant sa mort. Une lettre émouvante pleine de tendresse et de profession de foi.
La lettre recopiée à l'époque par une personne inconnue est paraphée « recopié le 28 novembre 1915 ». Elle est datée « Meiningen, le 27 septembre 1915 ». Comme nous l'avons découvert plus haut, Joseph avait été blessé en janvier. La logique nous engage à penser qu'il aurait été soigné après cette blessure contractée sur le front de l'Ouest, soigné puis transféré dans sa caserne de formation puis dirigé vers le front de l'Est. C'est la veille de partir vers sa dernière destination, qu'il écrira cette ultime lettre. Il n'aura peut-être même pas eu le temps de la poster. L'a-t-on récupéré à la caserne ? Sur son corps pour la renvoyer dans un état acceptable ? Les faits montrent qu'il mourut le 12 octobre, soit 15 jours après son départ de Meiningen. Le temps d'aller au front puis disparaître. Avait-il un pressentiment ? La photo dans son habit militaire envoyée par le photographe à la famille à Valff sera la dernière vision vivante que les parents contemplerons de leur fils. Il laisse apparaître un léger sourire, certainement... son dernier !
Joseph termine sa lettre par ces mots : « Signé votre aimant, fils et frère. J. MULLER. Bonne nuit. Dormez bien ! ». Bonne nuit éternelle Joseph ! Tu t-es endormi dans le sommeil des « morts de la folie des hommes ». Bonne nuit !
Monument aux morts à Valff
Remerciements particuliers à René SCHWARTZ descendant de la famille MULLER pour la mise à disposition des documents ainsi qu'à Dominique WIND, historien, pour ses recherches.