Parmi les auberges et les restaurants historiques de la commune, le Restaurant du Tilleul fait partie des incontournables. Témoin d'événements tragiques [à lire sur le site De Valva à Valff : Grabuge au bistrot : 3 morts !] bombardé pendant la guerre ou site de reproduction de cigognes, le lieu est chargé d'histoire.

La Genèse

1878, l'agriculteur Louis SPECHT qui habite à l'intérieur du virage dans le carrefour du bas-village en direction de Westhouse, demande l'autorisation d'arracher sa grange, reconstruire sa maison et redéfinir sa propriété. La commune décide de redessiner la parcelle. Le géomètre BACHLER de Meistratzheim trace le plan d'occupation. Le croquis révèle que deux maisons distinctes sont existantes à l'emplacement de l'actuel Restaurant du Tilleul, habitées par Aloyse ROOS et Jean-Baptiste NEFF. Le tout est séparé d'une cour. Sur le plan, le cours de la rivière Kirneck s'écoulait sud – nord en cheminant côté route et les deux propriétés pour rejoindre le lit principal qui débouchait du village. Il n'est pas fait mention de restaurant ni d'auberge, mais comme nous allons le voir, il existait déjà bel et bien un débit de boissons.

Recensement de 1885

Ce recensement est la première source d'information pertinente. On y découvre Jean-Baptiste NEFF le « Schenkwirth » (aubergiste). On dénombre au n°295 puis 296 : Jean-Baptiste, chef de famille et aubergiste, Anna Maria MUNCH son épouse, Anna Maria, Magdalena et Franziska leurs filles, et Jean-Baptiste leur fils. Magdalena MUNCH, la sœur d'Anna Maria, habite également avec eux. Jean-Baptiste NEFF est originaire de Benfeld, veuf d'Anne-Marie RIEFFEL. En 1871, il vivait avec sa famille au rez-de-chaussée de l'auberge. La maison a-t-elle été rehaussée plus tard d'un étage ? (voir photo de 1900 ci-dessus).

L'Histoire

Comme nous l'avons relaté plus haut, le voile sur l'origine de l'auberge commence à se dissiper vers la fin du XIXᵉ siècle. Mais les archives nous permettent de remonter bien plus tôt. André VOEGEL dans le livre de Valva à Valff relate que d'après la transmission populaire, l'auberge était exploitée par un nommé MUNCH et sa femme appelée « S'Rueffe Nannel ». En fait, il y a confusion : la Rueffe Nannel était la première femme de Jean-Baptiste NEFF. Elle s’appelait Marie-Anne RIEFFEL et avait 14 ans de plus que son mari. Ils exploitaient ensemble l'auberge déjà en 1856 en compagnie du seul enfant de leur couple : Jean-Baptiste. Il est aussi fait mention d'une servante. Marie-Anne RIEFFEL était veuve quand elle a épousé Jean-Baptiste. Elle s'était mariée avec Florent GOETTELMANN, originaire de Meistratzheim. Marie-Anne avait eu un fils avec Florent en juin 1852 qui décédera 18 jours plus tard.  Florent Goettelmann  décédera brutalement en septembre 1851 alors qu'Anne est enceinte à terme. Ils auront été mariés pendant 8 ans. Ce sont eux qui ont créé l'auberge. Avant eux, la maison était le bien d'un Joseph BECHT, laboureur. Le terrain et la maison sont recensés au lieu-dit : Krautgarten. Elle possédait une porte de magasin et 12 fenêtres d'après les registres des taxes sur les portes et fenêtres. On ne peut avancer la date exacte où l'exploitation prendra le nom définitif de « Zur Linde ».

 


 Octobre 1903. Changement de propriétaire. Suite au décès de Jean-Baptiste en 1892, le « Schenkwirth » (littéralement : aubergiste verseur) est remplacé par les femmes qui ont poursuivi quelques années leur petite exploitation. Son fils Jean-Baptiste est journalier. 

9 octobre 1904

Lors du changement de propriétaire au restaurant « Zur Linde » (Au Tilleul) une bagarre générale a fait une victime : Xavier KIENNERT, 25 ans, est décédé des suites de ses blessures. La raison est à mettre au compte d'une rivalité entre les deux familles KIENNERT et MULLER, et surtout du nouvel arrivant dans le village, le nerveux Barnabé MULLER. Le médecin appelé sur place a dû rafistoler des plaies pendant quatre heures. Bien des participants se sont ensuite éclipsés, clopinclopant malgré leurs entailles et fractures pour éviter coûte que coûte d'être entendus. MULLER a écopé de six mois de prison et a été transféré au centre pénitentiaire de Saverne.

Mais revenons à l'époque de Jean-Baptiste NEFF. Pour diversifier son commerce, il créera un service de transport original. En période d’inondation, la route menant de Valff à Meistratzheim était impraticable. Cette route s’appelait d'ailleurs la « Unterwässerle » (littéralement : « route sous l'eau »). Jean-Baptiste mis à la disposition des voyageurs un moyen de transport rudimentaire, mais utile. Le véhicule consistant en un grand brancard muni de deux grandes roues et tiré par un cheval. Les voyageurs, les pieds au sec, étaient assis dans un énorme baquet en osier. Il semblerait qu'autour des années 1870, l'auberge ait provisoirement cessé son activité. Le recensement de cette date ne mentionne aucune activité. Ce que l'on sait est que la famille Jean-Baptiste NEFF logeait au rez-de-chaussée. L'étage n'étant pas encore habité ou même aménagé. Jean-Baptiste et son épouse Marie-Anne Münch auront six enfants : Marie-Anne, Marie-Madeleine, Jean-Baptiste, Maria-Françoise, Firmina et Maria-Joséphine. De son premier mariage avec Marie-Anne Rieffel, Jean-Baptiste aura eu un autre Jean-Baptiste. 

Août 1914 C'est chaud ! Le procureur du tribunal de Saverne ordonne que le journalier Jean-Baptiste NEFF, né le 11/8 1883 à Walf, mesurant 1,69-1,70 mètre, large d'épaules, moustache blond foncé, yeux bleus, grand fumeur, est à arrêter pour blessure volontaire et à livrer à la prison la plus proche (Jean-Baptiste NEFF est le fils de Jean-Baptiste, cité plus-haut, qui est décédé en 1992. Il se marie le 5 janvier 1918 à Villereau, Loiret, avec Nina Rachel Henriette Pouradier, veuve d'Aimé George Bataille, mort au champ de bataille dans la Meuse. Il semble qu'il ait donc déserté et fui l'Alsace. On le retrouve en 1923.

1ᵉʳ février 1923

Jean-Baptiste NEFF de Valff, le cabaretier du restaurant « Au tilleul », a accusé son ancien employeur de Rhinau avec lequel il est en litige. L'employeur, d'après Neff, aurait importé de Mannheim, sans le déclarer à la douane, des pièces neuves de moissonneuses batteuses. L'enquête a révélé que lesdites pièces avaient non seulement été honnêtement dédouanée, mais que notre vindicatif accusateur avait utilisé, sans en informer son propriétaire, l'engin agricole chez une tierce personne, pour secrètement empocher l'argent de la location. Une plainte a donc été déposée contre Jean-Baptiste NEFF et voilà l'arroseur arrosé ! Cette dernière va se rajouter à une autre plainte déposée par Mme KORMANN, qui est récemment devenu propriétaire de l'auberge du Tilleul à Valff. Jean-Baptiste, par vengeance, lui aurait renversé son pot de chambre sur la tête ! Maintenant, c'est lui qui est dans la m...de !

Mais le débit de boissons est bien implanté. Suivront de nombreuses années d'exploitation : restaurant, société de transports, dancing, salle de théâtre…, jusqu'à aujourd'hui. Le nouveau propriétaire s'appelle maintenant Mathieu KORMANN. Il réaménagera en 1904 le rez-de-chaussée. Il est de la famille des propriétaires actuels. Une information à son sujet nous provient du journal « Der Elsässer », rien de décoiffant, un petit accident matériel, mais comme il ne se passait pas grand-chose à l'époque, enfin pas encore, le souffle des bombes qui allait pulvériser le quartier quelques années plus-tard, allait décoiffer bien plus !

Février 1939 : Mercredi vers 10 heures se sont percutées au Boulevard de Lyon, la camionnette de Matthieu Kornmann de Valff et la voiture de Mr Marius Deschamps d'Ostwald. Peu de dégâts.

Qu'est devenu le restaurant durant la première moitié du XXe siècle ? Histoire à suivre ...

Un peu d'histoire

De Valva à Valff, c’est tout d’abord un livre. A la fin des années 80, André VOEGEL et Rémy VOEGEL, Valffois et passionnés d'histoire, écrivent « De Valva à Valff » qui raconte l'histoire de la commune, petit village alsacien à proximité d'Obernai. L'ouvrage reprend, chapitre après chapitre, son histoire et celles de ses habitants. Dans les années 2010, Rémy VOEGEL complète la connaissance du village par divers textes édités dans le bulletin communal. 

Suite au décès d’André VOEGEL en février 2017, Rémy et Frédéric, son fils, se lance le défi de partager via le présent site les archives dématérialisées du livre, les vidéos de Charles SCHULTZ, sans oublier la publication des 40 classeurs historiques d’Antoine MULLER. Ces classeurs sont une mine d'or incroyable, car ils retracent en images toute l'histoire du village, de ses associations et de ses habitants.

Depuis, le devoir de mémoire de notre village alsacien se poursuit semaine après semaine.