- Écrit par : André VOEGEL
- Affichages : 1105
La viticulture à Valff remonte à la nuit des temps, vraisemblablement à la période Gallo-romaine. La culture de la vigne dans notre cité est attestée dans un diplôme de l'an 742 par un acte de donation à l'abbaye de Wissembourg. Ma mémoire conserve un souvenir précis et charmant de cette activité dans mes jeunes années.
Bien que cette culture a pratiquement disparu de nos jours, on dénombrait encore 93 ha de vignes à Valff au début du 19e siècle. En 1983 il ne restait plus que 7 à 10 ha de vignes, et actuellement le vignoble du Rietherfeld se limite encore à quelques parcelles mal entretenues. Dans quelques années, tout aura disparu et la rue du Vignoble sera le seul indice du chemin qui menait au vignoble du Rietherfled. Fin du siècle dernier, on ne connaissait en Alsace que les cépages nobles tels que : Burger, Sylvaner ou Grünes, Knipperlé, Chasselas, Riesling, le Trollinger bleu, ainsi que le Lamber « Lombard ». Il semblerait même que le Gewürtztraminer, le Klevener rouge et le Muskateller étaient déjà en production vers 1848.
En 1822, Florent WUCHER de Valff écrivit dans son journal personnel : « Si les températures ne s'étaient refroidies en juillet on aurait pu à Mariahimmelfahrt (assomption) débuter les vendanges ! Certaines grappes avaient commencé à mûrir et les prunes étaient déjà blettes et passées. Le peu de tabac qui avait échappé à la sécheresse, aux souris et aux vers, avait une belle croissance. Le 4 septembre, l'automne a pris ses quartiers. La saison se passa comme le reste : on a tout fait à la va-vite. Le 8 septembre 1822, moi, Florent WUCHER, a bu le premier vin bourru de l'année ! Quelle année que cette année là ! ».
A partir de l'apparition du Phylloxera, début du XXe siècle, la surface globale commença à se contracter, phénomène qui s'est encore accéléré pendant la guerre de 14/18 avec le manque de main d'oeuvre. Après 1918, et l'annexion de l'Alsace à la France, les viticulteurs alsaciens imitèrent leurs collègues du midi et plantèrent des cépages hybrides résistants à cet insecte nuisible et avec un rendement plus élevé. Par contre, la qualité était plus que médiocre (Bubberi). Le rendement sur le ban de Valff pour un peu plus d'une vingtaine d'hectares cultivés était variable : il pouvait passer de 100 hl en 1862 à 12 en 1889 et à zéro en 1886 (vigne gelée).
L'émeute du déboucheur de gorge à Colmar
1833. Les maraîchers et les vignerons locaux buvaient couramment un vin qui n'était pas servi dans les maisons bourgeoises, et pour cause, c'était ce qu'on appelait : un Rachenputzer (déboucheur de gorge). Le Bubberi, comme on l'appelait dans le dialecte colmarien, était consommé tout simplement ... parce qu'il désaltérait. En 1833, le fisc eut la mauvaise idée de taxer cette décoction qui ne méritait pas le nom de vin. Fin octobre, le soulèvement a d'abord grondé dans le quartier populaire de la Krutenau avant de s'étendre à toute la ville. Les ouvriers d'usines se joignerent aux vignerons et aux maraîchers. On a érigé des barricades et fait valser des pierres sur les têtes des forces de l'ordre. Ils visaient surtout le haut fonctionnaire des impôts, le vicomte de Croismare. « Si on le choppe, on va l'enfermer dans un tonneau rempli de Bubberi et on va le jeter dans le Sinnbach ! ». La garde nationale, qui avait été convoquée, refusa d'attaquer le peuple, le spectacle aurait été trop beau ! Le Préfet, secondé par l'armée, dut intervenir pour rétablir l'ordre. Le vicomte fut déposé, la nouvelle taxe annulée et les insurgés emprisonnés, libérés. Le conseil municipal pris la sage décision de ne plus taxer le Bubberi de Colmar, comme quoi, même le Bubberi en Alsace on aime : le Rachenputzer nettoie la gorge pour mieux chanter quand on est pompette. Alors ! On ne touche pas au folklore, non-de-bip-chilvouplait !
Mais revenons à un peu plus de sérieux ! Reprenons le récit des souvenirs d'André VOEGEL. Les plants de vigne hybrides ont été importés d'Amérique et ne portaient pas, pour la plupart, un nom de cépage, mais des noms de lieux, de prénoms comme NOAH, CLINTON, ISABELLE, OTHELLO, JACQUEZ ou HERBEMONT. Les cépages les plus connus plantés au Riethertfeld à Valff étaient le rouge et le Blankehorn-Amerikaner-Castell-Sévillard-Seibel. Les villages viticoles du Piémont des Vosges ne se sont pas reconvertis en vignes hybrides afin de garder la renommée et la qualité, ce qui fut une très bonne chose.
Les vendanges étaient toujours un événement particulier au village. Pour l'occasion, les enfants n'avaient pas classe. Les préparatifs allaient bon train. Il fallait préparer les cuves en bois pour les rendre étanches, les monter sur le chariot et les fixer solidement à l'aide de chaînes et tendeurs. Le pressoir n'ayant plus servi depuis un an était dégagé des encombrements et nettoyé. Une grande attention était portée aux tonneaux devant recevoir le moût. Mais, c'est surtout à la maîtresse de maison qui avait le plus grand rôle: il lui incombait les importants préparatifs culinaires !
Vendanges à Gertwiller en 1934
Souvent, on invitait des amis ou des connaissances pour donner un coup de main d'occasion. Dès le départ en direction du vignoble une ambiance joyeuse commençait à se répandre. Dans la brume du matin, l'attelage quittait la ferme avec tout l'attirail nécessaire à la besogne. Toute l'équipe prenait place de chaque coté du chariot. Dans les vignes, les grappes de raisin étaient récoltées dans des seaux à l'aide de serpettes ou de petits sécateurs. Le garçon porteur de hotte circulait entre les vendangeurs et ramassait les seaux remplis pour les déverser dans la hotte. Cette dernière, une fois remplie, était portée à dos d'homme et son contenu déversé dans la trémie du fouloir à raisins placé sur la grande cuve montée sur la charrette. Les bulbes de raisin écrasées formaient une masse liquéfiée dans la cuve très difficilement transportable dans les chemins creux, il fallait donc rouler doucement. Le chariot à quatre roues à bandages métalliques accusait chaque petit choc et risquait de déverser le précieux liquide, ce qui arriva plus d'une fois. Pendant les vendanges, on évitait bien sûr de mélanger les raisins rouges et blancs ... et les vendangeurs évitaient de trop manger de raisin : gare au débouchage de boyaux non maîtrisés ! Chez chaque viticulteur à Valff on trouvait dans sa cave du vin blanc et du vin rouge.
Le moment le plus apprécié de la journée était le repas de midi en plein air. Installés en rond sur des couvertures, les vendangeurs et vendangeuses se régalaient du repas frugal mais abondant que la maîtresse de maison aimait étaler au milieu des travailleurs. Rien ne manquait : charcuterie - lard fumé - viande froide - fromage - dessert, le tout arrosé de vin qu'on tirait à partir du "lôjele" (tonnelet en bois). C'était la fête dans le vignoble, on entendait des gens qui s'interpellaient et des chansons résonnaient à travers le vignoble. La journée se terminait dans la bonne humeur mais des travaux importants attendaient encore les hommes dès leur rentrée.
Vendanges en 1934 à Gertwiller avec la cravatte pour le patron, s'il vous plait !
Le pressurage s'étalait jusque tard dans la nuit suivi d'un repas chaud. Le pressurage est une opération de longue haleine. Nous n'avions pas de pressoir à domicile, nous traitions notre jus de raisin chez "Papa Antz" situé dans la même rue non loin de chez nous dans la rue des Flaques. Antzpapa faisait encore partie de notre famille. Avant de déverser le contenu de la cuve, on prélevait le "Einziger" ce qui voulait dire un vin qui ne sera jamais mélangé avec de l'eau, " un vin pur" mais qui sera chaptalisé pour lui donner du corps qui pouvait atteindre 14-15° d'alcool. Le "Einziger" était destiné pour les grandes occasions, les fêtes de famille - baptêmes-communions-mariages ou pour la réception d'amis ou des amis des amis. Il est de tradition en Alsace de servir à n'importe quel visiteur, du vin ou tout autre rafraîchissement. C'était une excuse pour boire aussi ! En recensement de 1862 indiquait une consommation moyenne d'1 litre de vin par jour et par homme.
Par opposition au "Einziger" on préparait un vin de moindre teneur en alcool et qu'on dénommait le "Trenkwin", cette qualité de vin inférieure au "Einziger" était obtenu par l'ajout d'une certaine quantité d'eau pure aux marcs après pressage mais avant fermentation. Les vins se conservent avec une teneur en alcool minimum de 9° ce qu'on règle avec le système de chaptalisation (ajout de sucre au moût avant fermentation). Ce type de vin était destiné à la consommation courante, journalière, mais surtout pour la restauration des travailleurs des champs en été. Pour maintenir sa fraîcheur pendant les grandes chaleurs estivales, le conditionnement se faisait dans des petits tonnelets en bois appelés les "Lôjele". Dans les milieux agricoles la consommation de vin était importante. Dans une ferme d'une certaine importance, on stockait facilement entre 80 et 100 Ohm de vin (Ohm = 50 litres). Le moût, une fois prélevé directement de la grande cuve on passait à l'étape suivante, à savoir le pressurage.
Le pressoir chez Antzpapa était à poste fixe, très impressionnant, en béton armé d'environ 2m de côté, avec un arbre de pressoir central à filet carré et son tourniquet. Monter le pressoir, mettre le "Trottkaschte" en place (claies et poutres du pressoir) était tout un art qu'Antzpapa se faisait une obligation de nous en faire la démonstration tous les ans, bien que nous savions faire le montage nous-même depuis les années. Mon père et nous les enfants, connaissions la manoeuvre à force d'entendre inlassablement les mêmes explications tous les ans. Le marc de raisin une fois déposé dans le pressoir, l'opération d'extraction du suc restant pouvait démarrer. J'ai encore dans les oreilles le son du cliquetis du tourniquet actionné par 2 à 4 hommes au moyen d'un bras de levier de plusieurs mètres de longueur. La cadence du cliquetis était en étroite harmonie avec le filet de jus sortant du pressoir, et nous, les enfants, ne manquions jamais l'occasion de boire du moût bien sucré. En abusant un peu trop, des conséquences fâcheuses pouvaient se manifester dans les culottes, on appellera cela ... les traces de freinages !
L'opération de pressurage ne démarrait jamais avant l'accomplissement d'un rituel bien connu dans le milieu viticole. Cette tradition se déroulait de la façon suivante : avant de commencer le travail d'extraction, on se rendait subitement compte qu'un élément essentiel manquait au pressoir et notamment "la Trottschar" (les ciseaux du pressoir). Cet accessoire indispensable mais complètement imaginaire, se trouvait toujours chez le voisin. Il fallait en vitesse désigner une personne pour le chercher avant de commencer le pressurage. Bien sûr, on choisissait toujours une personne naïve et étrangère au subterfuge, soit une fille (normal !) ou un garçon niais pour exécuter cette tâche. Le voisin, préalablement mis au courant remettait solennellement la "Trottschar" en lui conseillant de bien tenir soin pendant le transport, à dos d'homme. Camouflée dans un sac en jute bien ficelé, la "Trottschar" avait un poids tellement élevé que le porteur craquait pratiquement sous la charge. Arrivé à destination, il devait se rendre compte que cet élément important n'était autre chose qu'un sac rempli de cailloux sous les rires et les applaudissements surtout de ceux ou celles tombés dans le même piège les années précédentes.
L'extraction du jus se faisait en deux étapes. La pression n'étant pas uniforme sur l'ensemble de la surface, la partie la plus éloignée de l'arbre central accusait une teneur d'humidité plus élevée que la partie autour du point central. A l'aide d'un outil spécial, en forme de bêche, il fallait découper la partie extérieure du gâteau pour l'entasser autour de l'arbre pour une seconde pression. Les raisins ainsi pressés, qu'on appelle les marcs, seront soigneusement récupérés pour une ultime utilisation à savoir la distillation. La production d'alcool (marc de raisin, marc de gewürtztraminer etc...) après une période de fermentation alcoolique donnait l'alcool à partir du sucre ou le glucose. Pendant que le moût de raisin fermentait dans les cuves en bois dans les caves, une certaine odeur se répandait perceptible jusque dans les maisons d'habitation. Cette émanation de gaz carbonique provenant de la fermentation, pouvait dans certaines conditions conduire à une intoxication. Pendant cette période, il est déconseillé de se rendre seul dans une cave remplie de corps gazeux. Pourtant, cette période était souvent la plus propice pour inviter ses amis goûter le vin nouveau, une vieille tradition alsacienne. Certains l'aimaient à moitié fermenté encore un peu sucré, d'autres le préféraient bourru, d'autres aigre-doux ou encore jaune paille. Chaque goûteur faisait alors son commentaire avisé selon son appréciation personnelle et surtout ... en fonction de son état d'alcoolémie avancé. S'gellt !
Le tonnelier
Un métier intimement lié à la production du vin était celui de tonnelier. Des photos d'un atelier de tonnellerie à Schiltigheim, prisent dans les années 30 de Lucien BLUMER de Gertwiller, sont conservées aux archives de Strasbourg. Les tonneliers de Valff dans les années 50 étaient :
- Florent SAAS, n°270 de la rue Basse
- Florent HIRTZ, n°120 de la rue Principale
Cave à Gertwiller
Sources :
- Mémoires d'André VOEGEL
- Photos de Stéphanie (2022)
- Archives de Strasbourg, fond BLUMER