- Écrit par : De Valva à Valff (André & Rémy VOEGEL)
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Depuis des temps immémoriaux, les paysans de Valff s'adonnèrent à l'irrigation des prairies. L'usage de l'eau pour l'irrigation était une nécessité absolue pour relever le rendement des prairies surtout pour le regain. On connaissait très peu ou pas du tout, l'emploi des engrais chimiques pour améliorer la production. En aval du village, on avait installé sur la Kirneck à intervalles réguliers, des barrages de retenue d'eau qui permettaient d'irriguer, de part et d'autres, les prés jusqu'à l'embouchure de l'Andlau. Chaque propriétaire aménageait sur sa parcelle une prise d'eau. Ce procédé donnait lieu quelquefois à des discussions passionnées entre voisins de prés, quand l'un d'eux avait aménagé une prise d'eau plus profonde que l'autre, ce qui réduisait le volume d'eau prélevé du second. Certains irriguaient même de nuit, pour profiter de l'absence des voisins. Au niveau intercommunal, des différends surgirent également entre les industriels de Barr, les communes de Barr, Gertwiller, Heiligenstein et Bourgheim.
A partir du début du XIVe siècle, l'irrigation fut l'objet d'une réglementation des autorités préfectorales. Le premier règlement d'irrigation connu date du 9 août 1817 pour les communes de Barr, Gertwiller, Heiligenstein, Bourgheim et Valff. Suite à une pétition présentée par les meuniers BURGERT de Bourgheim et Laurent JORDAN de Valff en 1817, le Préfet du Bas-Rhin arrête en date du 9 août 1817 ce qui suit : le ruisseau appelé Kirneck sera curé à partir de la vallée de Barr jusqu'à Valff. Dans les bans de Barr, Gertwiller et Bourgheim, il sera établi des éclusettes à l'embouchure des canaux qui servent à l'irrigation. La vanne aura 70 cm de largeur et 80 cm de hauteur en plus. Ces éclusettes seront fermées à cadenas dont les clés seront remises au garde-digue pour les fermer et ouvrir aux jours fixés. Pour préserver la commune de Valff des inondations auxquelles elle est assujettie, il sera établi ou renouvelé un canal de décharge hors de la commune par les habitants, d'après les dimensions que donnera l'ingénieur. Les frais occasionnés par l'établissement du canal dont il est question, seront à la charge de la commune de Valff. A l'avenir il ne pourra être planté aucun arbre sur les bords du ruisseau à moins de soixante centimètres du bord de l'eau. Les contrevenants seront punis d'une amende de trois journées de travail.
Les communes de Barr, Bourgheim et Gertwiller pourront prendre les eaux nécessaires à l'irrigation de leurs propriétés par les éclusettes seulement, à partir du 24 juin jusqu'au 25 juillet, les mercredi et samedi pour vingt quatre heures. Attendu que les prairies de Valff sont situées au-dessous du moulin, et qu'il n'existe aucun établissement de ce genre jus-qu'à l'Andlau, la commune peut disposer des eaux à volonté. Dans les communes de Barr, Gertwiller et Heiligenstein, il sera désigné par le maire un garde spécial pour les éclusettes, il sera dépositaire des clés des éclusettes et sera tenu de les ouvrir et fermer aux heures déterminées pour sa commune sous sa responsabilité. Les travaux à exécuter, s'ils ne sont pas faits par les propriétaires dans le délai fixé par l'ingénieur seront mis à l'enchère dans la quinzaine au plus tard. Tous les ans, le maire ou les adjoints des communes concernées seront tenus de faire la visite du ruisseau pour reconnaître les travaux qui seraient à exécuter et ils dresseront un procès-verbal de cette visite. Le règlement semble avoir fait l'objet au cours des décennies suivantes de nombreuses contestations.
Le 6 mai 1855, les usiniers de la Kimeck demandent un nouveau règlement des irrigations. Par une pétition, les sieurs OSTWALD et DICHL, meuniers à Gertwiller, interviennent à nouveau chez le Préfet le 16 janvier 1858. L'ingénieur du service hydraulique chargé de l'étude d'un nouveau règlement présente son projet le 5 juin 1858. Un arrêté préfectoral du 24 décembre 1859 règle l'irrigation et les prises d'eau de la Kirneck. Nous relevons les points suivants : les prairies arrosables situées dans le bassin de la Kirneck sont divisées en 6 régions :
- 1ère région : prairies situées à l'amont de la ville de Barr
- 2ème région : prairies situées en aval de la ville de Barr
- 3ème région : prairies situées entre la banlieue de Barr et Gertwiller
- 4ème région : prairies situées entre la banlieue de Gertwiller et Bourgheim
- 5ème région : prairies situées dans la banlieue de Bourgheim
- 6ème région : prairies situées en aval du moulin à Valff
Par eaux basses, les irrigations dans les 5 premières régions ne pourront avoir lieu entre le 1er avril et le 15 mai et entre le 1er juillet et le 15 août de chaque année que les mercredis à des horaires bien définis. Dans la 6ème région, les irrigations pourront avoir lieu en tout temps. Valff se trouvant en fin de tracé avait l'autorisation d'irriguer de tout temps à condition que le niveau d'eau de la Kirneck le permette. C'est la raison pour laquelle on imposait aux autres communes un plan d'irrigation bien déterminé. Ces communes, ne respectant pas toujours ce plan, donnaient lieu à des altercations entre citoyens belliqueux des communes voisines. On arrivait même à ouvrir de force les écluses dans les communes peu respectueuses des accords.
Le règlement ne semble pas avoir donné satisfaction, puisque nous trouvons le 10 février 1864 une demande du conseil municipal de Valff demandant un règlement des irrigations de la commune. Le règlement proposé par l'Ingénieur en chef du Département, qui fait l'objet d'une enquête publique dans la commune, est affiché à la porte de l'église et de la mairie pendant vingt jours, et sera en outre publié à son de caisse ou de trompe. Suite à une pétition de l'ensemble des usiniers (meuniers) de la Kirneck en date du 15 juillet 1870, demandant la nomination d'un garde des eaux qui devra veiller à l'observation de la réglementation de l'irrigation du 24 décembre 1859, les communes de Barr, Heiligenstein, Gertwiller, Bourgheim et Valff nomment à ce poste le sieur Joseph SCHNEE, ancien militaire domicilié à Valff.
Ce règlement resta en vigueur jusqu'au 2 avril 1903, date à laquelle les autorités allemandes mettent en application un règlement général d'irrigation, valable pour tous les cours d'eau. Ce nouveau règlement ne tenant plus compte du plan d'irrigation de 1859 irrita profondément les cultivateurs de Valff, qui se trouvaient ainsi lésés. Une autre contrainte venant s'ajouter par une ordonnance du 17 juin 1910, où l'irrigation était seulement tolérée si le niveau des eaux atteignait et dépassait le point repère 0 situé à 150 m en aval de Gertwiller. Cette mesure a été prise pour ne pas perturber la bonne marche des moulins de Valff et de Bourgheim. Le mécontentement des Valffois a même fait l'objet d'une intervention d'un député à la deuxième chambre du Landtag d'Alsace-Lorraine en 1911. Le député MARTZ, rapporteur de la pétition n°189, plaindra la cause du maire et du conseil municipal de Valff, considérant que l'ordonnance du 2 avril 1903 du plan d'irrigation fixé par le règlement de 1859, causait un grand préjudice aux habitants du village. Bien que l'article 5 de l'ordonnance du 2 avril 1903 reconnaît la nécessité d'un plan d'irrigation, la commune n'a, à ce jour pas obtenu satisfaction malgré plusieurs interventions. Le représentant du gouvernement fait observer en réponse que l'ordonnance du 2 avril 1903 n'a pas diminué les heures d'irrigation pour la commune de Valff, bien au contraire.
Le règlement définitif d'irrigation, qui ne changera pas grand chose, ne pourra pas être promulgué avant 1914 après constitution des syndicats des cours d'eau. Sur ce, le représentant du gouvernement demande de passer à l'ordre du jour. Le 17 mai 1913, un règlement provisoire fixe à nouveau les jours et heures d'irrigation par commune. Par lettre de la direction des eaux et forêts du 3 septembre 1921, le maire est informé que le règlement des eaux du 2 avril 1903 est toujours en vigueur. En juin 1934,. le maire de Gertwiller a même dû intervenir auprès du Sous-Préfet pour lui demander d'intervenir auprès du maire de Barr dont les habitants retenaient l'eau pour irriguer leurs parcelles. L'été 1934 fut très sec, le rendement en fois très minime.
De nos jours, l'irrigation a été complètement abandonnée, une grande partie des prés étant cultivée en maïs. Seuls les barrages de retenue d'eau rappellent un temps à jamais révolu.